Ordonnances : Plus de sécurité pour les employeurs, moins pour les salariés

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Ordonnances : Plus de sécurité pour les employeurs, moins pour les salariés
Les ordonnances préparées par le gouvernement constituent un bouleversement sans précédent du Code du travail dans le sens d’un renforcement de la sécurité juridique pour les employeurs et en revanche d’un accroissement de l’insécurité pour les salariés. Ces textes ne sont pas de nature à favoriser l’amélioration de la situation de l’emploi, mais constituent une cause supplémentaire de précarité.
Michel CHAPUIS

Le texte des 5 ordonnances (160 pages), présenté le 21 août, est en conformité avec les dispositions du projet de loi d’habilitation, voté par le Parlement le 3 août. Selon le gouvernement, ces ordonnances devraient être adoptées en conseil des ministres le 20 septembre et publiées au Journal officiel dans les jours suivants.

La loi de ratification devrait ensuite être adoptée par le Parlement avant la fin du mois de septembre. Les ordonnances auraient alors valeur législative.

Des décrets devraient préciser de nombreux points importants (exemple : le nombre de membres de la délégation du personnel dans la nouvelle institution – le comité social et économique (Ces) – et leurs moyens : heures de délégation notamment).
L’ensemble du nouveau dispositif devrait être applicable le 1er janvier 2018.

 

Thèmes

 

Ces 5 projets d’ordonnances sont les suivants :


 

  • ordonnance relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales ;
  •  ordonnance relative au renforcement de la négociation collective ;
  •  ordonnance portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective ;
• ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail ;
  •  ordonnance relative au compte professionnel de prévention.

 

Contenu

 

Parmi les nombreuses règles que ces projets d’ordonnances entendent modifier, en voici plusieurs qui retiennent l’attention (liste non exhaustive).

 

Réduction de la réparation des licenciements injustifiés


Le projet prévoit une forte réduction de la réparation pour les salariés en cas de licenciement injustifié (« sans cause réelle et sérieuse ») ; la réparation intégrale des préjudices, qui est la règle, serait abandonnée.
Le juge ne pourrait plus tenir compte du préjudice réel du salarié licencié pour octroyer une réparation intégrale mais devrait appliquer un barème obligatoire de réparation forfaitaire d’un niveau très peu élevé.


Exemple emblématique, dans le cas d’un salarié ayant deux ans d’ancienneté dans une entreprise : son indemnité est aujourd’hui de six mois de salaire brut au minimum ; demain, elle sera de strictement trois mois.


Ainsi, l’employeur qui procédera à un licenciement injustifié (illégal) bénéficiera d’une situation sécurisée.
Il s’agit là d’une atteinte à la règle fondamentale du droit civil de réparation des préjudices (1).
Il conviendrait de vérifier que ces nouvelles dispositions ne constituent pas une discrimination indirecte à l’égard des femmes salariées (quelle est la répartition femmes-hommes des licenciements par motifs et par année ? Quelle est la répartition femmes-hommes des saisines des prud’hommes pour licenciements par motifs et par année ?).
Des exceptions très limitées à cette réparation forfaitaire sont prévues en cas de discrimination ou d’atteinte à une liberté fondamentale. Dans ces cas, grâce au droit international des droits de l’homme, la réparation devrait continuer d’être intégrale.

 

Réduction des droits des salariés face aux décisions des entreprises multinationales en matière de licenciement pour motif économique

Le projet prévoit que « les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. […] »

 

Réduction des droits des salariés en contrats précaires (Cdd et intérim).


Le projet prévoit la détermination des conditions de recours aux contrats de travail à durée déterminée et aux contrats de travail temporaire par la convention ou l’accord collectif de branche : durée totale du contrat de travail à durée déterminée ou du contrat de mission, nombre maxi- mal de renouvellements possibles, calcul du délai de carence, etc.

Là encore, il conviendrait de vérifier que ces nouvelles dispositions ne constituent pas une discrimination indirecte à l’égard des femmes salariées. Seuls les motifs seraient encore du seul domaine de la loi.

 

Réduction de la capacité juridique de contestation par les organisations syndicales d’un accord d’entreprise pour des raisons de légalité

Le projet prévoit notamment que « toute action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée avant l’expiration d’un délai de deux mois […] ».

 

Fusion des institutions représentatives du personnel


Un « comité social et économique » (Cse) est mis en place dans les entreprises d’au moins onze salariés.
Il se substitue aux Dp, au Ce et au Chsct. La fusion n’a pas lieu à droit constant. Il en est ainsi en particulier pour le Chsct : certaines de ses prérogatives et certains de ses moyens d’action (le droit d’enquêter, etc.) ne figurent plus ou sont minorés (le droit à l’expertise indépendante).

Dans les entreprises pourvues d’instances représentatives du personnel élues à la date de publication des ordonnances, le comité social et économique est mis en place au terme du mandat en cours de ces élus et au plus tard au 31 décembre 2019. Les mandats des membres du comité d’entreprise, du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de la délégation unique du personnel et des délégués du personnel, cessent au plus tard le 31 décembre 2019.

 

Réduction de la capacité de négociation des organisations syndicales de travailleurs salariés


La loi, dans le prolongement de lois précédentes, vise à donner la priorité aux accords d’entreprise dans l’élaboration du droit du travail.

Dans les entreprises « inorganisées » syndicalement, des dispositions dérogatoires sont prévues :


  •  dans les entreprises de moins de 11 salariés : « référendum » d’initiative patronale avec les salariés ;
  •  dans les entreprises dont l’effectif habituel est compris entre 11 et 20 salariés : en l’absence d’élus du personnel – « référendum » d’initiative patronale avec les salariés ;
  •  dans les entreprises dont l’effectif habituel est compris entre 11 et moins de 50 salariés, les accords d’entreprise ou d’établissement peuvent être négociés, conclus et révisés :
    – par un ou plusieurs salariés expressément mandatés ;

    – par un ou des membres de la délégation du personnel.
  •  dans les entreprises dont l’effectif habituel est au moins 50 salariés, les membres de la délégation du personnel peuvent négocier, conclure et réviser des accords collectifs de travail s’ils sont expressément mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives.

En l’absence de membre de la délégation du personnel mandaté, les membres de la délégation du personnel qui n’ont pas été expressément mandatés par une organisation peuvent négocier, conclure et réviser des accords collectifs de travail. Quand aucun membre de la délégation du personnel n’a manifesté son souhait de négocier, les accords d’entreprise ou d’établissement peuvent être négociés, conclus et révisés par un ou plusieurs salariés expressément mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives

 

Modalités d’appréciation du caractère majoritaire des accords d’entreprise


L’accord d’entreprise pour être valide devra être signé par des syndicats représentants plus de 50 % des suffrages, valablement exprimés, en faveur d’organisations représentatives, à compter du 1er mai 2018.

Mise à l’écart aggravée du principe de faveur


La mise à l’écart du principe de faveur est aggravée : sauf disposition explicite avant le 1er janvier 2019, dans certaines matières, les clauses des accords de branche n’ont plus d’effet impératif à l’égard des accords d’entreprises.

 

Conseil d’entreprise

Un conseil d’entreprise peut être institué par accord d’entreprise ou par accord de branche étendu.
Ce conseil d’entreprise exerce l’ensemble des attributions du Cse et est compétent pour négocier, conclure et réviser les conventions et accords d’entreprise ou d’établissement, à l’exception des accords qui sont soumis à des règles spécifiques de validité.

 

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Globalement, les femmes salariées étant proportionnellement plus présentes dans les Pme/Tpe que les hommes, proportionnellement plus présents dans les grandes entreprises, certaines dispositions concernant la nouvelle Irp et les négociations dérogatoires vont davantage les affecter.
Exemples : calcul de l’effectif sur douze mois (et non plus sur douze mois au cours des trente-six derniers mois), « référendum » à l’initiative de l’employeur dans les entreprises de moins de 11 salariés.

 

Formation syndicale

Le salarié bénéficiant du congé de formation économique, sociale et syndicale a droit au maintien total, par l’employeur, de sa rémunération.

 

Liste modifiée des salariés protégés

Bénéficie également de la protection contre le licenciement le salarié investi de l’un des mandats suivants :


  •  membre élu à la délégation du personnel au Cse;
  •  représentant syndical au Cse ;

  •  représentant de proximité ;

  •  membre de la délégation du personnel du Cse interentreprises.

 

(1) Lire à ce sujet Michel Miné, « Indemnités prud’homales : vers une réparation forfaitaire et limitée de la perte injustifiée de l’emploi », sur Theconversation.com, 2 juillet 2017.

 

Bibliographie
• Michel Miné, Le grand Livre du droit du travail en pratique, 29 édItion – 2017/2018, éditions Eyrolles.

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