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Troubles musculo squelettiques, expositions à des agents chimiques, méthodes de management délétères, augmentation des risques psychosociaux liés aux organisations du travail… les reconnaissances des maladies professionnelles ont explosé en 20 ans. Elles sont passées de 5 000 à 50 000 par an !
Dans le même temps, fatigués par des réformes à répétition, confrontés à une charge de travail exponentielle et à l’extension de leurs missions, minés par un manque de reconnaissance de leur spécialité par la société, l’État et le monde médical lui-même, les médecins du travail voient leur conditions d’exercice professionnel se dégrader à l’heure où la santé et la sécurité du travail sont devenus un enjeu majeur.
2015 : une médecine du travail sous pression patronale ?
Le gouvernement semble aujourd’hui déterminé à enfoncer le clou et envisage de réformer l’inaptitude médicale, l’organisation et les missions de la médecine du travail !
Le contenu de ces réformes a été annoncé lors du « conseil de simplification » du 30 octobre 2014. Initialement intégrées au projet de loi Macron, elles en ont finalement été retirées mais pourraient revenir par la fenêtre dans la loi que Rebasmen, ministre du travail, est en train de concocter sur les représentants du personnel et la durée du travail.
Première mesure : alléger les obligations de visite médicale d’embauche et périodique.
Le gouvernement ne dit pas comment, mais selon certaines sources, il serait question de transférer au médecin traitant la visite médicale d’embauche et les visites périodiques sauf pour certains métiers difficiles et dangereux… Les visites seraient encore plus espacées et empêcheraient le médecin du travail de faire le lien entre le travail et la santé.
Ce serait exposer les salariés à encore plus de précarité (84 % des embauches se font aujourd’hui en CDD) et leur faire payer la conséquence de la pénurie de médecins du travail organisée par les pouvoirs publics : ainsi les salariés nouvellement embauchés seraient dans les faits privés de tout suivi médical par un médecin du travail !
Deuxième mesure : supprimer la possibilité pour le médecin du travail d’émettre un avis de transformation ou de mutation du poste de travail engageant l’employeur afin d’adapter le travail à l’humain.
Ainsi, le médecin du travail n’aurait plus qu’à classer les salariés entre aptes et inaptes. L’employeur ne serait plus tenu d’adapter les postes de travail à la situation des salariés ni de les reclasser. Il pourrait ainsi se débarrasser plus facilement des salariés qui « ne conviennent plus ».
Ce serait transformer la médecine du travail en un outil de sélection de la main d’œuvre à l’usage des employeurs !
Faut-il rappeler que les médecins du travail ont une formation sur les risques professionnels et l’instruction du lien santé travail et que c’est la seule spécialité où elle est réellement dispensée.
Le Code du Travail définit spécifiquement les missions du médecin du travail et lui accorde toute une série de prérogatives. Les constatations et les avis des médecins du travail (qu’ils soient individuels, pour un salarié, ou collectifs) sont protégés par l’inspection du travail, de même que leurs contrats de travail (ils ont une protection particulière contre le licenciement).
Garantir le suivi médical in situ
Afin d’exercer ses missions, le médecin du travail conduit des actions sur le milieu de travail, avec les autres membres de l’équipe pluridisciplinaire dans les services de santé au travail interentreprises, et procède à des examens médicaux. Ainsi, il peut faire le lien entre le travail et les altérations (et les atteintes) de la santé par le travail (comme le prévoit la loi de 1946).
Comment les médecins du travail pourront-ils désormais construire le lien collectif entre plusieurs cas identiques dans une même entreprise (souffrance au travail, expositions à des risques particuliers…) si les salariés sont suivis individuellement par différents médecins traitants n’ayant pas connaissance de l’existence d’une situation d’ensemble et qui ne seront pas membres des CHSCT et si aucun suivi médical régulier n’est assuré aux salariés par un même médecin ?
L’institut syndical européen analyse les principaux facteurs d’affaiblissement de la médecine du travail en Europe
Dans la plupart des pays européens, le médecin du travail est un acteur central de la prévention des risques professionnels. Médecin au service des salariés il doit veiller à ce que le travail ne nuise pas à leur santé. De par sa connaissance de leur environnement professionnel, il intervient également auprès des employeurs afin qu’ils l’améliorent. La dégradation depuis plusieurs années des conditions d’exercice de ce métier représente donc une véritable menace pour la santé et la sécurité du travail.
La pénurie de spécialistes est le 1er facteur d’affaiblissement de la médecine du travail en Europe. L’âge moyen des médecins du travail est élevé et la filière suscite peu de vocations, compte tenu de la surcharge de travail qui nuit à la qualité des prestations, la perte de contact direct avec les conditions réelles de travail, la démotivation et le sentiment d’abandon.
Pour garantir la surveillance de la santé des travailleurs, certains pays ont autorisé des médecins n’ayant pas suivi le cursus complet à pratiquer la médecine du travail. Des infirmières et d’autres spécialistes sont également amenés à intervenir sur les lieux de travail. Ils ne bénéficient pas toujours du même statut protecteur que les médecins du travail, ce qui les rend plus vulnérables aux pressions des employeurs. L’organisation des services externes de santé au travail connaît une dérive commerciale dans de nombreux pays.
Ces évolutions contribuent parfois à diluer l’exigence de prévention collective qui doit guider la médecine du travail. Des médecins en arrivent à remplir des missions de santé publique à caractère individuel qui relèvent d’autres médecins. Une tendance encouragée par le patronat. Pour les employeurs, le médecin du travail est de plus en plus souvent considéré comme un instrument de régulation des absences, et parfois même comme une sélection de la main d’œuvre, et non plus comme un acteur essentiel de l’amélioration de l’environnement de travail dans l’entreprise.
Pour le SNTEFP-CGT et le collectif CGT et UGICT-CGT des médecins du travail, il s’agit plus que jamais de défendre la médecine du travail comme médecine :
– d’adaptation du travail à l’humain ;
– positionnée exclusivement du côté de la santé des travailleurs-euses ;
– ayant des prérogatives et des garanties attachées aux médecins du travail renforcées.
Le gouvernement doit abandonner ses projets.