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Pour se rapprocher du peuple avec qui le divorce est consommé depuis la crise des gilets jaunes, Macron tente un coup de com’ en annonçant la suppression de l’ENA (et probablement la refonte de l’INET pour la FPT et l’EHESP pour la FPH). Son intention est de faire de cette décision un marqueur politique de son quinquennat. La ficelle populiste en réponse au grand débat national est un peu grosse surtout dans le contexte où la campagne européenne risque elle aussi de tourner à la dénonciation des « technocrates de Bruxelles ». Macron ne fait-il pas une manoeuvre d’esquive pour faire oublier qu’il est l’incarnation de cette caste dirigeante, froide et coupée des Français ?
N’est-on pas en train de désigner des boucs émissaires faciles à la vindicte populaire qui menace d’emporter le président des riches ? Est-ce l’ENA en tant que tel qu’il faut dénoncer ou la politique que les gouvernements ont demandé aux énarques de mettre en application depuis plusieurs décennies, à commencer par l’austérité libérale imposée au peuple ? Symptôme de la crise politique de l’État, peut-on dire pour autant que l’ENA en est la cause ?
La haute fonction publique souffre d’avoir été trop imprégnée par la doctrine libérale et l’axiome, paradoxal pour les serviteurs de l’État, du « toujours moins d’État » enfermant les élites dans une forme de pensée unique. La sélectivité sociale a entretenu une logique de reproduction sociale des classes supérieures dans les concours d’entrée à l’ENA. Le système du pantouflage et la perméabilité croissante avec les grandes entreprises a jeté le discrédit sur l’attachement des énarques à l’intérêt général et au service public. Aujourd’hui, nous sommes au crépuscule d’un système où l’ENA fait face à ses propres contradictions.
Plutôt que de supprimer l’ENA, ne faut-il pas au contraire essayer de renouer avec l’esprit des fondateurs de l’ENA en 1945 ? Après les ravages de la guerre, il était indispensable de garantir le recrutement des meilleurs talents au service de la République. Au sortir de l’épuration et avec la mémoire d’un comportement peu exemplaire de quelques hauts fonctionnaires sous le régime de Pétain, il s’agissait aussi de garantir que l’esprit républicain irrigue toute la fonction publique. Au vu de l’immense tâche de reconstruction, il s’agissait de définir le socle d’un État régulateur, protecteur et interventionniste sur le plan économique et social tel que la France n’en avait jamais connu auparavant. Notre pays aurait-il de nos jours moins besoin de fonctionnaires hautement qualifiés alors que le besoin de renouveau des services publics du XXIème siècle se fait quotidiennement sentir ?
On ne peut qu’être étonné des déclarations qui jettent un soudain discrédit sur l’ensemble des hauts fonctionnaires. Dès lors toute dénonciation populiste de la « caste administrative » formée à la haute école ne peut qu’être reçue avec prudence. Si la logique de « caste » devait être remplacée par la logique de « clan » dans un système proche du « spoil system » tel qu’il se pratique dans l’administration américaine, ou pire dans une logique de « cour jupitérienne », on peut sérieusement douter que les Français y trouvent leur compte et que l’intérêt général soit au cœur des préoccupations. A défaut d’alternative clairement posée, le président ne peut qu’alimenter l’inquiétude sur ses intentions et d’éventuelles dérives népotiques.
La tentative récente de nomination de l’ami du Président Philippe Besson en tant que consul à Los-Angeles en dit long sur le modèle discrétionnaire que l’Élysée a en tête pour construire la fonction publique de demain. Tout comme la nomination de Jules-Armand Aniambossou, ancien collègue de promo de Macron, comme ambassadeur de France en Ouganda alors qu’il était ambassadeur du Bénin en France quelques mois plus tôt. L’affaire Benalla, conseiller dont le rôle élyséen s’est posé en concurrence avec l’autorité administrative, ne peut qu’interroger sur l’opportunité de laisser seul le président technocrate décider des personnes qui seraient les plus adaptées aux postes les plus élevés de la hiérarchie de l’État. Alors que Macron indique supprimer l’ENA au nom de la méritocratie, on sait au moins, à défaut d’autre précision sur la façon dont il compte s’y prendre pour évaluer les mérites, qu’un des mérites exigés est de faire partie de l’entourage présidentiel.