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Le Conseil d’Etat a plutôt l’habitude des avis feutrés. Celui rendu le vendredi 24 janvier 2020 sur le projet de loi Retraites sonne comme un sévère recadrage du gouvernement. Il confirme toutes les critiques déjà émises par la CGT… Voici une petite sélection d’extraits à faire connaitre.
Morceaux choisis
Une trajectoire financière lacunaire, pas de simulations individuelles
« Le Conseil d’Etat constate que les projections financières transmises restent lacunaires et que, dans certains cas, cette étude [d’impact] reste en deçà de ce qu’elle devrait être, de sorte qu’il incombe au Gouvernement de l’améliorer encore avant le dépôt du projet de loi au Parlement, en particulier sur les différences qu’entraînent les changements législatifs sur la situation individuelle des assurés et des employeurs »
La démocratie sociale bafouée
« Le Conseil d’État relève que la saisine des organismes qui doivent émettre un avis s’est effectuée tardivement, après que le projet de loi lui a été transmis et la plupart du temps selon les procédures d’examen en urgence. Si la brièveté des délais impartis peut être sans incidence sur les avis recueillis lorsqu’ils portent sur un nombre limité de dispositions, il n’en va pas de même lorsque la consultation porte sur l’ensemble du projet de loi, tout particulièrement lorsque le projet de loi, comme c’est le cas en l’espèce, vise à réaliser une réforme de grande ampleur. Au surplus, compte tenu de la date à laquelle ces avis ont été rendus, la possibilité pour le Gouvernement de les prendre en compte est extrêmement réduite, y compris au stade de l’examen par le Conseil d’État, stade auquel au demeurant auraient déjà dû être intégrées les modifications pouvant le cas échéant en résulter. »
Une analyse juridique bâclée
« Le Conseil d’Etat souligne qu’eu égard à la date et aux conditions de sa saisine, ainsi qu’aux nombreuses modifications apportées aux textes pendant qu’il les examinait, la volonté du Gouvernement de disposer de son avis dans un délai de trois semaines ne l’a pas mis à même de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen auquel il a procédé. Cette situation est d’autant plus regrettable que les projets de loi procèdent à une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue l’une des composantes majeures du contrat social. Il appelle l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’assurer le respect de méthodes d’élaboration et de délais d’examen des textes garantissant la qualité de l’action normative de l’Etat et souligne l’importance de cette recommandation pour l’examen des nombreuses ordonnances prévues par les projets de loi. »
Un recours aux ordonnances qui empêche une vision d’ensemble
« Le projet de loi comporte des dispositions habilitant le Gouvernement à prendre 29 ordonnances […] Le Conseil d’Etat souligne que le fait, pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité. »
Un vrai faux régime universel
« Le projet de loi ne crée pas un « régime universel de retraite » qui serait caractérisé, comme tout régime de sécurité sociale, par un ensemble constitué d’une population éligible unique, de règles uniformes et d’une caisse unique. Est bien créé un « système universel » par points applicable à l’ensemble des affiliés à la sécurité sociale française, du secteur privé comme du secteur public, qui se substitue aux régimes de base et aux complémentaires et surcomplémentaires obligatoires, mais à l’intérieur de ce « système » existent cinq « régimes », à savoir le régime général des salariés, dont relèvent les affiliés aux anciens régimes spéciaux autres que les fonctionnaires et les non-salariés, le régime des fonctionnaires, magistrats et militaires, celui des salariés agricoles, celui des non-salariés agricoles et celui des marins ; la profession des navigants aériens, affiliée au régime général des salariés, conserve, quant à elle, son régime complémentaire obligatoire. A l’intérieur de chacun de ces régimes créés ou maintenus, des règles dérogatoires à celles du système universel sont définies pour les professions concernées. En termes de gestion, sont maintenues plusieurs caisses distinctes qui ont pour mission de servir les prestations du système universel, le cas échéant adaptées, aux professions qui leur sont rattachées. »
Non, un euro cotisé n’ouvre pas les mêmes droits pour tous
« Le Conseil d’Etat relève enfin que l’objectif selon lequel « chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous » reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d’ouverture de droits définies par le projet de loi »
Bloquer la dépense de retraite aura pour conséquence de reporter l’âge de départ…et d’augmenter le chômage des seniors…
« Le Conseil d’Etat constate que le projet a pour objectif de stabiliser la dépense liée aux retraites à 14% du PIB. Or le nombre de personnes de plus de soixante-cinq ans étant appelé à augmenter de 70% d’ici à 2070, il appelle l’attention du Gouvernement sur la nécessité, pour le cas où le maintien du niveau relatif des pensions individuelles serait assuré par une élévation de l’âge de départ à taux plein, d’appréhender l’impact de telles évolutions sur les comptes de l’assurance-chômage, compte tenu du faible taux d’emploi des plus de 65 ans, et les dépenses de minima sociaux, toutes données qui sont absentes de l’étude d’impact du projet de loi. »
Censure de l’« imprécise » revalorisation des enseignants
« Le Conseil d’Etat écarte les dispositions qui renvoient à une loi de programmation, dont le Gouvernement entend soumettre un projet au Parlement dans les prochains mois, la définition de mécanismes permettant de garantir aux personnels enseignants et chercheurs ayant la qualité de fonctionnaire une revalorisation de leur rémunération afin de leur assurer un niveau de pension équivalent à celui de fonctionnaires appartenant à des corps comparables. Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions constituent une injonction au Gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution »
Les années de bas salaire ou de précarité se paieront cash
« [Le système à point] pénalise en revanche les carrières complètes pendant lesquelles les assurés connaissent des années d’emploi difficiles, associées au versement des cotisations nettement moins élevées que sur le reste de leur carrière, dont la règle de prise en compte des 25 meilleures années, applicable au régime général et dans les régimes alignés, supprimait les effets pour le calcul de la pension de retraite. »
Plus de garantie du montant des pensions
« [Le système à point] retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point définie de manière à garantir l’équilibre financier global du système. » […] « Le Conseil d’Etat relève que le choix d’une détermination annuelle de chacun des paramètres du système, y compris ceux applicables à une génération entière, aura pour conséquence de limiter la visibilité des assurés proches de la retraite sur les règles qui leur seront applicables. »
Plus de prise en compte des périodes de chômage non indemnisé pour le minimum de pension
« Le Conseil d’Etat relève que la rédaction du projet de loi ne tient pas compte des périodes de chômage non indemnisé, dont il était auparavant tenu compte pour parvenir au taux plein, et partant, à une pension portée au minimum contributif, dans le régime général. »
Le minimum de pension est conditionné au fait d’avoir une carrière complète. Or, les périodes de chômage non indemnisées ne seront plus validées pour le calcul d’une carrière complète. Pour de nombreux salarié.e.s et notamment les femmes, la carrière complète, et donc le minimum de pension sera encore plus dur à atteindre.
Un minimum de pension en baisse dans la fonction publique et certains régimes spéciaux
« [la réforme] a pour effet de réduire significativement, toutes chose égales par ailleurs, le montant du minimum de la pension de retraite de la fonction publique et de certains régimes spéciaux, […] de l’ordre de 6,8% pour les fonctionnaires, de 9,6% pour les employés de la SNCF et 13,8% pour les employés de la Banque de France »