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Non, Nokia ne va pas mal. Il est scandaleux que la direction tente de justifier 1233 suppressions d’emplois en France avec des motifs économiques bidons. L’expert économique Syndex dénonce un florilège de contre-vérités, d’omissions, de raccourcis qui sont en totale contradiction avec ce que Nokia communique aux marchés financiers. En voici un résumé.
Les résultats
- Nokia mélange les résultats opérationnels (non-IFRS) avec les résultats nets (IFRS) suivant ce qui l’arrange alors que seuls les résultats opérationnels reflètent la bonne santé de l’entreprise.
- Il en est de même, quand la Direction pleure sur les marges et la trésorerie. Par exemple, elle avance une division par 2,5 de la trésorerie sur 3 ans à 1,7 Md € en 2019 sans préciser s’il s’agit de la trésorerie nette ou brute (respectivement 1,3 Md € et 6,3 Mds € à mi-2020).
- Ces approximations permettent au groupe de manier le flou par rapport à la situation réelle de NOKIA en insistant sur de prétendues difficultés qui renvoient en réalité à des écritures comptables (résultat net IFRS nul en 2019) ou à des choix stratégiques (politique agressive de versement aux actionnaires pour la trésorerie nette) mais dont les conséquences sont imputées à un contexte soi-disant difficile.
- La Direction va jusqu’à évoquer la pérennité du groupe : avec une montée en puissance de la concurrence de Huawei et une guerre des prix. Or le secteur est en croissance (certes peu dynamique) et Huawei voit les portes se fermer dans un nombre grandissant de pays. La guerre des prix n’a rien de nouveau
NOKIA investit en R&D 5G en 2020, sauf en France !
Le groupe avait annoncé dès octobre 2019 qu’il revoyait son plan d’économies à la baisse, de 700 M€ à 500 M€ afin de réinjecter 200 M€ dans la R&D 5G
Mais, étonnement, nulle part dans le livre 2 il n’est mentionné une augmentation de ses dépenses de R&D 5G au niveau groupe
Cela rend les suppressions de postes en France en R&D 5G d’autant plus incompréhensibles sauf à penser que Nokia n’a pas l’intention de faire monter les salariés Français dans le train de la 5G.
Un problème de compétitivité ?
Largement évoquée, la compétitivité ne se résume pas au coût mais comprend aussi la qualité des produits. C’est un terme « fourre-tout » que l’on utilise par substitution à d’autres, plus clairement définis (par exemple « position concurrentielle »).
Quatre instituts d’analyse convergent : Nokia est très compétitif et n’a pas à rougir de la concurrence d’Ericsson. Par exemple, l’institut TBR affirme dans son étude 5G :
”TBR believes Nokia’s status as the only end-to-end supplier capable of operating in all markets clearly resonates with customers. While Huawei has an end-to-end networking portfolio, its market access is restricted in several key developed countries. Ericsson, for its part, largely plays only in the RAN and mobile core domains.”
La comparaison avec Ericsson est complètement faussée, le livre II donne une vision déformée des choses. La progression du CA d’Ericsson a été de 4% en 2019 et non pas de 10,6%. Mais sa marge opérationnelle était dans le rouge et ne pouvait que progresser. De toute façon, au final, en 2019, la marge opérationnelle est de 9,7% pour Nokia contre 10,6% pour Ericsson. Ce n’est pas la catastrophe annoncée !
Nokia prétend que la R&D doit être restructurée car Ericsson serait plus efficace tout en dépensant moins en R&D. Cette affirmation est fausse, depuis fin 2017 l’effort de R&D de Nokia n’est pas supérieur à celui Ericsson (16,4% pour Nokia versus 16,9% pour Ericsson en 2019).
La trésorerie
La trésorerie de Nokia est passée aux 2/3 chez les actionnaires et le 1/3 restant dans les plans de restructuration. Nokia a fait le choix de distribuer massivement sa trésorerie aux actionnaires plutôt que d’investir.
L’impact de la crise sanitaire est faible
On peut lire « la crise sanitaire de 2020 accentue les préoccupations sur les résultats économiques et financiers du groupe » alors que la quasi-totalité des salariés ont basculé en télétravail durant la période et que l’activité ne s’est pas ralentie. La Direction a même reconnu la très bonne productivité en télétravail, permettant de rattraper le retard sur Ericsson !
La crise du Covid aurait un impact très modéré sur les perspectives de croissance des opérateurs. Elle risque d’annuler la croissance prévue pour 2020 mais d’accélérer le rebond en 2021 et 2022 comme le groupe le communique d’ailleurs aux marchés financiers.
Les perspectives de croissance
De manière assez mystérieuse, Nokia affirme que « le marché n’offre pas de perspectives de croissance sur la période 2020/2022 ». Mais dans les lignes qui suivent, Nokia fournit des éléments qui contredisent ce titre figurant en gras dans le livre II
Pour la France : « Sur les 3 prochaines années les prévisions en matière d’évolution du marché adressable semblent orientées positivement et pourraient laisser apparaitre une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 6,3% entre 2020 et 2022 ». Même si la croissance attendue n’est pas spectaculaire, on a du mal à comprendre pourquoi le livre II titre sur un problème de croissance.
Une sous-estimation systématique du marché
Le livre II évoque 679 M€ de chiffre d’affaires réalisé par ALU-I alors que le rapport annuel du groupe évoque un chiffre d’affaires de 1229 M€. De plus, ce montant ne prend pas en compte le CA réalisé avec les marchés verticaux, pas plus que celui réalisé avec Orange, Altice et Iliad dans leurs filiales à l’étranger ou dans les DOM/TOM.
Il est aussi à comparer avec le CA de 1506 M€ réalisé en Chine avec près de 15 000 salariés !
Nokia n’est pas en difficulté pour gagner des contrats 5G
Le livre II mentionne un nombre de contrats 5G signés au second semestre 2019 par Nokia inférieur à ceux signés par Ericsson et Huawei, en contradiction complète avec toutes les publications de Nokia qui mettent en exergue les larges succès commerciaux rencontrés. Ainsi T. Uitto a posté le 1er mai 2020 un message sur Yammer se félicitant des parts de marché prises contre Huawei et ZTE et il mentionne les nombreux pays où Nokia a réalisé des gains de parts de marché au détriment de Huawei et de ZTE en particulier au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.
La Défragmentation
La dispersion géographique, systématiquement évoquée pour supprimer les postes en France, est en contradiction avec les effets mêmes du plan. Ainsi plusieurs activités réalisées sur les deux sites français seraient dispersées sur des sites en Finlande, Pologne, US, Hongrie, Inde, Allemagne, Canada, Israël, Royaume-Uni. Donc ce qui se faisait sur 2 établissements dans un pays, serait réparti dans plus de 9 pays.
De plus, Nokia a augmenté la fragmentation tout récemment en localisant des activités présentes en France ou ailleurs sur de nouveaux sites. Curieux donc de revenir quelques mois plus tard pour évoquer un problème de fragmentation.
Conclusion de l’expert :
La Direction ose affirmer éhontément “La France restera un pôle important de la R&D du Groupe“.
En réalité :
LA PLACE DE LA FRANCE SERA DRAMATIQUEMENT AFFAIBLIE SI LE PLAN N’EST PAS ANNULÉ !
- Les effectifs R&D vont baisser de façon drastique.
- La place de la France ressort objectivement affaiblie sur certaines des activités les plus importantes pour le groupe comme la 5G Mobile ou les activités de NSW.
- La question de la taille critique des sites et des activités est un argument souvent mobilisé par NOKIA pour justifier des suppressions de postes voire des fermetures de sites.
- Or, ce plan va très clairement affaiblir la France sur MN et NSW mais surtout au niveau du site de Lannion.
- Comme lors des précédents plans, NOKIA semble mettre en place les conditions de la prochaine réorganisation en France.