Santé au travail : un manifeste de médecins du travail

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Santé au travail : un manifeste de médecins du travail
Manifeste pour rétablir les moyens de la prévention médicale des risques pour la santé des travailleurs au travail et le rôle central de la médecine du travail.
Critique des dispositions réglementaires en vigueur et propositions pratiques visant à les réformer à l’attention de la Représentation Nationale.

Sommaire

  • Cinq objectifs pour rétrablir la médecine du travail
  • Eviter la confusion en matière de prévention
  • Contester la prééminence des employeurs sur la gouvernance des services de médecine du travail
  • Donner des moyens aux CHSCT et rétablir le principe de l’effecticité de l’obligation de traçabilité individuelle et collective des risques par les employeurs
  • Rendre effectif l’exercice de la pluridisciplinarité au sein de l’équipe pluridisciplinaire de médecine du travail
  • Redéfinir la notion d’aptitude
  • Vers la sélection médicale de la main d’oeuvre ?

 

PREAMBULE

Notre Collectif de médecins du travail, syndiqués à la CGT, a accumulé depuis 20 ans une expérience en matière de prévention des risques professionnels et de fonctionnement institutionnel et effectif de la médecine du travail(1).

Positionné exclusivement du côté de la protection de la santé au travail, un médecin du travail a pour devoir, dans le cadre d’une obligation de moyen, de rendre le risque visible et dès lors qu’il établit le lien entre l’altération de la santé et le travail, de proposer des mesures individuelles et collectives de prévention primaire susceptibles de prévenir les effets du risque et, éventuellement, d’assurer au travailleur les éléments médicaux et de traçabilité susceptibles d’assurer son droit à une prévention secondaire (suivi post exposition et post professionnel) et à une réparation.

Si le médecin ne se donne pas les moyens d’aboutir et si notamment il ne trace pas le risque et le lien entre la santé et le travail, mais aussi s’il s’abstient de rendre visible ses constats collectifs, il peut avoir à en répondre personnellement et pénalement.

La médecine du travail constitue pour les employeurs un risque assurantiel et juridique potentiel puisque le médecin du travail :
➤ signale le risque et le rend visible ;
➤ d’un point de vue d’expert qui s’impose en droit ;
➤ ce qui incite l’employeur à mettre en œuvre la prévention du risque et à en réparer les effets sur la santé des travailleurs.

Depuis 2002 les nouvelles définitions jurisprudentielles de l’obligation de sécurité de résultat et de la faute inexcusable ont rendu, potentiellement, encore plus pénalisante pour les employeurs l’action du médecin du travail en générant  des coûts supplémentaires.

Devant ce qu’ils considèrent comme un risque de mise en responsabilité et de surcoût, les employeurs ne sont pas restés passifs.

Dès l’origine en faisant accepter au législateur d’avoir la prééminence dans la gouvernance des services de médecine du travail notamment à travers la responsabilité de mise en place de ces services (L4622-1), les employeurs avaient introduit le ver dans le fruit. Comment imaginer, en effet, que celui qui génère les risques et retire un bénéfice économique des atteintes à la santé puisse diriger l’institution chargée de les prévenir, du point de vue exclusif de la santé des travailleurs.

Cette « main mise », dès l’origine, sur les structures a permis pendant longtemps de maintenir les médecins dans un état de dépendance professionnelle et de faire de ce métier un exercice dévalorisé.
Nous estimons qu’à partir de 2003, sous deux mandatures successives, a pu se déployer pleinement l’influence négative des employeurs. Pour eux « ce qui ne se voit pas n’existe pas ». Leur objectif de construire l’invisibilité des risques repose sur deux pratiques constantes : diminuer leurs obligations de traçabilité des risques professionnels et rendre muette la surveillance médicale de la santé des travailleurs au travail, voire l’instrumentaliser pour l’empêcher d’accomplir son rôle spécifique et la détourner à leur bénéfice exclusif.

La tactique de pénurie en médecins du travail, construite avec la complicité de l’Etat, leur a permis de vider de sa substance la médecine du travail, acquis de la lutte des travailleurs. La démédicalisation des services de médecine du travail, qui consiste par exemple à les renommer services « de santé au travail », en témoigne.

Dans ce cadre, nous souhaitons faire part, publiquement, de ce que nous estimons indispensable pour remettre à l’endroit, dans l’intérêt de la santé au travail des travailleurs, ce que les mandatures précédentes se sont efforcées de mettre à l’envers.

Il ne s’agit pas, pour nous, d’exprimer ici une position catégorielle de défense d’une profession dont l’amélioration est sans doute nécessaire, mais bien de regarder ces questions du point de vue exclusif de l’intérêt de la santé des travailleurs au travail.

5 objectifs pour rétablir la médecine du travail

Nos propositions déclinent cinq objectifs fondamentaux :

➊ Distinguer ce qui relève de la prévention des risques pour la santé des travailleurs au travail et ce qui relève de la prévention dans le cadre de l’obligation de sécurité et des obligations de prévention des employeurs, conformément aux articles 7 et 14 de la directive européenne de 1989 et rétablir une égalité de traitement dans ce cadre entre les travailleurs des entreprises ayant mis en place un service autonome et les travailleurs de celles ayant fait appel à un service interentreprises.

➋ Restreindre, du fait de leur responsabilité en matière de risque professionnel, l’influence des employeurs en matière de gouvernance et maintenir leur obligation exclusive de financement de la médecine du travail mais aussi accroitre les moyens et prérogatives de la représentation des travailleurs en matière de fonctionnement des services de médecine du travail (IRP, conseil d’administration des SSTIE et Commission de contrôle).

➌ Rétablir le principe et l’effectivité de l’obligation de traçabilité individuelle et collective des risques par les employeurs mais aussi accroitre les moyens et les prérogatives de la représentation des travailleurs en matière de prévention des risques (CHSCT et DP).

➍ Rendre effectif l’exercice de la pluridisciplinarité au sein de l’équipe médicale en définissant son domaine de compétence et en clarifiant le rôle des acteurs, en assurant leur indépendance technique individuelle et collective afin de leur permettant de se coordonner en toute indépendance

➎ Réformer la notion d’aptitude du travailleur à son poste de travail, afin de prévenir la dérive possible vers une sélection médicale de la main d’œuvre, souhait dissimulé des employeurs, et en venir à une aptitude du poste à permettre au travailleur d’y construire sa santé, si nécessaire en l’aménageant, en application de l’obligation d’adapter le travail à l’homme, tel que le prévoit l’article L4121-2 du code du travail.

 

EVITER LA CONFUSION EN MATIERE DE PREVENTION

Nous recommandons, en tout premier lieu, que soient réformées des dispositions récentes qui ont pour effet d’entrainer une confusion entre, d’une part des missions d’ordre public social dont relève l’exercice des médecins du travail et la pluridisciplinarité,  en application de l’article 14 de la directive européenne 89/391, et d’autre part des missions d’ordre privé confiées par l’employeur à des salariés désignés pour assurer l’effectivité des obligations de prévention de l’entreprise, en application de l’article 7 de la directive européenne.

Cela ne diminue pas pour autant l’intérêt de la coordination de ces deux composantes de la prévention. Mais il ne faut pas que soient confondues pluridisciplinarité et multidisciplinarité.

Toutefois, cette coordination avec les experts prévention et sécurité doit se mettre en place dans le respect des objectifs, de l’indépendance et de la professionnalité des membres de l’équipe médicale pluridisciplinaire et des experts en matière d’hygiène et de sécurité de l’employeur.

L’article L4644-1 du code du travail doit être modifié pour que l’action des Intervenants en prévention des risques professionnels soit explicitement rattachée à leur mission de prévention pour la santé dans le cadre de l’équipe pluridisciplinaire de médecine du travail. Cette équipe pluridisciplinaire comporte une équipe médicale (médecins, infirmiers, assistante médicale) dont les membres relèvent des dispositions du code de la santé publique. Dans ce cadre, l’indépendance professionnelle des infirmières et infirmiers du travail doit être assurée et notamment, reconnu et valorisé leur rôle propre en matière de « prendre soin », hors de tout protocole.

A cette équipe médicale se joignent des experts assurant exclusivement l’appui technique à la surveillance médicale individuelle et collective des travailleurs.

Par conséquent, seuls sont membres d’une équipe pluridisciplinaire de médecine du travail les professionnels qui relèvent de sa mission d’ordre public social. Dans ce cadre, ils bénéficient d’une indépendance technique garantie qui doit être défendue collectivement dès lors qu’elle est compromise.

Ne sont pas membres de l’équipe pluridisciplinaire de médecine du travail, notamment, les préposés de l’employeur en matière d’obligation de sécurité de résultat (experts hygiène sécurité et environnement par exemple), les médecins sans aucune formation qualifiante en médecine du travail et notamment les collaborateurs médecins ou qui auraient une mission d’ordre privé, par exemple les médecins coordonnateurs de l’employeur (qu’il faut bien évidemment distinguer des délégués élus par leurs pairs) ou les médecins effectuant toute autre mission relevant des fonctions de direction.

Ainsi, les services de santé au travail interentreprises seraient constitués de deux « pôles » distincts et séparés : l’un de « médecine du travail », l’autre « d’aide à l’employeur pour la gestion de la santé et de la sécurité au travail », chacun assumant sa part des missions prévues pour le service de santé au travail à l’article L4622-2(2) et L4644-1, ce qui n’exclue pas les coordinations dans un cadre protocolisé et sous contrôle social et administratif.

Pour compenser la pénurie en médecins du travail, nous estimons que des formations moins longues mais faisant participer des praticiens de terrain et encadrées par un tutorat professionnel prolongé dans un cadre collectif de pairs, permettraient de recruter des médecins du travail en nombre suffisant à condition toutefois que les conditions de travail soient soutenables et les conditions de leur indépendance assurées. La voie supposée que propose l’article R4623-25 du CDT est sans consistance réglementaire et place les « médecins collaborateurs » (de qui ?) en situation de subalternes des médecins du travail, ce qui est explicitement interdit par le code de la santé publique. Cet article doit donc être abrogé.

Toute action commune commence par l’identification des missions et des principes professionnels de chacun préalable à toute coordination. C’est de son seul point de vue spécifique que participe, s’il l’estime possible, un membre de l’équipe pluridisciplinaire.

La définition de la mission des SST décrite à l’article L4622-2 comporte des obligations qui relèvent pour certaines de la prévention médicale du travail et pour d’autres des obligations de prévention de l’employeur. Cela entretient la confusion entre les deux modes de prévention et cet article doit être réécrit.

De même le principe d’égalité de traitement impose que la même rigueur professionnelle et de contrôle s’applique aux services autonomes et aux services interentreprises. Cela implique de modifier dans ce sens les articles L4622-4 et L4622-8 du CDT.

Nous attirons également l’attention sur la nécessité de prendre des garanties concernant le contrat d’objectifs et de moyens inscrit à l’article L4622-10, afin que ce contrat ne soit pas un moyen d’atteindre à l’indépendance des membres de l’équipe pluridisciplinaire de médecine du travail et notamment des médecins du travail et n’impose pas une vision surplombante de la santé au travail au détriment des réalités de terrain.

L’intervention de l’ARS nous fait craindre en particulier que les questions gestionnaires voire financières ne prennent le pas sur l’intérêt de la santé des travailleurs au travail et que la « santé publique » n’étouffe la spécificité de la santé des travailleurs au travail et de la médecine du travail.

Pareillement, nous sommes très inquiets du risque que fait peser sur l’indépendance technique des membres de l’équipe médicale pluridisciplinaire le projet pluriannuel de service défini à l’article L4622-14 du CDT dans le cadre de la Commission médico technique dans la mesure où il doit être approuvé par un conseil d’administration contrôlé par les employeurs. Enfin l’accord du 20 juin 2013 du CISME portant sur la révision partielle de la Convention Collective Nationale des services de santé interentreprises, dont  la CGT n’est pas signataire, porte atteinte à l’indépendance des médecins du travail en indiquant que « le médecin du travail réalise ses actions en respectant (…) le projet pluriannuel de service et le CPOM (contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens)(3) ».

 

CONTESTER LA PREEMINENCE DES EMPLOYEURS SUR LA GOUVERNANCE DES SERVICES DE MEDECINE DU TRAVAIL

Nous estimons que les employeurs du fait de leurs prérogatives, de leurs obligations et de la subordination qu’ils imposent aux travailleurs doivent supporter intégralement le coût de la réparation et celui de la prévention, y compris de la prévention du point de vue exclusif de la santé des travailleurs au travail.

Il convient par conséquent d’être vigilant en matière d’aide apportée par les organismes et institutions de prévention dans ce domaine sur l’application du principe de répercussion de leurs coûts aux employeurs qui y font appel. Notamment dans le cadre de l’article L4644-1.

En matière de gouvernance des services de médecine du travail nous partageons l’approche de la CGT qui revendique que l’influence prépondérante des employeurs dans ce domaine soit réformée. Notamment la situation actuelle instituée par l’article L4622-11 du CDT ne nous paraît pas conforme à cette revendication.

Pour les services autonomes, nous estimons que la consultation des Instances Représentatives du Personnel compétentes pour le contrôle social devrait prévoir que ces IPR puissent recourir à des expertises pour préciser leur avis. Dès lors qu’elles émettent un avis critique sur la nature, le fonctionnement ou la gestion du service, la saisine et l’arbitrage du contrôle administratif devraient être obligatoires.

Cela devrait notamment amener à revendiquer la modification des articles R4622-4 et R4622-52 du CDT et le retour aux dispositions antérieures dans lesquelles silence gardé par l’administration vaut refus de la demande. Dès lors que la maille des services serait élargie, comme le précise les articles R4622-5 (service de groupe) D4622-14 (service incluant la surveillance de salariés de l’entreprise extérieure ou appartenant au même groupe) D4622-16 (service de site), il devrait s’agir de services autonomes et le contrôle social devrait associer les IRP compétentes de chacune des entreprises. Ces dispositions devraient être précisées explicitement par la réglementation.

Pour les services interentreprises nous constatons que les moyens de toute nature des représentants des travailleurs en commission de contrôle (temps, moyens matériels et de secrétariat, formation…) sont pratiquement inexistants. Notamment le temps consacré aux liens absolument nécessaires avec la représentation des travailleurs des entreprises adhérentes est passé sous silence.

La circulaire DGT sur les nouveaux décrets qui déborde de complaisance pour les employeurs va jusqu’à affirmer que seule l’assemblée générale des employeurs adhérents au SST interentreprises serait souveraine rendant ainsi parfaitement théorique la capacité de contrôle et d’intervention de la commission de contrôle, déjà déventée par les nouvelles prérogatives du conseil d’administration du service.

En effet, dans ces services  interentreprises, le conseil d’administration pseudo paritaire, c’est-à-dire dirigé en fait par les employeurs, en utilisant si nécessaire la voix prépondérante du président employeur, tend à se substituer à la commission de contrôle. Il en double la majorité de ses rôles. Nous sommes passés du « moins pire » : le conseil d’administration pseudo paritaire, à l’inacceptable : le déventement de la commission de contrôle. Les prérogatives de la commission de contrôle des services interentreprises doit redevenir exclusives sans intervention ou doublage du conseil d’administration.

Concernant la nature de la tutelle exercée par l’administration sur les SST, deux des articles censurés  par le Conseil d’Etat mettaient à l’écart l’Inspecteur du travail en y substituant le Directeur régional du travail (DIRECCTE). Alors qu’auparavant la fiche d’entreprise était tenue à disposition de l’inspecteur du travail et du médecin inspecteur du travail, le texte censuré (D4624-40) substitue à l’inspecteur du travail le DIRECCTE. Parallèlement, alors que l’envoi du rapport annuel permettait  dans le texte précédent, optionnellement, d’adresser le rapport annuel soit à l’inspecteur du travail soit au DIRECCTE, le texte censuré (D4624-44) réservait cet envoi au DIRECCTE. Comme cela est le cas dans d’autres nouveaux articles, le Directeur régional du travail (DIRECCTE), dont l’indépendance vis-à-vis de l’administration centrale est moins affirmée, se substitue à l’inspecteur du travail couvert par un statut protecteur. Seul l’inspecteur du travail est autorisé à constater et à verbaliser un délit, par exemple une atteinte à l’indépendance du médecin du travail. Le rôle des inspecteurs du travail doit être rétabli en matière de fonctionnement des services et de protection de l’indépendance des personnels des services.

 

DONNER DES MOYENS AUX CHSCT ET RETABLIR LE PRINCIPE ET L’EFFECTIVITE DE L’OBLIGATION DE TRAÇABILITE INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE DES RISQUES PAR LES EMPLOYEURS

Nous estimons que le CHSCT est un acteur essentiel de la prévention puisqu’il porte l’intérêt de la santé des travailleurs dans un cadre revendicatif et que les représentants des travailleurs dans cette IRP sont les plus compétents pour pouvoir envisager la prévention du point de vue de la réalité du travail et du vécu des travailleurs.
Nous recommandons, par conséquent, que, contrairement à l’évolution actuelle, les moyens de toute nature soient mis à leur disposition, notamment en matière de secrétariat et de communication aux travailleurs qui les ont mandatés.

En premier lieu nous préconisons que soit abaissée la limite numérique de cinquante salariés obligeant à constituer un CHSCT. En matière de temps de délégation nous plaidons pour la mise en place pour les délégués en CHSCT de cent vingt demi-journées par an pour exercer leur mandat et que celui des DP soit doublé dès lors qu’ils assument de telles fonctions.

Il ne nous parait pas souhaitable, comme le demandent certaines organisations confédérées, que les représentants du personnel en CHSCT deviennent des préventeurs syndicaux. Cela ferait courir le risque que leur compétence soit encadrée par l’employeur ce qui serait au détriment de la nature de leur mandat avec une confusion possible de leur mission.

En matière de formation nous recommandons que la durée en soit doublée et que le temps de formation des délégués en CHSCT de périmètre inférieur à trois cents salariés soit aligné sur celui des plus de trois cents.

Nous estimons que, contrairement aux dispositions réglementaires nouvelles, l’exercice du droit d’expertise devrait être élargi explicitement aux conséquences des facteurs de risque psychosociaux liés à l’organisation du travail.

L’exemption réglementaire et effective dont bénéficient les employeurs en matière de traçabilité collective et individuelle des risques est scandaleuse. Ainsi très récemment :
➤ la liste des travailleurs exposés aux agents chimiques dangereux par poste que l’employeur devait remettre au CHSCT a été supprimée ;
➤ la fiche d’exposition aux agents chimiques dangereux remise en cas d’exposition à chaque travailleur  a été supprimée sauf pour les expositions à l’amiante et on y a substitué une fiche dite de prévention des expositions qui décrit très sommairement les expositions à des risques divers dont la liste est limitée ;
➤ l’attestation d’exposition aux agents chimiques dangereux remise au salarié au départ de l’entreprise a été limitée au cancérogènes certains et probables (catégories 1A et 1B EU)
Ces éléments de traçabilité  doivent être rétablis.

La prise en compte de la  pénibilité ne doit pas servir, comme la législation l’autorise depuis peu, à donner un caractère légal à la compensation d’atteintes « durables, identifiables et irréversibles » qui sont en fait des échecs de l’obligation de sécurité de l’employeur. La liste des facteurs de pénibilité doit être élargie notamment aux risques psychosociaux et à ceux des rayonnements ionisants. Les CHSCT doivent être consultés et pouvoir intervenir en matière d’identification et d’analyse de ces risques et sur le déploiement de ces fiches par poste de travail, parallèlement à l’évaluation formalisée des risques. Enfin la possible introduction de seuils pour mettre en visibilité ces risques, seuils qui ne sont que l’acceptation sociale d’un certain pourcentage d’atteintes à la santé, est inadmissible.

En même temps que s’allégeaient les obligations des employeurs, de nouvelles sources de traçabilité ont été instituées. Elles concernent explicitement les médecins du travail et l’équipe médicale pluridisciplinaire. Ainsi le médecin du travail est investi d’un devoir d’alerte collective de risque formalisé par l’article L4624-3 du CDT qui complète la rédaction de la fiche d’entreprise. Il doit individuellement, lors des visites d’embauche et des visites périodiques, signaler au travailleur les risques professionnels, leurs effets potentiels et effectifs sur sa santé et les moyens de la protéger (R4624-11 et R4624-16). Il doit faire figurer dans le dossier médical les expositions auxquelles le salarié a été soumis (L4624-2). Ces obligations qui assurent les droits individuels et collectifs à la prévention et à la réparation sont légitimes.

Toutefois elles constituent un piège pour les médecins, un leurre pour les travailleurs et une possibilité d’éviter leur responsabilité pour les employeurs, dès lors que les moyens et l’indépendance des membres de l’équipe pluridisciplinaire, dont ceux des médecins du travail, ne seraient pas effectifs.

 

RENDRE EFFECTIF L’EXERCICE DE LA PLURIDISCIPLINARITE AU SEIN DE L’EQUIPE PLURIDISCIPLINAIRE DE MEDECINE DU TRAVAIL

Dans le respect des règles régissant le respect de la vie privée et des données médicales, chaque membre de l’équipe pluridisciplinaire de médecine du travail participe plus particulièrement à la traçabilité des risques dans ses composantes individuelles et collectives.

Trois points essentiels conditionnent l’efficacité de l’équipe pluridisciplinaire :

➀ L’application effective du temps d’activité en milieu de travail qui dépend entièrement des moyens mis à disposition et notamment des effectifs à surveiller raisonnables.
➁ Une visibilité clinique individuelle suffisante : contrairement à ce que prévoit l’article R4624-16 la périodicité des examens cliniques ne doit pas excéder 24 mois. Au-delà de ce délai il est plus difficile techniquement d’assurer l’identification du lien santé travail pour le travailleur et de lui permettre d’accéder légitimement à ses droits individuels à la prévention et à la réparation. Au-delà de 24 mois cela devient impossible.

La suppression de nombreuses causes de surveillance médicale renforcée (R4624-18) notamment l’exposition aux agents chimiques dangereux, le travail de nuit, le travail posté, le travail à rythme contraint, les gestes répétitifs ou forcés et plus généralement les travaux exposant à des risques de maladie professionnelle constitue une provocation. Techniquement une surveillance médicale renforcée excédant douze mois rend la surveillance médicale ineffective. La fréquence doit pouvoir en être augmentée par le médecin.

L’espacement des visites de reprise de travail après arrêt de travail au-delà de 30 jours (R4624-22) aura les mêmes inconvénients et démontre le recul que constituent certaines dispositions des décrets qui pousse l’irresponsabilité  jusqu’à faire porter la responsabilité de cette visite au seul médecin du travail (R4624-24), dont l’activité est par ailleurs étouffée par des effectifs démentiels.

➂ La cohésion de l’équipe pluridisciplinaire : dont nous précisons que les membres non médecins ne sauraient être des supplétifs du médecin du travail. Notre conception est opposée à cette conception de professionnels en santé au travail subalternes.

Nous estimons, en effet, que la coordination par le médecin du travail doit s’effectuer dans l’esprit des articles 68, 71 et 72 du code de déontologie médicale(4).

Néanmoins, tout acte ou écrit, tout protocole qui engage la responsabilité du médecin relève de son initiative et de sa décision. Cette décision doit prendre en considération les débats professionnels au sein de l’équipe pluridisciplinaire de médecine du travail.

Les termes de la circulaire DGT du ministère du travail sur les nouveaux décrets sont scandaleux puisque la circulaire affirme que, du fait du contrat de travail du médecin le liant au service, les décisions du directeur du service en matière d’activité s’imposeraient à lui. Nous approuvons l’action au conseil d’état en cours pour faire supprimer cette circulaire.

Nous demandons que soit rétabli et amplifié l’ancien article R4623-15 du CDT abusivement supprimé afin de garantir le fonctionnement harmonieux de l’équipe pluridisciplinaire : « le médecin du travail et les autres membres de l’équipe pluridisciplinaire agissent dans l’intérêt exclusif de la santé et de la sécurité des salariés dont ils assurent la surveillance médicale. Leur indépendance est garantie dans l’ensemble de leurs missions ».

 

REDEFINIR LA NOTION D’APTITUDE

Ce concept a été manipulé par les employeurs pour faire croire aux médecins du travail qu’il était au cœur de leur métier. Ils estiment que cette décision sécurise juridiquement l’embauche du point de vue médical. En fait, cet acte a miné, de l’intérieur, les pratiques des médecins du travail au point de faire croire à certains que leur mission consisterait à sélectionner les salariés sur des critères de santé.

L’attestation d’absence de contrindication à l’exposition de certains risques (cancérogènes par exemple) valide notre interprétation. L’obligation de cette attestation scandaleuse doit disparaître.

Le risque des nouvelles dispositions réside, dès lors que les médecins du travail n’auraient plus les moyens de leur exercice, dans un éventuel recentrage de leur rôle, sous la pression des employeurs, sur des missions de sélection médicale de la main d’œuvre car c’est une demande plus que centenaire des employeurs de mettre en place une visite médicale de nature assurantielle.

C’est la signification dissimulée du « maintien dans l’emploi » que doit rechercher le médecin du travail mais dont l’échec via l’inaptitude déboucherait sur l’éviction du salarié devenu « inemployable ». Comme l’a écrit l’un de nos collègues, c’est en fait le travail qui doit être l’objet des soins du médecin du travail.  L’aptitude au poste de travail doit donc être redéfinie.

Comme le revendique la CGT, dès lors qu’il retentit sur la santé du salarié ou ne lui permet plus de construire sa santé au travail c’est le poste qui doit être déclaré inapte et doit être adapté dans le cadre des obligations de prévention de l’employeur.

Par conséquent, les obligations d’adaptation du poste ou de reclassement du travailleur doivent être renforcées. Notamment, l’article L4624-1 devrait être modifié. L’employeur devrait être contraint à justifier par écrit des raisons pour lesquelles il ne donne pas suite aux mesures proposées par le médecin et ce refus devrait entrainer automatiquement la procédure d’appel à l’inspection du travail prévue aujourd’hui uniquement à l’initiative de l’employeur pour ce qui le concerne.

 

VERS LA SELECTION MEDICALE DE LA MAIN D’ŒUVRE ?

Nous constatons que le projet social de 1946 de protéger la santé des salariés au travail par une prévention médicale primaire a été annihilé. Cela complète la destruction en cours de la sécurité sociale, du régime des retraites et de l’inspection du travail par les ultras libéraux. Le Conseil d’état vient de retoquer certaines dispositions. Même si les motifs de la décision paraissent mineurs, il faut y voir un signal d’alarme sur la nature hâtive de la promulgation et la nature attentatoire aux principes de la prévention médicale des dispositions nouvelles.
Ne pas revendiquer une résurgence de la médecine du travail sur ses principes fondateurs viderait de sens la légitime revendication de la CGT, que nous approuvons comme médecins du travail, de « transformer le travail », car c’est quand le pouvoir d’agir des travailleurs est entravé que leur santé est en péril. Le constat et l’action préventive des médecins du travail visent précisément à dépister ce qui s’oppose au pouvoir d’agir individuel et collectif et à œuvrer pour le rétablir.
Si les dispositions actuelles n’étaient pas rapidement réformées, il ne faudrait pas attendre longtemps pour que se mette en place une médecine d’entreprise de sélection médicale de la main d’œuvre à l’embauche et d’élimination des moins « employables » s’appuyant sur la définition de l’inaptitude donnée par le Medef : « l’incapacité de réaliser une partie des tâches du poste ».
Le maintien de la notion d’aptitude telle qu’elle existe et l’utilisation de l’inaptitude dans une acception sécuritaire, telle qu’elle se profile pour les « addictions », deviendrait légale.
Ainsi serait atteint l’objectif deux fois centenaire du patronat : rendre le risque invisible, en s’appuyant sur des médecins circonvenus afin d’échapper à ses responsabilités tout en minimisant les couts de la prévention pour maximiser le profit.

 

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1 Des propositions avaient  été publiées  par l’UGICT et notre collectif en 2004 : « manifeste pour des services de santé au travail indépendants et efficaces ».
2 La séparation des rôles : en gras les missions du pôle médecine du travail, souligné les missions du pôle aide à l’employeur, auxquels il faut ajouter les missions prévues à l’article L4644-1.
Article L. 4622-2 – Les services de santé au travail ont pour mission exclusive d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. À cette fin, ils :
● conduisent les actions de santé au travail, dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ;
● conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, d’améliorer les conditions de travail, de prévenir la consommation d’alcool et de drogue sur le lieu de travail, de prévenir ou de réduire la pénibilité au travail et la désinsertion professionnelle et de contribuer au maintien dans l’emploi des travailleurs
● assurent la surveillance de l’état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur sécurité et leur santé au travail, de la pénibilité au travail et de leur âge ;
● participent au suivi et contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.
3 Art11-1.
4 Article R4127-68 : Dans l’intérêt des malades, les médecins doivent entretenir de bons rapports avec les membres des professions de santé. Ils doivent respecter l’indépendance professionnelle de ceux-ci et le libre choix du patient.
Article R4127-71 : (…) Il doit veiller à la compétence des personnes qui lui apportent leur concours.
Article R4127-72 : Le médecin doit veiller à ce que les personnes qui l’assistent dans son exercice soient instruites de leurs obligations en matière de secret professionnel et s’y conforment.

 

 

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