Fiche : la Loi sur le dialogue social

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Fiche : la Loi sur le dialogue social
Un cheval de Troie contre l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ?
Le projet de loi relatif au « dialogue social et à l’emploi » appelle de nombreuses critiques au regard des risques forts de régression pour les droits des salariés. Il en est ainsi notamment au regard de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Michel CHAPUIS

Selon le gouvernement (extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 22 avril 2015), « le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi marque une nouvelle étape dans l’action du gouvernement en faveur d’un renforcement de l’un et de l’autre. Il réforme tout d’abord en profondeur le dialogue social au sein de l’entreprise.

Sa qualité constitue à la fois un impératif démocratique et un levier de compétitivité. Or ce dialogue est marqué, avec le temps, par une stratification qui le rend trop souvent formel.

C’est pourquoi le projet de loi simplifie et hiérarchise les obligations d’information, de consultation et de négociation dans l’entreprise, pour que le dialogue social y soit plus vivant et plus stratégique.

  • Il rend les institutions représentatives du personnel plus efficaces en les adaptant davantage à la diversité des entreprises.
  • Il clarifie leur rôle respectif et simplifie leur fonctionnement concret.
  • Il met au cœur de ce dialogue les questions relatives à la qualité de vie au travail et aux conditions de travail. Il introduit également un droit universel à la représentation pour les 4,6 millions de salariés des très petites entreprises, à travers des commissions paritaires régionales.
  • Il accorde de nouveaux droits aux représentants des salariés, et reconnaît pleinement l’expérience qu’ils ont acquise pendant l’exercice de leur mandat.
  • Enfin, il oblige à une représentation équilibrée des femmes et des hommes lors des élections professionnelles, marquant ainsi un progrès de plus vers l’égalité effective entre les femmes et les hommes dans le monde du travail. »

Pourtant, cette orientation affichée ne se retrouve pas dans la procédure suivie, ni dans le contenu du texte.

Sur la méthode de concertation préalable concernant ce projet de loi

Procédure
Le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce projet de loi le 22 avril 2015 (il n’y aura qu’une lecture à l’Assemblée nationale et une au Sénat). Pourtant, il est nécessaire de respecter les procédures de concertation pour un projet de texte censé favoriser le « dialogue social ». Ainsi, les délais de concertation ne sont pas suffisants pour permettre un travail pertinent, notamment pour réunir le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Champs
De nombreuses dispositions de ce projet de loi auront des incidences sur la situation des femmes salariées, y compris quand le mot « femmes » n’est pas employé dans le corps de l’article (la méthode de la discrimination indirecte n’est pas encore mobilisée). Il s’agit ici d’attirer l’attention sur quelques articles du projet.

Articulations des processus
Une interrogation – comment ce projet de loi est-il coordonné avec le groupe de dialogue social interministériel concernant les discriminations dans l’emploi dont le rapport va proposer le dialogue social pour mettre fin aux discriminations avant le recours à l’action judiciaire (action de groupe notamment) ?

Sur le contenu de ce projet de loi ( Titre 1er – moderniser et renforcer le dialogue social au sein de l’entreprise)

Le chapitre Ier vise à instituer une représentation pour l’ensemble des salariés des petites entreprises.
Les commissions paritaires sont prévues depuis la loi du 13 novembre 1982 (ancien art. L. 132-30 du Code du travail – le texte est régulièrement modifié depuis, cependant sans progrès sensible). Aucune disposition dans ce projet de loi concernant la prise de contact entre les salariés des Tpe et les salariés mandatés de ces commissions. Cette question de la représentation des salariés des Tpe est d’importance en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, les femmes salariées étant proportionnellement davantage présentes dans ces Tpe.

Le chapitre II vise à accorder de nouveaux droits aux représentants des salariés et à améliorer la reconnaissance et la qualité de leurs parcours.

A) Valorisation des parcours militants

Pour la garantie de non-discrimination salariale, la règle posée concernant les salariés dont le temps de délégation dépasse 30 % de leur temps de travail aboutit à exclure la plupart des salarié-e-s à temps partiel mandaté-e-s (en majorité des femmes – l’utilisation d’un crédit d’heures de délégation ne peut réduire de plus d’un tiers le temps de travail mensuel du salarié à temps partiel).
Le projet de loi prévoit des garanties inférieures aux garanties accordées par la jurisprudence.


B) Elections professionnelles (représentation équilibrée des femmes et des hommes)

Le projet ne prévoit aucune action positive pour parvenir à cette représentation équilibrée, alors que des mesures d’égalité des chances pour que les salariées soient mieux représentées et davantage représentantes seraient nécessaires ; la seule mesure prévue est la sanction (l’annulation de l’élection de candidats) ; au regard du contenu de l’ensemble du projet de loi, il est à craindre que ces dispositions, qui vont dans le bon sens en matière de place des femmes dans la vie sociale dans l’entreprise, suscitent un rejet.
Des dispositions apparaissent incohérentes au regard de dispositions du Code du travail en cours de modification (cf. l’article sur une « décision de l’autorité administrative sur la répartition du personnel » n’apparaît pas en cohérence au regard des dispositions du projet de loi sur la croissance et l’activité – dite loi « Macron » –, qui transfère le contentieux préélectoral au juge judiciaire).

Le chapitre III vise à rendre les institutions représentatives du personnel plus lisibles et plus efficaces, en s’adaptant davantage à la diversité des entreprises avec la restructuration des Irp notamment dans les entreprises de moins de 300 salariés :
1) Le Chsct va voir ses compétences et sa spécificité remises en cause. Cette situation est particulière- ment dommageable pour les femmes. En effet, la sous-évaluation des risques professionnels aux- quelles elles sont confrontées vient à peine d’être reconnue avec la loi du 4 août 2014 qui prévoit l’évaluation sexuée des risques. Or cette évaluation, pour devenir effective, nécessite la présence d’une instance spécialement compétente pour les questions de santé au travail. La fixation d’un nombre minimal de réunions sur ces questions n’est pas une mesure sérieuse au regard du fonctionnement concret des Irp dans les entreprises). 2) Des dispositions favorables aux salariés ne sont que la codification d’avancées de la jurisprudence (cf. l’art. L. 4611-1 nouveau du projet de loi sur le droit pour tous les salariés d’être couverts par un Chsct dans toute entreprise d’au moins 50 salariés).

Le chapitre IV vise à simplifier et à rationaliser l’ensemble des obligations d’information et de consultation et des obligations de négociation dans les entreprises.

A) Négociation collective dans l’entreprise

Le contenu obligatoire de la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’entreprise apparaît sensiblement réduit :

1) Les huit domaines d’action (en matière d’embauche, de formation, de promotion professionnelle, de qualification, de classification, de conditions de travail, de sécurité et de santé au travail, de rémunération effective et d’articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale) ne figurent plus.
2) L’obligation transversale de prise en compte dans toute négociation obligatoire, dans l’entre- prise, de l’objectif d’égalité professionnelle ne figure plus.
Les modalités dérogatoires de négociation : le projet de loi réduit les garanties prévues (cf. en cas de négociations avec les élus du personnel – suppression du contrôle par les commissions paritaires de branche) alors que là encore les femmes salariées sont davantage concernées (cf. proportion de femmes employées dans des entreprises sans présence syndicale).

B) Consultations (comité d’entreprise)

Rapport de situation comparée – rapport unique: le sort des documents que l’employeur doit remettre au CE n’apparaît pas clairement (ainsi, les dispositions L. 2323-47 et L. 2323-57 actuelles verront leurs contenus modifiés, laissant même supposer la disparitions de ces rapports. Cependant, le nouvel art. L. 2323-17-2° prévoit « des informations et des indicateurs » mais sans précision, contrairement à la situation actuelle. Et le décret prévu (par le nouvel art. L. 2323-19) n’est donc plus encadré par un contenu législatif minimal; il apparaît que l’objectif est, sinon de supprimer ces rapports, d’en réduire très sensiblement le contenu (dans une démarche contraire à la loi du 4 août 2014 qui avait amélioré les données – le rapport « analyse les écarts de salaires et de déroule- ment de carrière en fonction de leur âge, de leur qualification et de leur ancienneté. Il décrit l’évolution des taux de promotion respectifs des femmes et des hommes par métiers dans l’entreprise »).

En résumé, ce projet de loi apparaît comme une remise en cause de progrès du droit prévus par la loi du 4 août 2014 relatif à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Dans ce projet de loi, le dialogue social apparaît encore perçu comme une contrainte et non comme un vecteur de solutions.

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