“Le service public RATP est un modèle d’avenir à défendre” – Entretien avec Sébastien Melin

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Pour lancer ce nouveau format (disponible ci-dessous ou au téléchargement), nous nous sommes entretenus avec Sébastien MELIN, Secrétaire général de l’Ugict-CGT RATP, Fédération nationale des syndicats de transports (FNST).  L’occasion de revenir sur le succès de la dernière campagne électorale et sur le phénomène de démantèlement de la RATP engagé par le processus de privatisation actuellement en cours. 

Sébastien, tu es Secrétaire général de l’Ugict-CGT RATP. Peux-tu nous raconter comment ça se passe entre les murs ? 

Bonjour l’Ugict ! Je suis secrétaire général de l’Ugict-CGT RATP, réélu à cette fonction le 19 mai 2022 lors du dernier congrès.

La CGT RATP a une organisation spécifique et est composée de cinq syndicats :

• 1 syndicat des retraités
• 4 syndicats historiques constitués de trois syndicats d’opérateurs (machinistes receveurs, opérateurs du ferré, opérateurs de maintenance) et de l’Ugict, le syndicat des agents d’encadrement.

Côté statut, la RATP est une entreprise publique qui a le statut juridique d’un EPIC (établissement public à vocation industrielle et commerciale). C’est la forme juridique généralement mise en œuvre s’agissant d’un service public. La RATP une personne morale de droit public, dont le statut a été créé en 1949 et consolidé par décret en 1959 s’agissant du décret support de l’EPIC RATP.

L’EPIC-RATP c’est 44 800 agents, 3,3 milliards de voyages par an et 4 milliards de CA. Non pas que le chiffre d’affaires est un indicateur qui m’intéresse, mais l’entreprise aime bien le mettre en avant.

Historiquement, la RATP c’est tout ça. Aujourd’hui, sa forme même est devenue une bataille syndicale, puisque pour l’entreprise, la RATP c’est un « groupe RATP ». C’est là qu’il y a un enjeu. Pour nous, la RATP reste un EPIC, soit un outil du service public. On pourrait se dire que c’est anecdotique mais ça ne l’est pas. La RATP c’est une « entreprise intégrée », cette précision est fondamentale. Elle intègre dans son périmètre l’ensemble des fonctions qui concourent à la réalisation du service public. Il y a beaucoup d’entreprises du secteur qui se contentent de faire rouler des bus ou des trains. Les aspects connexes tels que l’ingénierie ; la capacité à penser le développement du réseau et la maintenance, ne les regardent pas. La « RATP entreprise intégrée » c’est tout ça : le transporteur, le mainteneur, l’ingénierie.

La bataille va jusqu’à se disputer sur le terme « intégré ». Pour nous, la RATP est un service public alors que pour l’entreprise c’est un « groupe » qui a vocation à grossir, à prendre des parts de marché, à faire croître son chiffre d’affaires… Il me semble qu’aucun autre groupe ne se définit comme « groupe intégré ». Un groupe est par nature « intégré » puisqu’il intègre plusieurs entités, un ensemble de filiales liées par un même actionnariat.

Alors, pourquoi l’entreprise RATP parle de « groupe intégré » ? C’est une manière de dire que le fonctionnement en « groupe » n’est pas l’antithèse de la RATP puisque son fonctionnement reste « intégré ». Mais il n’y a rien derrière !

Dès 2025, l’EPIC-RATP est condamnée à faire l’objet d’appels d’offres.

On entend beaucoup parler de l’ouverture à la concurrence dans le secteur du transport, peux-tu nous en dire plus ?

Selon le principe de réalité, la loi d’orientation sur les mobilités (dite LOM) incite à l’ouverture à la concurrence d’une part, et à organiser l’exploitation d’une activité sous forme de filiales d’autre part. Tout cela est une forme de privatisation. On dénonce les limites de l’ouverture à la concurrence dans le secteur du transport. Il n’y a qu’à regarder en Angleterre, la privatisation du réseau ferroviaire a créé de telles difficultés que le gouvernement de Boris Johnson a récupéré la gestion d’une partie du réseau. 

Tant que l’on n’aura pas réécrit la loi LOM, le réseau sera condamné à être ouvert à la concurrence.

Il y a cette RATP historique que beaucoup connaissent et il y a l’en-jeu qui consiste à dire « qu’est-ce que la RATP aujourd’hui » ?

Il y a deux ans, la direction générale a engagé un chantier autour de la raison d’être de la RATP pour tenter de redéfinir la RATP. Pour nous, le chantier « Qu’est-ce que la raison d’être de la RATP ? » n’est pas un sujet puisqu’elle est définie par le décret de 1959, comme étant entreprise publique de service public. La Direction a besoin de poser la question pour apporter une autre réponse. La RATP devient « un groupe qui a vocation à intervenir mondialement pour vendre ses savoir-faire ». C’est une manière d’opérer la mue d’une entreprise qui a une histoire et un périmètre d’intervention défini par son berceau historique, le territoire francilien.

Dès 2025, l’EPIC sera condamné à faire l’objet d’appels d’offres avec la filialisation de ses activités, soit au sein de filiales du groupe RATP, soit au sein de filiales externes. Ils ont déjà fait la peau à la SNCF, à EDF, à France Télécom, La Poste… La RATP fait partie des derniers mohicans.

La liquidation de La Poste, France Télécom et EDF, avec certaines nuances, a été opérée par le recrute-ment hors statut de droit privé. L’effectif de salariés issus du droit privé est devenu supérieur aux agents statutaires. C’est là que s’est opéré le changement de statut de ces entreprises. La Poste, France Télécom, EDF sont devenues des sociétés anonymes (SA).

À la RATP, il y a 40 800 agents statutaires. L’entreprise n’attaque pas frontalement le statut du personnel (défini par le décret de 59 et les conditions d’emplois du personnel avec le régime spécial des retraites) mais elle filialise un maximum d’activités réalisées par l’EPIC. Les agents de l’EPIC sont souvent contraints d’être « volontaires » pour un détachement en filiale qui les soustraits du cadre social de l’EPIC, dégradant leur conditions d’emploi et les privant de l’assistance de représentants du personnel.

« L’EPIC-RATP deviendra peu à peu un astre mort »

Beaucoup d’agents sont en position de choisir entre la peste et le choléra. Faute de visibilité dans l’EPIC, nombreux d’entre eux se disent prêts à être détachés « article 33 ». Avec ce détachement, ils changeront de cadre social. Ils ne seront plus dans les conditions d’emploi du statut. Ils seront dans les conditions d’emplois définies par les conditions du détachement. Les salariés seront soumis à un régime dérogatoire régissant les conditions d’emplois du détachement définies par une convention de détachement.

L’EPIC-RATP deviendra peu à peu un astre mort, un soleil qui n’éclairera personne. Le statut existera toujours mais plus personne ne relèvera de ses dis-positions.

À l’occasion des dernières élections professionnelles, la CGT RATP redevient la première organisation syndicale avec 31,8 % des suffrages (+1,7 point). Comment avez-vous fait pour obtenir ces scores ?

Quand la campagne électorale s’est engagée à l’été 2021, la direction avait mis sur la table le projet « RATP 2023 »

La RATP a toujours été organisée de manière verticale avec un emboîtement de structures : un département (la direction), une unité, une entité.

Le projet « RATP 2023 » consiste à créer une structure « holding », très légère, pour gérer les grandes fonctions transversales dites régaliennes. Les autres entités, voulues autonomes, deviendront soit des « business unit », soit des centres de services partagés, soit des centres d’expertise…  Quel que soit leur nom, ces structures auront une comptabilité propre et seront, in fine, des centres de profits autonomes. Ils fonctionneront tous sur le mode de la prestation, du « 100 % contrat ». Chacune des prestations sera définie financièrement.

« Cette réorganisation est profonde dans les faits mais aussi dans sa philosophie »

La RATP rendra chacun responsable de son avenir puisqu’il faudra démontrer en permanence que l’activité de ces entités est pérenne.

Un contrat de l’EPIC-RATP se concluait avec l’autorité organisatrice, Île-de-France Mobilités, pour les missions de transport, de maintenance, d’ingénierie. La RATP avait trouvé son modèle économique et son point d’équilibre.

Maintenant, l’EPIC se réorganise en rendant autonome chaque collectif de travail (les fameux « business unit », centres de services partagés, centres d’expertise) en s’assurant de ne pas coûter plus cher que ce qu’il rapporte. Pour cela, les collectifs de travail doivent concevoir leurs activités sous forme de prestations. Une forme de relations clients-prestataires.

Au quotidien, nous cesseront d’être collègues, devenant tour à tour client ou prestataire. Ça transforme profondément les rapports sociaux, y compris dans l’intime. Il y a déjà quelques centres de services partagés fonctionnant déjà sur le mode « prestations ». Le tutoiement naturel de la RATP a laissé place au vouvoiement qui s’est imposé.

La CGT a analysé « RATP 2023 » comme un danger considérable avant même l’ouverture à la concurrence prévue dès 2025. Communiquer autour de la nécessité d’une organisation syndicale permettant en premier lieu d’analyser la situation et en second lieu de combattre cette évolution a été un axe fort de la campagne.

« Nous étions mieux armés pour comprendre ce qui se passait »

Les autres syndicats semblaient incapables de comprendre. Eux, qui se revendiquaient par nature réformistes, n’étaient pas là pour combattre l’en-treprise dans ses choix d’organisation mais pour accompagner socialement des transformations.

La CGT a toujours été une organisation syndicale s’autorise à critiquer et combattre les aspects poli-tiques de transformation de l’entreprise.

Nous étions mieux armés pour comprendre ce qui se passait et le dénoncer. Aujourd’hui, il est compliqué pour l’UNSA et la CFE-CGC d’accompagner cette « révolution ».

Aujourd’hui, à la RATP, chacun vit une ou plusieurs difficultés dont la cause est la même : le démantèlement de l’entreprise engagé par le processus de privatisation.

Vous avez dû faire campagne durant la crise de la Covid 19. Quelles en ont été les conséquences sur votre mode d’intervention habituel ? 

Notre dernière campagne a été marquée, comme beaucoup d’autres actions, par la Covid. Tous les syndicats ont été impactés mais pas de la même manière. Pour nous, la difficulté et l’inquiétude, est que l’on a des forces militantes assez nombreuses avec un mode d’intervention qui est le contact : nous nous adressons aux agents en leur mettant un tract dans la main, ou en passant sur le lieu de travail, ou en discutant lors des réunions d’informations syndicales. Les autres syndicats s’adressent aux agents par courrier. La Covid a été pour nous une remise en cause considérable puisque, en ce qui concerne l’Ugict-CGT, les encadrants étaient en télétravail donc injoignables. Le recours aux outils numériques a pour partie pallié cette difficulté. Cette communication, numérique ou postale, était pour nous un travail dans le brouillard, contrairement au contact direct auquel nous étions habitués et qui permettait d’établir un dialogue…

La campagne électorale a repris de la vigueur à partir de septembre 2021, car elle correspondait à un moment où les agents revenaient physiquement au travail. Nous nous sommes précipités pour rétablir le contact, quitte à ne rencontrer qu’un tiers de l’effectif normal. On a eu à cette occasion des signaux positifs, on entendait dire « vous êtes les seul.es que l’on voit », « ça fait du bien »…

« La pyramide des âges des agents de la RATP est un vrai problème »

Nous connaissons un très fort renouvellement des salariés de l’entreprise. Depuis la dernière élection de 2019, on comptabilise 18 % de nouveaux électeurs. Un cinquième des salariés n’étaient pas dans l’entreprise il y a 3 ans.

Depuis 2021, on comptabilise une centaine de nouveaux adhérents, phénomène que l’on n’avait pas connu depuis plus de 10 ans. Classiquement, certains salariés se sont syndiqués à la suite d’une difficulté personnelle dans l’entreprise. Ils forment néanmoins des camarades tout aussi sincères. 

La CGT ne pose aucune condition à la syndicalisation. Nous nous adressons à la conscience des agents. 

Quand tu es face à un·e collègue, que lui dis-tu pour rejoindre la CGT ?

Je lui dirai ce que je me suis dit à moi-même : « Il faut faire sa propre expérience de ce que sont les rapports sociaux dans le cadre du contrat de travail. Une fois que l’agent aura fait son parcours et qu’il voudra agir dans l’entreprise, il saura qu’il existe le syndicalisme comme outil ».

Si je suis secrétaire général d’un syndicat, ce n’est pas pour m’occuper. J’ai travaillé à temps plein pendant au moins 20 ans, j’ai été militant en travaillant et maintenant j’assume des responsabilités syndicales. Si j’y suis, c’est que j’y crois . Je pense que le syndicalisme est un outil, peut-être modeste, mais dans l’Histoire il ne l’a pas toujours été. Il a permis la transformation, l’émancipation.

Les premiers combats sociaux ont consisté à se battre pour s’organiser collectivement. Le syndicalisme n’est pas parfait, ce n’est pas du « sur-mesure », c’est du « prêt-à-porter ». Il y a des choses qui conviennent et d’autres moins. Il faut l’accepter et travailler sans cesse à perfectionner l’outil.

Le contrat de travail est quelque chose d’individuel très asymétrique entre le subordonné et l’employeur, mais le travail réel est une affaire de collectif. Si on veut peser sur le travail, on ne peut le faire qu’en pensant et en s’organisant en collectif et le collectif c’est le syndicat.

Alors, pourquoi choisir la CGT ? 

Aller au contact fait partie de l’ADN de la CGT. Nous ne sommes que l’émanation des salarié·es. Le dialogue avec eux doit être constant. Nous savons relativement bien le faire et je crois que nous le faisons mieux que les autres.

C’est un syndicat qui n’a pas renoncé à contester les orientations et les choix les plus politiques d’une entreprise. Plutôt que d’agir sur les conséquences, la CGT s’autorise à agir sur les causes. De ce point de vue, la CGT est une organisation syndicale qui vise l’émancipation du salariat. Le plus compliqué est que naisse dans un esprit l’idée, puis la nécessité de se syndiquer.  Accepter l’idée que le salarié peut être acteur de sa trajectoire.

La CGT c’est aussi un mélange de considération du quotidien, du pratique, du général, du politique. Les problèmes du quotidien ont des causes plus structurelles. La CGT entend agir sur l’ensemble des bouts de la chaîne.

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Pièces-jointes :
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