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Révolution numérique et crise sanitaire ont profondément remis en cause les conditions et le temps de travail des ICTAM
L’idéologie patronale tente de réduire la vie à la vie au travail – « un cadre n’a pas
d’horaire », « réussir sa vie professionnelle, c’est réussir sa vie » – et considère que la responsabilité professionnelle implique une disponibilité 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7… 44h30 par semaine pour les cadres, 42h30 pour les professions intermédiaires : le temps de travail des ingénieur.es, des cadres, des professions techniciennes et intermédiaires (ICTAM) est bien loin des 35 heures !
D’ailleurs, en pleine révolution numérique l’arrivée de la crise sanitaire a donné au capital un levier incroyable d’asservissement via les technologies de communication, d’information et le télétravail. Il fallait tenir ! Ne pas compter ses heures, son investissement… tenir pour son entreprise, son administration, tenir pour la France, son économie et l’avenir du pays, et tenir pour notre survie et la survie de notre système de santé. L’humain, son équilibre, son droit au temps libre et aux loisirs, sa santé physique et mentale, son épanouissement et son émancipation ont été oubliés. Le droit n’est plus appliqué.
Le patronat se croit affranchi de toute responsabilité et de ses obligations en matière de respect du temps de travail et de préservation de la santé des salarié.e.s. Aspirant à une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, une large majorité d’ICTAM souhaite pouvoir continuer à télétravailler, mais dans un cadre clair, avec des droits et une limitation du nombre hebdomadaire de jours télétravaillés respectant scrupuleusement la réglementation actuelle sur le temps de travail.
La crise sanitaire a en effet modifié les priorités des ICTAM, qui sont de plus en plus nombreux.ses à vouloir passer plus de temps avec leurs proches. C’est un point d’appui pour mener la bataille pour la réduction du temps de travail !
Il ressort du baromètre cadre Ugict-Viavoice-Secafi de décembre 2020 que :
- La généralisation du télétravail chez les ingénieur.es, les cadres, les professions techniciennes et intermédiaires s’est opérée en mode informel et dégradé. Le travail à distance c’est imposé ! 64 % des cadres considèrent que les pratiques de télétravail sont insuffisamment encadrées, et 75 % qu’elles ne protègent pas des durées excessives de travail et ne garantissent pas le droit à la déconnexion. Ce droit est aujourd’hui plébiscité par les cadres qui sont 69 % à souhaiter en disposer. 78 % des répondant·e·s de notre enquête pendant le premier confinement déclarent qu’il n’y a pas de mise en place de droit à la déconnexion et 78 % également qu’il n’y a pas de définition de plages horaires pendant lesquelles il faut être joignable.
- La généralisation des contrôles renforcés par les dispositifs technologiques et les objectifs chiffrés.
- Une réorganisation du lieu de travail imposée aux ICTAM (open space, flex office…) sans qu’ils aient eu voix au chapitre induisant une dégradation de leurs conditions de travail majorée par une intensification du travail. Une déstructuration des temps et des lieux de travail, l’intrusion des outils numériques prolongeant le lien de subordination hors travail en effaçant les frontières spatio-temporelles.
- Leur mise en première ligne pour réorganiser les process de travail, garantir la continuité de l’activité et la santé des équipes : 61 % des cadres font part d’une augmentation de leur charge de travail et 59 % des cadres déclarent travailler pendant leurs jours de repos. Ils sont 62 % à considérer que leur rémunération est en déconnexion avec leur degré d’implication !
- La densification et l’intensification du travail et une croissance des « burn out »
- Une explosion des temps de connexion.
- Le développement des horaires atypiques, du travail dominical, les jours fériés, et même de nuit
- L’aspiration à rééquilibrer les temps entre vie privée et vie professionnelle, qui est la première priorité pour 64 % des cadres et 63 % des professions intermédiaires.
La semaine des 4 jours avec les technologies de l’information et de la communication : réalité ou utopie ?
Le débordement de la vie professionnelle sur la vie privée s’explique principalement par un déséquilibre entre le temps de travail des salarié·e·s et leur charge de travail, les employeurs leur imposant de faire toujours plus avec toujours moins de moyens humains ou matériels.
À cela s’ajoute une utilisation délétère des outils numériques et la pratique d’un
« management » déshumanisé, coercitif, qui met en concurrence les salarié·e·s dans une logique gestionnaire visant la rentabilité financière à court terme : tout est organisé pour prolonger le lien de subordination au-delà de la durée de travail contractuelle.
Face à cette intrusion intempestive dans la sphère privée, à l’heure du « tout-connecté », il y a nécessité d’encadrer l’utilisation professionnelle des technologies de l’information et de la communication. Il nous faut partir du vécu au travail des ingénieur.es, des cadres, des professions techniciennes et intermédiaires .
Leur besoin d’autonomie dans l’organisation du travail, l’aspiration à la souplesse et à la maîtrise de l’emploi du temps, le refus d’un travail normé de l’extérieur, sont instrumentalisés par le patronat pour supprimer le décompte horaire et passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats coûte que coûte.
Le décompte du temps de travail, a priori et / ou a posteriori, est fondamental pour en garantir la rémunération, tout comme le respect des temps de repos, et empêcher un glissement des responsabilités de l’employeur vers le, la salarié.e.
Nous ne devons pas laisser faire le patronat, nos directions. Nous ne devons rien laisser passer… il n’y a pas de petites luttes pour le respect du temps de travail. C’est le sens de l’histoire !
La question du temps de travail est aujourd’hui d’une modernité criante face à un taux de chômage très élevé et des temps de travail qui dépassent l’entendement, des retraites malmenées, une pauvreté qui explose, un état sanitaire global de la population qui se dégrade, … Cela justifie, s’il le fallait, notre revendication des 32
La semaine de 4 jours parle particulièrement aux ICTAM : elle répond à leur aspiration de meilleure articulation entre vie professionnelle et privée et satisfait aux exigences d’un travail souvent exercé dans une grande autonomie.
Par ailleurs, de plus en plus d’entreprises en France et dans le monde sont déjà passées au 32 heures et/ou à la semaine des 4 jours sans perte de salaire, sans destruction d’emploi et sans perte de productivité (LDLC, Boesch, Rexroth Vénissieux, Welcome of the Jungle, love Radius dans le Var…). Certaines de ces entreprises comportent une majorité d’ingznieur.es, de cadres, de professions techniciennes et intermédiaires.
Sur le fondement de ces considérations, l’Ugict-CGT décide de :
- De défendre l’application des 35 heures pour les ICTAM au même titre que pour les autres salarié.e.s afin de faire obstacle à la volonté du patronat de remettre en cause nos conquis sociaux.
- En vue d’obtenir les 32 heures, d’engager la bataille pour la réduction du temps de travail des ICTAM et pour la semaine de 4 jours. Le progrès technique et l’accroissement de la productivité doivent servir à réduire l’intensité du travail et sa durée, à en transformer le contenu, à permettre à tous les salarié.e.s, ICTAM compris, de concilier vie professionnelle et vie privée ! Nous mènerons une vaste campagne sur l’efficacité de la réduction du temps de travail pour toutes et tous ainsi que pour la planète.
- De démontrer les enjeux sociaux environnementaux et sociétaux de la réduction du temps de travail à partir du vécu au travail des ICTAM.
- D’agir pour alléger la charge et le temps de travail pour créer des emplois et respecter le droit constitutionnel au travail. Dans cet objectif, systématiser dans les collectifs de travail une mesure partagée et objective de la charge de travail.
- De combattre les forfaits jours en imposant un décompte du temps de travail garantissant le respect des durées maximales de travail et des périodes minimum de repos et la rémunération correspondante ;; limiter le nombre maximum de jours travaillés à 200 par an (au lieu de 235 actuellement), sans possibilité d’y déroger ; obtenir des embauches pour baisser la charge de travail. Dans les négociations sur les forfaits jours, la CGT a un rôle moteur à jouer, en s’appuyant sur la jurisprudence gagnée par l’Ugict-CGT grâce au rapport de forces pour empêcher les forfaits jours ou en réduire la nocivité.
- De gagner une évaluation et régulation collective du temps et de la charge de travail
Les CSE, CSSCT et CHSCT doivent être informés et consultés sur les mesures envisagées par l’employeur dans le cadre de la prévention des risques pour les télétravailleur.e.s. Il convient de mettre en place des systèmes d’alerte en cas de dépassement des durées maximum de travail ou de non-respect des temps de repos, de porter la durée minimum quotidienne de repos à 12 heures consécutives dans le Code du travail. Il faut donner pouvoir aux managers qui organisent le travail pour « dimensionner » les équipes en quantité comme en qualité (en concertation avec les salarié.e.s) et enfin garantir l’indépendance des services de santé au travail et le rôle des médecins du travail.
- De favoriser un meilleur partage de l’exercice de la parentalité par de nouveaux droits à :
- un aménagement et allégement du temps de travail pour enfants, personnes âgées ou dépendantes à charge
- un congé maternité prolongé de 16 à 24 semaines et rémunéré à 100 %
- l’effectivité du congé de paternité, son allongement à 4 mois, et sa rémunération à 100 %
- une meilleure rémunération et partage du congé parentalité.
- De gagner un vrai droit à la déconnexion. L’employeur est responsable du respect du temps de travail et du temps de repos. À lui de prendre les mesures pour le garantir, pas question de faire culpabiliser les salarié.e.s ! Le droit à la déconnexion, introduit dans le Code du travail grâce à la bataille menée par l’Ugict-CGT, doit s’appliquer à travers des mesures concrètes et notamment :
- la mise en place de périodes de trêve des messageries et des réseaux sociaux professionnels au moins équivalentes au temps de repos.
- l’encadrement des conditions d’utilisation des outils de communication mis à disposition par l’employeur afin d’éviter les sollicitations professionnelles en dehors des heures de travail. Les périodes où le/la salarié.e doit être joignable doivent être précisées clairement et ne pas dépasser son temps de travail
- D’encadrer strictement le télétravail et gagner de nouveaux droits :
- une prise en charge réelle par l’employeur de toutes les dépenses
- un système de décompte horaire pour respecter la règlementation et la durée de travail contractuelle avec définition claire des plages horaires sur lesquelles les salarié.e.s doivent être joignables. Les temps informels d’échange et de socialisation doivent être intégrés dans le temps de travail car ils sont indispensables au fonctionnement du collectif et à la qualité de nos productions.
- une organisation du travail qui permette de garder le contact avec le collectif de travail. La norme du télétravail doit être au maximum d’un mi-temps pour permettre au collectif de travail de se retrouver au complet. Les télétravailleur.se.s doivent avoir accès à toutes les informations de l’entreprise, et les syndicats et représentant.e.s du personnel doivent pouvoir leur envoyer des informations et les consulter par mail.
- le télétravail ne doit pas être imposé par l’employeur et doit toujours être réversible. L’objectif est de fixer un cadre collectif clair et de laisser aux salarié·e·s la souplesse de choisir de télétravailler ou pas, avec un délai de prévenance. Le télétravail doit être un moyen pour gagner de l’autonomie sur le contenu de son travail et sur son organisation. Le domicile étant un lieu privé, les systèmes de surveillance doivent en être bannis (excès de reporting…).
- les représentant·e·s du personnel doivent être consulté·e·s sur toute collecte de données et sur tous les dispositifs de suivi et de contrôle de l’activité des salarié·e·s. Leur usage doit être limitée à un objectif concret et transparent, formalisé avec des règles claires. Des délais de destruction des données doivent être prévus.
- nous voulons repenser et réorganiser le management. Le télétravail nécessite une relation de travail basée sur la confiance et une plus grande autonomie dans l’organisation de son travail. Pour cela, il est important de former le management de proximité à cette nouvelle organisation et de revaloriser le rôle, l’autonomie et les moyens des managers de proximité.
- nous voulons des lieux de travail adaptés. Un poste de travail doit être maintenu pour chaque télétravailleur.se dans son entreprise ou administration. Avec la crise sanitaire, les open space gigantesques et organisations en flex office ont démontré leur caractère pathogène : il est temps de mettre fin à ces lieux de travail déshumanisants. Les espaces de travail doivent être conçus avec celles et ceux qui les occupent. Le financement des des tiers-lieux par l’employeur doit être garanti.. Les syndicats, IRP et l’Inspection du travail doivent avoir la possibilité d’accéder au lieu de travail sous réserve de l’accord du télétravailleur.se. et moyennant le respect d’un délai de prévenance.
- Le télétravail peut faciliter l’accès ou le maintien dans l’emploi de personnes en situation de handicap (fatigabilité, suivi des protocoles de soins, traitement incompatible avec la conduite et difficulté de déplacement en transport en commun, etc.), mais également en cas de
« handicap temporaire » : pour les reprises en temps partiel thérapeutique, le télétravail peut être une mesure d’adaptation de poste permettant d’éviter une déclaration en inaptitude et un reclassement – voire pire -. L’employeur doit financer le matériel adapté à la situation de handicap de la personne concernée pour lui permettre l’accès au télétravail dans les mêmes conditions que ses collègues. Ceci doit être travaillé en lien avec la médecine du travail sans renoncer à trouver des solutions en présentiel. Enfin le télétravail ne doit pas se substituer à un arrêt maladie ou à des congés pour enfants malades !