10 % pour la Fonction publique, pourquoi, comment ? Le décryptage complet.

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10 % de temps de travail en moins, 10 % d’effectif en plus, 10 % d’augmentation indiciaire et salariale : pourquoi c’est nécessaire et comment le financer ?

ÉTAT DES LIEUX

Sur les salaires et le pouvoir d’achat

Depuis le 1er janvier 2000, la valeur du point d’indice a décroché de 21 % par rapport à l’indice des prix à la consommation. Ceci étant, il serait erroné d’en conclure que la perte de pouvoir d’achat serait égale à 21 %.En effet, dans la même période, de nombreuses dispositions liées à des revalorisations par ajouts de points dans la grille indiciaire sont venues pondérer cette chute.

Ce que nous pouvons avance comme constats incontestables

Le Conseil d’Orientation des Retraites, dans son dernier rapport, pointe plusieurs chiffres. Le premier, c’est que le traitement indiciaire brut moyen des fonctionnaires, observé sur la période 2006-2019, a baissé de 5,6 % à l’État et de 7,9 % pour ceux relevant de la CNRACL par rap-port au Revenu Moyen Par Tête brut de l’ensemble de l’économie. Le second, c’est que la part des traitements indiciaires bruts de la Fonction publique rapportée à la masse des rémunérations brutes de l’ensemble de l’écono-mie, toujours de 2006 à 2019, a baissé de 12,8 à 10,6 %.

Attention | Les « rémunérations brutes » de l’économie française ici considérées par le COR incluent les revenus d’activité des actifs non salariés.

Ces éléments de comparaison de la Fonction publique avec l’ensemble de la population rémunérée sont très inté-ressants, d’autant qu’ils proviennent d’une institution que les libéraux de tous poils ne peuvent renier.

Toujours en prenant le référentiel de l’an 2000, les effets du décrochage puis du gel de la valeur du point sur la grille indiciaire sont extrêmement parlants :

  • Environ 1 million d’agents sont actuellement payés entre le SMIC et le SMIC + 10 %. C’est 2 fois plus qu’en 2000
  • Un agent de catégorie C déroulant sa carrière complète sur 2 grades « bénéficie » d’une amplitude de carrière de 27,8 %. C’était 39 % en 2000 avec une carrière plus courte de 6 ans. En espèces sonnantes et trébuchantes, cela signifie qu’un agent déroulant cette carrière ne verra sa rémunération indiciaire augmenter que de 12 euros nets en moyenne par an. Et encore, cela suppose qu’il accède au second grade dans les meilleurs délais.
  • La tendance est la même pour la catégorie B puisque l’amplitude indiciaire sur les 2 premiers grades est aujourd’hui de 56 % alors qu’elle était de 71 % en 2000, pour une durée de carrière moins longue.
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Ces quelques données, qui soulignent l’ampleur de la baisse de pouvoir d’achat et de compression des carrières des fonctionnaires, apportent également une réponse la baisse « d’attractivité » des carrières de la Fonction Rappelons en effet qu’une étude récente indique que le nombre de candidats aux concours de la FPE est passé de 650 000 en 1997 à 228 000 en 2018 pour un nombre de postes offerts similaire. En dépit d’un chômage toujours plus massif, les emplois de la Fonction publique n’ont donc plus la cote. Cette situation déplorable trouve son origine dans les freins mis aux déroulement de carrière, l’absence de revalorisation significative des grilles et la faible prise en compte des qualifications acquises.

Sur le nombre d’emplois

D’abord, il faut souligner que le nombre d’emplois dans la Fonction publique ne signifie pas grand-chose s’il n’est pas corrélé à d’autres éléments. Ensuite, les comparaisons internationales, qui sont souvent prises en référence en la matière, sont à prendre en compte avec quelques précautions.

Par exemple, lorsque l’on rapporte le nombre d’agents publics à la population active, il faut avoir présent à l’es-prit que le taux d’activité en France est assez bas par rap-port à la moyenne européenne. Du coup, cette référence est quelque peu aléatoire, pour ne pas dire biaisée.

Second exemple, il faut bien préciser ce dont on parle lorsque l’on regarde les taux d’administration (c’est-à-dire, le nombre d’agents publics rapporté à la population globale) . Il convient de ne pas comparer, en particulier, uniquement les personnels à statut pour lesquels la France est de loin le pays le mieux pourvu ou encore les seuls fonctionnaires d’administration fédérale (pour les pays organisés en régions autonomes) avec le total des 3 versants pour la France.

En conclusion de cette introduction, le plus pertinent est donc de prendre les données se rapportant aux agents publics quels que soient leurs statuts et dont les rémunérations sont prises en charge sur les budgets publics.

À cette aune, toujours en utilisant l’année 2000 comme référentiel, la France est passée de 87 emplois de la Fonction publique (donc, attention, pas des services publics dans leur ensemble) pour 1000 habitants en 2000 à 84 aujourd’hui (par rapport à la population active, compte tenu des éléments rappelés juste avant, le ratio est totalement stable, 18,76 % et 18,79 %). Même si nous nous situons dans la moyenne haute, bien d’autres pays sont davantage « administrés » que nous. Une première illustration peut en être faite en regardant le nombre d’emplois pour 1000 kilomètres carrés. Dans ce cas, la France se situe entre le 7e et 10e rang européen selon les études.

En taux d’administration (attention : les données inter-nationales incluent souvent d’autres services publics que la stricte Fonction publique. En France, environ 10 % des emplois dits publics sont en dehors de la FP), plusieurs pays devancent et de loin notre pays. En effet, si avec les emplois des autres services publics, la France compte un taux d’administration de 89 pour 1000, c’est loin derrière la Norvège avec ses 159 pour 1000, le Danemark avec ses 142 pour 1000 ou encore le Canada avec ses 100 pour 1000. Et cependant, la Norvège affiche un taux de chômage de 3,2 % et une dette publique de 41 % du PIB, le Danemark un chômage de 5,2 % et une dette de 35 % et le Canada respectivement de 6 % et 49 %. La France affiche un taux de chômage d’environ 9 % et une dette publique entre 95 et 100 % (avant la crise sanitaire).

Attention | Un haut niveau d’emplois publics n’est en rien synonyme d’une dette publique importante et d’un fort taux de chômage.

Sur le temps de travail

Là, également, il convient de préciser d’emblée que les études exhaustives et sérieuses sont bien rares, pour ne pas dire inexistantes. La dernière, un tant soit peu étayée, est celle pilotée par Philippe Laurent qui a été rendue publique en mai 2016. Il y est d’ailleurs souligné par les auteurs eux-mêmes les limites du travail effectué. Ce rapport souligne que, selon les données qui ont pu être

recueillies, le temps annuel moyen de travail dans toute la Fonction publique s’établit à 1584 heures. Rappelons que la base réglementaire en vigueur est de 1607 heures. Le différentiel est donc de 1,4 % inférieur à la durée légale.

Sans même qu’il soit besoin d’évoquer ici les conquêtes obtenues ici et là (notamment des jours de congés supplémentaires), pointons les éléments incontournables qui permettent d’éclairer cette situation et de largement la justifier. Globalement, les agents de la Fonction publique sont assujettis à des astreintes 2 fois supérieures à celles des autres salariés. Par exemple, 37 % des fonctionnaires travaillent régulièrement la nuit contre 26 % chez les salariés du privé et 18 % travaillent le dimanche pour 15 % dans le privé. Il va de soi que découlent de ces astreintes très présentes un certain nombre de compensations en termes de repos. En effet, tout le monde peut comprendre que les indemnités diverses ne sont pas en mesure de réparer les dégâts physiques et psychologiques causés par ces conditions de travail particulièrement éprouvantes : les aménagements horaires sont donc indispensables.

De ce fait, les réductions d’horaires ô combien légitimes et essentielles liées à ces sujétions ne peuvent qu’induire un horaire de travail affiché inférieur à la durée légale. On peut même considérer que les 1,4 % cités plus haut (soit 6 minutes par jour) sont bien dérisoires compte tenu des grandes difficultés et des lourdes exigences de nombre de missions de la Fonction publique.

De ce point de vue, notre revendication d’une réduction du temps de travail de 10 % est pleinement validée. D’au-tant que, le rapport Laurent le précise, les horaires pris en compte sont les horaires théoriques. Et de citer l’exemple des infirmières et des infirmiers qui, compte tenu de leurs astreintes, devraient émarger à 32h30 hebdomadaires et dont tout le monde sait que, dans la réalité, leur temps de travail dépasse très largement les 35 heures.

Pour finir sur le temps de travail dans la Fonction publique, il est intéressant et significatif de s’arrêter sur les heures supplémentaires. Le dernier document disponible à ce sujet est une étude de la Cour des Comptes rendue publique en 2020. Si la Cour souligne la difficulté d’avoir des données renseignées sur une grande partie des heures supplémentaires dès lors qu’elles ne sont pas rémunérées, l’étude permet cependant de cerner l’ampleur du phénomène dans les 3 versants.

En effectuant un certain nombre de calculs à partir des éléments recensés par la Cour, on peut estimer qu’en 2018, année où les derniers chiffres sont recensés, les agents de la Fonction publique ont effectué entre 240 millions et 300 millions d’heures supplémentaires. Autrement dit, sur la base des 1584 heures de durée moyenne du temps de travail annuel, cela représente entre 150 000 et 190 000 emplois à plein temps.

 

LE CHIFFRAGE DE NOS REVENDICATIONS

C’est un aspect très important de notre campagne. Pas besoin d’être devin pour savoir que nos adversaires vont nous entreprendre sur la crédibilité de nos revendications, en particulier sur leur financement. On peut d’ores et déjà imaginer sans peine le concert sur le creusement de la dette publique, la facture laissée à nos enfants, etc, etc. Il faut donc s’y préparer et, surtout, y apporter des réponses.

D’abord, nous rappellerons qu’investir des moyens budgétaires dans le développement et la création de services publics, c’est investir dans le développement de notre pays, dans l’aménagement de son territoire, dans les conditions du renforcement de son appareil productif, dans sa cohésion sociale, dans le bien-être de sa population. C’est à la fois se doter des moyens de répondre aux besoins immédiats et se mettre en situation de satisfaire ceux à venir. Cette vision stratégique, intégrant le long terme, doit aussi concourir à faire vivre une autre vision de l’endettement public que celle des adversaires de la régulation publique avant tout motivés par la logique du profit à court terme.

Bien entendu, nous pourrons utilement mettre de nouveau en avant les dizaines de milliards d’euros annuels de crédits publics accordés au patronat pour les résultats que nous connaissons : multiples plans de licenciements, maintien du chômage massif… Nous pourrons, dans la même veine, souligner une fois de plus que la France est la championne des dividendes versés aux actionnaires alors que, dans le même temps, les entreprises consacrent très peu d’argent à la formation professionnelle et à l’investissement dans le développement et la recherche.

Tout cela est absolument juste et nous devons rappeler ces éléments comme autant de preuves de l’injustice sociale. et du fait que tout est une question de choix politiques. Il nous faut aller plus loin et donner le chiffrage de nos légitimes revendications ainsi que les pistes crédibles permettant leur financement. C’est l’objet des quelques lignes qui suivent qui, bien entendu, ne prétendent à aucune exhaustivité ni à aucun caractère définitif.

D’abord, il est nécessaire de clarifier le versant « coût » de nos revendications. On nous objecte souvent que l’augmentation de la valeur du point représente une dépense annuelle d’environ 2 milliards d’euros (en fait, plus près d’1,8 milliard). Mais, puisque cet argument est corrélé au supposé sujet de l’insoutenabilité de la dette publique, la rigueur intellectuelle impose de ne pas se contenter de ce chiffre. En effet, les presque 2 milliards complaisamment mis en avant, c’est le coût total de l’augmentation de la valeur du point, autrement dit incluant les cotisations des employeurs publics à nos régimes de retraite et à l’assurance maladie. Mais, et cela nos détracteurs ne le disent jamais, lorsque l’on procède à une augmentation des salaires, on accroît mécaniquement la partie salariale des cotisations, retraite — quel que soit le régime — et CSG. Il y a donc une rentrée significative de financement qu’il faut absolument prendre en compte.

Ensuite, les agents de la Fonction publique, comme le reste des travailleurs, sont assujettis à l’impôt sur le revenu. Et bien entendu payent aussi de la TVA. La revalorisation de la valeur du point a donc des répercussions à la hausse sur les rentrées fiscales.

Tous ces éléments dûment intégrés permettent d’avancer de manière étayée que 1 % d’augmentation de la valeur du point revient, après avoir effectué la balance entre dépenses et recettes, à une fourchette située entre 1,2 et 1,4 milliard d’euros. Autrement dit, augmenter de 10 % la valeur du point représente entre 12 et 14 milliards de dépenses supplémentaires nettes.

Sur les emplois, 500 000 créations représentent, sur la base du salaire moyen de la Fonction publique calculé sur les 3 versants, une somme d’environ 15 milliards d’euros. Cependant, là aussi, l’aspect coût n’est pas le seul à prendre en compte. En effet, l’État et les collectivités territoriales participent directement au financement du chômage. Les études les plus récentes et les plus sérieuses montrent que cette prise en charge s’élève, tout confondu, à une fourchette comprise entre 5 et 8 000 euros par an et par chômeur. Par ailleurs, l’indemnisation d’un chômeur est, en moyenne, largement en deçà du traitement moyen des agents de la Fonction publique. Autrement dit, dans ce cas de figure également, recruter des fonctionnaires au lieu d’indemniser des chômeurs, cela fait rentrer des cotisations sociales et des impôts supplémentaires.

Au total, ces 2 paramètres — moindres dépenses pour les financements publics des chômeurs embauchés et rentrées d’argent via cotisations et impôts augmentés — représentent un solde net pour les finances publiques de 7 500 à 11 500 euros annuels par chômeur. Multiplié par 500 000, nous parvenons à un total de 3,75 à 5,75 mil-liards d’euros à soustraire des 15 milliards d’euros que représentent les salaires globaux du demi-million d’embauches.

Pour synthétiser, nos revendications de 10 % d’augmentation de la valeur du point et de 500 000 créations d’emplois occasionnent un coût réel compris entre 21,25 et 25,25 milliards d’euros.

 

COMMENT FINANCER NOS EXIGENCES ?

Conditionner les aides publiques aux entreprises

Darmanin les estime à 140 milliards annuels et la CGT à 200 milliards. On peut estimer, dans l’hypothèse la moins ambitieuse, que cette conditionnalité fera baisser d’au moins 15 % les sommes concédées aux entreprises (on sera toujours largement au-dessus de la moyenne de l’OCDE).

Cela représente donc, selon le chiffrage retenu, entre 20 et 30 milliards d’euros économisés. Le nombre d’agents de la Fonction publique représentant environ 20 % de la population active, on pourrait dégager 4 à 6 milliards d’euros pour les 3 versants et ses agents.

Rétablir l’ISF en le réformant et en améliorant son rendement.

Le gain pour les ressources fiscales peut être estimé au minimum à 10 milliards d’euros. Toujours sur la base des 20 % d’agents de la Fonction publique, on pourrait réaffecter 2 milliards d’euros à la Fonction publique.

Taxer les profits des multinationales qui échappent actuellement à l’impôt

La CGT estime que 36 milliards d’euros de profits des multinationales échappent annuellement à l’impôt. Les taxer aux taux pratiqués sur le territoire national rapporterait 14 milliards d’euros. Et donc, 2,8 milliards pour-raient être affectés à la Fonction publique.

Lutter plus efficacement contre la fraude fiscale

La fraude fiscale est estimée autour de 80 milliards d’euros par an qui font défaut aux recettes publiques. Dans un premier temps, mieux lutter contre ces fraudes permet-trait de récupérer 10 milliards d’euros, dont 2 milliards pour la Fonction publique.

Réduire les niches fiscales

Les niches fiscales supprimées seraient celles sans réelle utilité sociale, économique ou environnementale qui profitent aux plus riches. Cela pourrait rapporter 50 milliards d’euros par an dont 10 pour la Fonction publique.

 Mieux taxer les dividendes

Ceux-ci ont été multipliés par 8 ces 40 dernières années ! Une taxation plus efficace et plus dissuasive rapporte-rait 4 milliards d’euros annuels et donc, en suivant notre logique des 20 %, 0,8 milliard pour la Fonction publique.

On arriverait donc à un total de 21,6 à 23,6 milliards mobilisables pour la Fonction publique et ses agents, à rapprocher des 21,25 à 25,25 milliards du coût de nos revendications. Elles sont donc parfaitement finançables. Ajoutons à cela qu’en recrutant 500 000 fonctionnaires, on améliore la qualité du service public rendu et on rémunère des salariés tout en permettant de réduire le niveau de chômage du pays.

Enfin, pour rester centré sur les enjeux économiques, la satisfaction de nos revendications permettrait une relance saine. Cela aurait, par ailleurs, des vertus au plan environnemental puisque l’augmentation du pouvoir d’achat peut permettre à une part plus importante de la population d’avoir accès financièrement à des équipements plus récents, moins énergivores et produits selon des normes sociales et environnementales plus élevées.

Encore une fois, il s’agit de tracer ici des pistes qui ne s’op-posent pas à d’autres ni ne prétendent à clore les nécessaires débats sur cette question importante du finance-ment de nos services publics.

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