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Le Medef et certains économistes mènent une campagne permanente contre les impôts en général et contre les impôts de production en particulier. Cette offensive s’est appuyée sur une note du conseil d’analyse économique.1
Mais les impôts sur la production (à distinguer des impôts sur les produits comme la TVA) ont plusieurs justifications théoriques et pratiques :
• la production ne concerne pas que les entreprises mais l’ensemble de la société. Elle n’est possible qu’en raison des connaissances accumulées durant des décennies, voire des siècles, et profite des infrastructures léguées par les générations passées. Les firmes profitent aussi des débouchés qui leur sont offerts par la prospérité issue, elle aussi, du passé récent ou lointain. ce niveau général de développement s’est accompagné d’une dette publique que les entreprises bénéficiaires doivent contribuer à rembourser comme les autres contribuables ;
• certaines productions peuvent avoir des inconvénients sur la santé et sur l’environnement. Il est donc légitime que les activités contribuent à la réparation des dégâts qu’elles suscitent. L’impôt à la production est alors un moyen clair et efficace de prélever ces contributions. À l’inverse, les activités « propres et saines » pourront en être exonérées au moins en partie – ceci peut d’ailleurs constituer un puissant encouragement à leur expansion ;
• les impôts sur les bénéfices et sur la valeur ajoutée – qu’il n’est quand même pas question de supprimer – ont quelques limites et inconvénients : il est aisé, notamment pour les entreprises transnationales, de localiser par diverses manœuvres les profits et même la valeur ajoutée dans les paradis fiscaux – c’est particulièrement le cas de nombreuses activités de services. Il est plus difficile de dissimuler la production et les recettes qui y sont liées… D’ailleurs, quand on parle de taxer les Gafam, emblématiques à cet égard, c’est bien de leur chiffre d’affaires qu’il est question, et non leurs bénéfices, eux-mêmes largement sous-estimés ;
• cette faculté de localiser les chiffres d’affaires, mieux que d’autres postes des comptes des entreprises, peut permettre de faire bénéficier du produit de l’impôt – au moins en partie – aux communes qui accueillent les activités et de faire face aux coûts que cela implique. Il est alors moins nécessaire, pour leurs édiles, de supplier plus ou moins secrètement les chefs d’entreprise de leur accorder quelques miettes en finançant des équipements publics ;
• ajoutons un effet évident mais insuffisamment connu : les impôts sur la production, et notamment sur le chiffre d’affaires, ont l’avantage d’inciter les entreprises à réintégrer des activités sous-traitées ou externalisées. À l’inverse, le concepteur de la TVA (Lauré, 1954) justifiait notamment son projet par la suppression des taxes « en cascades ». Ceci a contribué à la multiplication des chaînes de sous-traitance et la multiplication des externalisations, dont on connaît les inconvénients (division du monde salarié, difficultés des pouvoirs publics et des consommateurs pour repérer et sanctionner les responsabilités de certaines irrégularités et mal-façons…) ;
• bien entendu, le Medef et les économistes libéraux – qui pour- chassent la plupart des impôts… sauf peut-être la TVA prétendument « sociale » – font mine d’ignorer ces aspects. Comme d’habitude, ils proposent d’imiter les pays qui utilisent tous moyens pour doper artificiellement leur compétitivité-prix. Les TPE et PME, en revanche, devraient réfléchir avant d’enfourcher ces chevaux de bataille qui les désavantagent clairement pour la plupart face aux grands groupes transnationaux. En effet, ceux-ci font jouer contre elles la concurrence, via leurs réseaux de sous-traitance, et les pressurent ;
• les économistes de banque et d’entreprise, et quelques autres, en veulent notamment à la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Celle-ci contribue au financement de l’Assurance- vieillesse (au taux très faible de 0,16 % mais sur une assiette large)2. Ils lui reprochent notamment de devenir, au long des chaînes d’activité, des « taxes sur les taxes ». Au taux de 0,16 % (soit 0,0256 % en second rang et beaucoup moins ensuite), elle serait responsable de la désindustrialisation du pays ! De qui se moque-t-on ? En revanche, il est clair que la réduire ou la supprimer accroîtrait encore le besoin de financement de la Sécu, déjà plombée par les multiples exonérations de cotisations sociales.
Alain Gély
1. http://www.cae-eco.fr/Les-impots-sur-ou-contre-la-production, résumée ici: https://www.lepoint.fr/economie/ces-impots-de-production-qui-pesent-sur-les-entreprises-25-06-2019-2320795_28.php.
2. https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F22726.