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Il y a chez les ingénieur.e.s, cadres, technicien.ne.s et agent.e.s de maîtrise une aspiration à fuir les grandes métropoles, assez profonde pour qu’un nombre non négligeable d’entre eux renoncent à l’exercice de leur qualification et opèrent une reconversion professionnelle.
Pour ne pas choisir entre son métier et son lieu de travail, entre travailler dans un collectif au prix de multiples déplacements usants et télétravailler isolé, il faut concevoir un développement homogène de l’ensemble du pays, à rebours du mouvement de métropolisation.
Les mouvements de métropolisation correspondent à une phase d’organisation planétaire du capitalisme en nouveaux « comptoirs » échangeant entre eux, indépendamment de tout contrôle démocratique des États qui oseraient en former le projet.
Le primat donné à la circulation de flux mondiaux (d’informations, de données, de marchandises, de capitaux) aux dépens de la production, à partir des richesses locales, de biens et services pour répondre aux besoins des populations, structure un modèle économique qui va à rebours de toute exigence de développement humain, social et environnemental durable.
Ce modèle instaure une compétition entre les territoires : concrètement, la refonte de l’organisation territoriale du gouvernement Ayrault (acte III de la décentralisation) s’est traduite par la fusion des régions en fonction de leurs PIB, sans tenir compte des facteurs culturels, géographiques ou des infrastructures de transports.
Les métropoles se sont renforcées au détriment des départements : à titre d’illustration, on dénombre la disparition d’environ 400 emplois de cadres dans le département de la Corrèze suite aux dégâts collatéraux de la loi NOTRE.
La doctrine de la métropolisation a été véhiculée par les rapports Attali (2008) et Balladur (2009), et a pour principaux leviers :
- encourager la concentration spatiale de l’activité économique et de la population au sein des grandes aires urbaines afin de gagner en productivité dans un contexte de compétition mondiale. Dans les faits, celle-ci produit dans les métropoles une armée de chômeurs, qui sert d’argument à la baisse de la rémunération du travail et s’exerce aux dépens de la reconnaissance des qualifications, des conditions d’emploi et de travail
- a contrario, accorder un moindre soutien aux territoires les moins peuplés (ruraux notamment) pour réorienter les ressources financières vers les métropoles.
Cette politique de déménagement du territoire consiste à arroser là où il pleut et à assécher les espaces qui ont besoin d’être irrigués. Cela crée en outre une dépendance économique et politique des communes et des départements livrés au bon vouloir de quelques entreprises donneuses d’ordres.
Pour les ingénieur.e.s, cadres, technicien.ne.s et agent.e.s de maîtrise, il s’ensuit une polarisation de l’emploi favorisée par deux processus :
- la concentration des lieux d’études, au profit des individus déjà dans la place en raison du capital culturel hérité qui leur donne les clefs pour s’insérer dans un cadre scolaire normé et normatif (en somme les héritiers)
- le fonctionnement de l’insertion professionnelle qui en articulant besoins productifs et exigence de gains (en termes de salaire et de développement de carrière), conduit à une concentration des jeunes diplômé.e.s dans les métropoles.
Ainsi, la structuration spatiale de la formation et la localisation de l’emploi des ICTAM induisent l’émergence d’un filtre sociogéographique renforçant la métropolisation de l’encadrement.
Sur le plan institutionnel, la métropole s’articule avec les régions, elles-mêmes relais des politiques européennes. Le capitalisme mondialisé aspire en effet autant à se libérer des contraintes étatiques, avec force dérégulations et « libéralisations », que des résistances locales incarnées par les communes, celles-ci ayant pour vocation le bon usage des biens communs. Aussi, les métropoles ont été créées par « fusion » autoritaire des communes.
S’agissant des rapports sociaux, la métropolisation en opère un reformatage dans tous les espaces de vie en dupliquant sur les territoires, conçus comme zones à exploiter, les logiques de gestion des entreprises privées.
Il s’ensuit une distribution et segmentation des populations sur des aires urbaines qui, pour les unes en tirent profit en « aspirant » l’activité économique et la population qui va avec, tandis que d’autres perdent leurs habitants et concentrent les difficultés. À chaque aire urbaine est associée une couronne urbaine, dont le sort dépend des liens entretenus avec le pôle urbain, d’où l’intensité des trajets pendulaires.
Pour les salarié.e.s, le jeu se résume à un « perdant-perdant ». En outre, dans un contexte de compétition internationale accrue, l’attractivité de chaque aire dépend principalement de son degré de liaison avec une métropole ou avec des clusters économiques situés à l’étranger.
Hors aires urbaines, les territoires ruraux se dépeuplent. Il s’ensuit une fracture nette entre la métropole et son arrière-pays, accentuée par les mutations des services publics, voire leurs disparitions, à l’identique de ce que l’on observe dans les quartiers populaires des couronnes urbaines.
La métropolisation structure en effet une réduction-privatisation des services publics et la « financiarisation » des budgets publics. Ces derniers sont construits, non pas à partir des besoins des populations, mais dans le cadre d’enveloppes préétablies pour diriger le maximum de flux financiers vers les entreprises privées exploitant les « territoires ».
Ce choix explique l’externalisation croissante des missions de service public auprès d’une sous-traitance privée, via les appels d’offres au marché, ainsi que le recrutement de cadres venant des écoles de commerce. Parallèlement, on observe une diminution du nombre de fonctionnaires, qui se conjugue avec leur déclassement professionnel.
Demain, un cadre opérant dans la fonction publique, n’aura plus qu’à superviser et coordonner des opérations faites par des entreprises privées à but lucratif dans une logique de gestion privée.
Les ingénieur.e.s, cadres et technicien.ne.s des fonctions publiques sont sommé.e.s de participer, à leur corps défendant, à cet aménagement spatial de l’économie. Ils et elles en mesurent au quotidien les méfaits, en particulier en termes de développement et de creusement des inégalités.
À l’opposé de la concentration de l’activité économique et d’une spécialisation hégémonique de quelques grosses agglomérations, des alternatives existent, tournées vers l’intérêt général, permettant de renouer avec les finalités du service public et de redonner du sens au travail des cadres, ingénieur.e.s et technicien.ne.s.
L’Ugict-CGT, consciente de la nécessité d’en finir avec la métropolisation du pays, décide :
- de mener auprès des personnels d’encadrement, dans les entreprises et les administrations, une campagne sur les déterminants et les alternatives à la métropolisation, construite à partir de leur vécu et de leurs aspirations à travailler et vivre autrement
- de promouvoir des modèles de développement basés sur la coopération entre territoires en s’appuyant sur leurs complémentarités
- de développer et partager avec les Commissions départementales des propositions visant à prendre en compte des problématiques centrales telles que la couverture numérique, les infrastructures de santé, les politiques publiques de transport, de logement, la décentralisation de la formation, qu’elle soit technique ou supérieure. L’objectif est d’’offrir une attractivité économique à de nouvelles formes de collectivités productives, soucieuses de répondre localement aux besoins économiques, sociaux et culturels des citoyens et émancipées des logiques de création de valeur financière
- d’articuler le travail des Commissions départementales et des Ufict afin de mobiliser la qualification et les compétences des chercheur.euse.s, ingénieur.e.s, cadres et technicien.ne.s pour agir contre la désindustrialisation (Cf. fiche sur l’Intelligence artificielle) et en faveur d’une relocalisation homogène des emplois et de l’activité économique sur l’ensemble des départements.