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Cette année, l’Insee a décrit dans une étude la triste évolution du marché du travail, qui dévalorise les diplômes et laisse de côté les non-diplômés.
Une publication récente de l’Insee1 revient utilement sur le double phénomène rappelé en titre et dont la connaissance est essentielle. Elle indique tout d’abord qu’en 2018, parmi les 29,2 millions de participants au marché du travail, actifs ou privés d’emploi, « seuls » 4,9 millions, soit 16 %, n’avaient pas de diplôme ou au plus le brevet des collèges. En 1982, ce pourcentage était de 54 %2. Elle montre aussi qu’« en près de 40 ans, la situation relative des peu ou pas diplômés s’est dégradée » en termes d’exposition au chômage et de qualité d’emploi.
Cette dégradation ne saurait être imputée à une moindre demande du système productif les concernant. En effet, « si la proportion de peu ou pas diplômés était restée la même dans chaque profession […], alors leur emploi n’aurait diminué que de 1% » depuis 2003 et non pas de 42 % comme observé : « C’est le signe que les professions qui les employaient se sont maintenues, mais elles ont recruté à des niveaux de diplôme plus élevés », phénomène qui « se traduit le plus souvent par une éviction des moins diplômés »3 et explique leurs difficultés particulières d’emploi4.
Remise en question des idées reçues
Ces constats ont plusieurs implications. Ils contredisent par exemple l’idée selon laquelle le Smic serait responsable, du fait de son niveau prétendument trop élevé, de « l’exclusion » des travailleurs non qualifiés du marché du travail, ce qui justifierait l’absence de « coups de pouce » et la mise en œuvre de politiques d’exonérations de cotisations sociales5. Si pour pourvoir des emplois non qualifiés, les entreprises recrutaient principalement des « peu ou pas diplômés », la situation de ces derniers ne serait pas aussi défavorable…
Soulignons d’ailleurs qui si en quarante ans, la proportion de peu ou pas diplômés a été divisée par trois, tel n’est pas le cas de la part des salariés payés au Smic (13,4 % en 2019). Rappelons aussi que l’élévation du niveau d’éducation décrite par l’Insee est à l’origine de la promotion par le Medef à la fin des années 1990 de la logique « compétences »6. Si les entreprises ont besoin de salariés diplômés, elles ne sont pas prêtes pour autant à leur verser un juste salaire…
1. Claude Picart (2020), « Le non-emploi des peu ou pas diplômés en France et en Europe : un effet classement du diplôme », in Insee, Emploi, chômage, revenus du travail – Édition 2020, coll. « Insee Références », juillet.
2. Le taux de chômage était de 9 % en 2018 contre 6,8 en 1982.
3. De plus, ceux-ci sont en moyenne plus âgés que les diplômés.
4. Le phénomène est plus facilement repérable dans la fonction publique. Il apparaît ainsi que 33,6 % des agents de la fonction publique d’État recrutés en 2017 en catégorie C, catégorie accessible aux personnes ayant un niveau Brevet mais aussi, dans certains cas, non diplômées, avaient un niveau Bac. 16,5 % avaient un niveau supérieur ou égal à Bac + 4, 35,7 % un niveau Bac +2 ou Bac +3… Cf. Direction générale de l’administration et de la fonction publique (2019), Rapport annuel sur l’état de la fonction publique – Édition 2019. Politiques et pratiques de ressources humaines. Faits et chiffres
5. L’étude suivante nous apparaît symptomatique de ce type d’idées: Sylvain Catherine, Augustin Landier, David Thesmar (2015), Marché du travail: la grande fracture, Institut Montaigne, février. Le niveau de qualification y est repéré par celui du diplôme. Elle méconnaît totalement le phénomène de déclassement illustré par l’Insee.
6. Cf. l’article suivant de deux anciens responsables du Medef : Bruno Lacroix, Alain Dumont (1999), « Préférer la compétence au diplôme », Sociétal, n° 26, septembre.