Le projet de loi « Sécurité de l’emploi » est contraire au droit international et européen

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Le projet de loi « Sécurité de l’emploi » est contraire au droit international et européen
Le projet de loi du 11 janvier 2013, destiné à assurer la réforme de la législation – notamment du Code du travail – pour permettre la mise en œuvre de l’accord national interprofessionnel (Ani) pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés, a été présenté le 6 mars au conseil des ministres. Ce projet de loi relatif à la “sécurité de l’emploi” améliore ponctuellement le texte de l’accord national interprofessionnel, notamment pour tenir compte des engagements internationaux et européens de la France. Cependant, sur plusieurs points essentiels, ce projet de loi est contraire au droit international et européen.Michel CHAPUIS

Voici une illustration des principales évolutions du texte, entre l’Ani et le projet de loi, et une illustration des principales contradictions qui demeurent entre le projet de loi et le droit inter­ national et européen.

Travail à temps partiel (selon le projet de loi : art. 8)

En ce qui concerne l’instauration de la durée minimale hebdomadaire de vingt­quatre heures pour encadrer les temps partiels, le projet de loi précise la période transitoire pour les salariés déjà à temps partiel au 1er janvier 2014. Pendant deux années, ils peuvent demander à passer à cette durée minimale de vingt­quatre heures, et l’employeur ne peut s’y opposer que s’il justifie que l’activité économique ne le permet pas. Selon le projet de loi (art. 8, sous­section 8), un accord collectif peut prévoir la possibilité par avenant d’augmenter temporairement la durée du travail contractuelle. L’accord « peut » prévoir la majoration des heures effectuées. Par consé­quent, l’accord collectif peut ne pas prévoir de majoration. Imagine­t­on de faire signer à des salariés à temps complet des avenants prévoyant l’augmentation temporaire de leur temps de travail sans majoration pour heures supplé­mentaires ? Cette disposition, si elle entrait en vigueur, constituerait une discrimination indi­recte à l’égard des femmes (1), la majorité des salariés à temps partiel étant des femmes et une telle disposition n’ayant pas de justification (la volonté de certaines entreprises, notam­ment dans le secteur de la convention collective nationale de la propreté, d’augmenter leurs marges bénéficiaires ne constituant pas une jus­tification). Une remarque de même nature peut concerner la disposition sur le contrat de travail intermittent. Ces dispositions sont également contraires à l’objet de la négociation collective, qui doit porter sur « l’amélioration des conditions de travail » (2).

Mobilité interne (selon le projet de loi : art. 10)

L’accord national interprofessionnel prévoyait que les salariés refusant de se voir appliquer un accord de mobilité interne négocié dans le cadre de la Gpec (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) devaient être licenciés pour motif personnel. Pour se mettre en conformité avec la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail, ce licenciement pour motif personnel a été transformé en licencie­ ment pour motif économique qui « ouvre droit à des mesures d’accompagnement que doit prévoir l’accord » de mobilité interne.

L’écriture de l’article est calquée sur celle de l’article sur les accords de maintien dans l’emploi, laissant entendre que les modalités de ces licenciements économiques pourraient être dérogatoires par rapport aux dispositions légales, et notamment vis­à­vis de l’obligation de mise en place d’un Pse (plan de sauvegarde de l’emploi) s’il y a plus de dix licenciements. Le projet de loi ne respecte pas le droit international en matière de rupture du contrat de travail par licenciement (3).
Et le projet de loi (art. 10, sous­section 2, « Mobi­ lité interne » et art. 13, § 4, « Mobilité interne ») ne respecte pas non plus le droit de mener une vie familiale normale (4).

« Accord de maintien dans l’emploi » (selon le projet de loi : art. 12)

Le projet de loi réécrit le passage de l’accord national interprofessionnel sur le licenciement des salariés refusant de se voir appliquer l’accord collectif : « lorsqu’un ou plusieurs salariés refusent l’application de l’accord à leur contrat de travail, leur licenciement repose sur un motif économique, est prononcé selon les modalités d’un licenciement individuel pour motif économique et ouvre droit aux mesures d’accompagnement que doit prévoir l’accord ».

Le projet limite le pouvoir du juge judiciaire, en supprimant son contrôle sur le motif du licenciement, et écarte le juge judiciaire au profit des « partenaires sociaux » en cas de violation de l’ac­cord (art. 12, « Accords de maintien de l’emploi », art. L.5125­2). Ces dispositions reprennent celles de l’accord national
interprofessionnel alors que les partenaires sociaux ne peuvent circons­crire les pouvoirs du juge, notamment du juge judiciaire. De telles dispositions apparaissent constitutives d’une atteinte au droit au juge (5). Le projet de loi ne respecte pas le droit international en matière de rupture du contrat de travail par licenciement (6).
Ces dispositions sont contraires à l’objet de la négociation collective, qui doit porter sur « l’amélioration des conditions de travail » (7). Par ailleurs, le projet de loi indique que les accords de maintien dans l’emploi ne peuvent prévoir des baisses de rémunération en dessous du taux horaire du Smic majoré de 20 %. L’avant­ projet de loi prévoyait uniquement que ce type d’accord ne pouvait avoir pour effet de diminuer les salaires compris entre 1 et 1,2 smic.

Procédures de licenciement économique (selon le projet de loi : art. 13)

Le projet de loi apporte quelques précisions sur les nouvelles procédures de licenciement collectif se faisant soit par accord collectif majoritaire (plus de 50 % des voix), soit par plan unilatéral homologué par l’administration. Il est précisé notamment que le document unilatéral de l’em­ployeur doit couvrir exactement le même champ que l’accord collectif. De plus, les délais dans lesquels le comité d’entreprise doit se prononcer courent à compter de la date à laquelle celui­ci est consulté à la fois sur le projet de restructu­ration et sur le projet de licenciement collectif. Le projet écarte le juge judiciaire au profit du seul juge administratif pour le contentieux des licen­ciements économiques (art. 13, sous­section 1, « Délais de contestation et voies de recours », art. L.1235­7­1). Là encore, de telles dispositions apparaissent constitutives d’une atteinte au droit au juge (8). Le projet de loi ne respecte pas le droit international en matière de rupture du contrat de travail par licenciement (9). Ces dispositions sont aussi contraires à l’objet  de la négociation collective, qui doit porter sur « l’amélioration des conditions de travail » (10), et contraires aux obligations de l’employeur en matière de licenciements économiques (11).

Action en justice (selon le projet de loi : art. 16, titre VII, « Prescription des actions en justice »)

Toute action portant sur l’exécution ou la rupture du    contrat    de    travail    se    prescrit    par    « deux    ans » (à de rares exceptions près). Depuis la réforme de la procédure civile (loi du 17 juin 2008), la durée de prescription de droit commun est de cinq ans. Les salariés connaîtraient, pour saisir le juge, des délais plus réduits que les autres justiciables. Cette atteinte au principe d’égalité devant la loi n’a aucune justifi­cation alors que, dans la grande majorité des cas, les salariés, liés à leur employeur par un lien juridique de subordination, saisissent le juge après leur licen­ciement, pour éviter des mesures de rétorsion tant qu’ils sont dans l’entreprise.

Le projet de loi, après son passage devant les diverses instances de consultation (notamment la Commission nationale de la négociation collective) et devant le conseil d’Etat, doit désormais être trans­ mis à l’Assemblée nationale, pour un examen en commission des affaires sociales les 26 et 27 mars. Le législateur doit ne pas ignorer les engage­ments internationaux et européens de la France, et il lui appartient, au­delà, d’élaborer des textes législatifs qui rendent effectifs les droits fon­damentaux prévus dans ces engagements, ces engagements s’imposant dans l’ordre juridique interne (12).
A défaut, des affaires judiciaires de type contrat nouvelles embauches (Cne) se multiplieront (rappel : le juge judiciaire a écarté la législation sur le Cne comme contraire à une convention de l’Oit ; depuis, des employeurs condamnés pour avoir appliqué la législation obtiennent la condamnation de l’Etat et le remboursement des dommages­intérêts qu’ils avaient dû verser aux salariés licenciés sans justification… rembourse­ ment versé par les contribuables).

(1) Directive n° 2006/54, Cjce, 6 décembre 2007.
(2) Charte sociale européenne, protocole du 5 mai 1988.
(3) Convention de l’Organisation internationale du travail n° 158, spéc. art. 4, 8, 9 et 13.
(4) Convention de l’Organisation internationale du travail n° 156. Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, art. 8.
(5) Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, art. 6, et jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Art. 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
(6) Convention de l’Organisation internationale du travail, n° 158, spéc. art. 4, 8, 9 et 13.
(7) Charte sociale européenne, protocole du 5 mai 1988.
(8) Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, art. 6, et jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Art. 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
(9) Convention de l’Organisation internationale du travail, n° 158, spéc. art. 4, 8, 9 et 13.
(10) Charte sociale européenne, protocole du 5 mai 1988.
(11) Directive n° 98/59.
(12) Articles 55 et 88 de la Constitution française.

Bibliographie
M. Miné, C. Boudineau, A. Le Nouvel, M. Mercat-Bruns, D. Roux- Rossi, B. Silhol, Le Droit social international et européen en pratique, Ed. d’Organisation–Eyrolles, Paris, 2e éd., 2013, 402 p., 35 euros.

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