Forfaits-jours : ça continue !

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Forfaits-jours : ça continue !
L ’arrêt   du   29   juin   dernier ne met pas fin aux débats juridiques concernant le forfait-jours. Déjà des conseils de prud’hommes appliquent le mode d’emploi défini par la Cour de cassation pour encadrer ce dispositif (voir l’analyse d’une décision rendue à Limoges dans le numéro 686 de Cadres-Infos). Et la chambre sociale continue son travail jurisprudentiel ! Trois arrêts rendus le 3 novembre dernier méritent de retenir notre attention.

Forfaits-jours et classification

 

Dans une première affaire (Cass. soc. 3 novembre 2011, pourvoi n° 10-14637), un ingénieur classé en position 2.2 de la convention collective nationale des bureaux d’études (Syntec) était soumis au forfaits-jours. Selon les termes de l’accord collectif sur le temps de travail dans cette branche signé le 22 juin 1999, cette modalité est réservée aux cadres disposant « d’une grande latitude dans l’organisation de leur travail et dans la gestion de leur temps » et classés au moins en position 3.1 (ou percevant une rémunération annuelle supérieure à deux fois le plafond annuel de la Sécurité sociale, ou mandataire social, mais aucune de ces deux conditions n’étaient en cause dans la présente affaire). Il a donc réclamé un rappel de salaire correspondant à cette classification. Sa démarche est validée par la cour d’appel de Versailles, mais rejetée par la Cour de cassation. Pour la haute juridiction, les éléments soumis à la cour d’appel montrant qu’il ne remplissait pas les critères (notamment d’ ancienneté dans le métier) prévus par la convention collective Syntec pour accéder à la position 3.1, celle-ci aurait du en déduire « qu’il n’était pas susceptible de relever du régime du forfait-jours qui lui avait été appliqué».

Mesurons la portée de cette ana- lyse. Tout d’abord, elle confirme la volonté de la Cour d’interpréter de façon stricte les textes régissant le forfait-jours. Quand les critères fixés par accord collectif ne sont pas remplis, la convention individuelle de forfait devient automatiquement illicite. Il y a quatre ans déjà (arrêt « Blue Green », Cass. soc. 31 octobre 2007, pourvoi n° 06-43876), la Cour avait censuré un jugement accordant à un salarié en forfait-jours une indemnité pour « salaire manifestement insuffisant au regard des sujétions qui lui sont imposées » (prévue par l’ancien article L.212-15-4, devenu L.3121-47). Elle avait relevé que le salarié ne bénéficiait pas d’une réelle autonomie dans son emploi du temps : par conséquent, il n’y avait pas à l’indemniser pour les conséquences salariales du forfait- jours, mais « simplement » à invalider celui-ci.

Ensuite elle affirme que le juge est tenu de tirer cette conclusion, même si aucune des parties n’a contesté la licéité du forfait-jours au cours de la procédure. Quelles sont les conséquences judiciaires de cette obligation faite au juge du fond, à l’étape du conseil de prud’hommes ou en appel? La question est importante, car si une convention de forfait-jours est illicite, elle est « privée d’ effet » et le salarié peut réclamer le paiement d’heures supplémentaires et/ou de dommages et intérêts pour dépassement des durées quotidiennes et hebdomadaires du travail, puisqu’il relève alors du droit commun du temps de travail.

Plusieurs cas peuvent se présenter.

 

  • Si le juge s’aperçoit que les éléments de fait qui lui sont sou- mis mettent en cause la convention de forfait, il devra soulever cette question d’office et demander aux parties d’en débattre contradictoirement. La procédure prud’homale étant orale, le salarié pourra modifier ses demandes en tenant compte de la « disparition » de son forfait- jours, y compris devant la cour d’appel (article R.1452-7 du Code du travail : « Les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel »). Encore faut-il qu’ il soit informé de cette possibilité et de son droit de demander un report pour chiffrer et étayer ses nouvelles demandes !
  • Si le juge « ne tire pas les conséquences de ses propres constatations » et ne relève pas l’illégalité de la convention de forfait, la situation peut se compliquer pour le salarié ! Certes, dans la présente affaire où la cour d’appel avait fait droit à la revendication initiale du salarié, la cassation de cette décision entraîne le renvoi à une autre cour d’appel, devant laquelle le salarié pourra adopter une nouvelle stratégie judiciaire. Mais dans une autre affaire concernant une demande analogue de reclassement, dans la même branche, par un salarié en forfait-jours, la cour d’appel de Lyon l’ avait débouté en énonçant simplement qu’il ne « rapportait pas la preuve de ce qu’ il occupait réellement des fonctions correspondant à la position 3.1 ». Le pourvoi du salarié est rejeté (Cass. soc. 3 novembre 2011, pourvoi n° 10- 20191) : la Cour de cassation énonce logiquement que l’application du forfait-jours à un salarié qui n’en remplit pas les conditions (classification au moins égale à 3.1 ou salaire supérieur au double du plafond de la Sécurité sociale) ne lui confère pas le droit de bénéficier d’une de ces conditions. L’affaire est définitivement close et la règle de l’unicité de l’instance (article R.1452-6) interdit au salarié de présenter des demandes liées à l’illégalité de sa convention de forfait. Avocats et défenseurs syndicaux ne devront donc jamais oublier de vérifier si un salarié en forfait- jours en remplit les conditions et d’en tenir compte dans leur stratégie judiciaire. Et le conseiller prud’homme, dans son rôle de « juge actif », ne manquera pas de poser les questions nécessaires s’il a un doute sur la licéité d’une convention de forfait.

Notons enfin que l’attention portée au bien fondé d’une classification permet de lutter contre les pratiques patronales consistant à classer cadres à un certain niveau des salariés qui n’en exercent pas les fonctions, dans le seul but de les soumettre au forfait-jours ou à d’autres sujétions, tout en profitant de la faiblesse générale des salaires conventionnels pour ne pas augmenter sensiblement leurs salaires réels.
Forfaits-jours et arrêt maladie

Un autre arrêt (Cass. soc. 3 novembre 2011, pourvoi n°10- 18762) concerne une procédure collective, la contestation par la fédération de la Métallurgie CFE- CGC de l’accord d’entreprise signé dans la société Prysmian, portant sur deux articles relatifs aux forfaits-jours. Il s’agit d’abord de la disposition prévoyant que « les cadres absents pour maladie ne bénéficient pas pour le mois en cours du jour de RTT auquel ils auraient pu prétendre s’ ils n’avaient pas été absents », dont la CGC demandait la suppression. La cour d’appel de Paris l’avait déboutée en validant l’analyse de la direction selon laquelle le forfait annuel de 215 jours de travail maximum tenait compte de 12 jours de RTT ceux-ci étant attribués à raison de un par mois, à condition que le cadre n’ait eu, au cours du mois précédent, aucune absence non assimilée à un temps de travail effectif (maladie, grève, etc.). Selon elle, le chiffre de 215 résultait du calcul suivant : 365 jours -104 samedis et dimanches – 25 jours de congé annuels -9 jours fériés-12«jours de RTT».

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en raisonnant ainsi :

 

  •  le Code du travail (article L.212- 2-2, devenu L.3122-27) interdit la récupération des heures per- dus par suite d’un arrêt de travail, sauf s’il s’agit d’une interruption collective résultant de causes limitativement énumérées (accident, intempérie, cas de force majeure, inventaire, pont lié à un jour férié); la récupération d’une absence individuelle pour mala- die n’est donc pas autorisée;
  •  aucune disposition n’exclut les salariés en forfaits-jours de l’application de cet article, contrairement à ce qu’affirmait la cour d’appel ;
  •  la    suppression    d’un    « jour    de RTT» consécutive à un arrêt maladie revient à faire travailler le cadre pendant une journée supplémentaire non rémunérée ; c’est une récupération prohibée.

Cette analyse nous ramène à une caractéristique essentielle mais trop souvent oubliée du forfait- jours : ce qui est forfaitisé, c’est un nombre de jours de travail dus par le salarié et non pas un nombre de jours de repos de tel ou tel type. Bien que figurant dans de nombreux accords, la notion de « jours de RTT », parfois nommés « jours d’autonomie » n’a aucun sens juridique dans ce contexte. Ce nombre de jours travaillés, fixé par l’accord collectif encadrant le forfait- jours, est le même pour chaque cadre concerné. En revanche, les événements de nature individuelle (maladie ou autres absences non assimilées à un temps de travail effectif) entraînent des retenues sur salaires, mais sont sans incidence sur les jours de repos, eu égard au principe d’interdiction des récupérations. Il semble que de nombreux accords comportent des clauses analogues à celle qui a été condamnée par cet arrêt du 3 novembre. Elles sont parfois moins brutales, en prévoyant une proportionnalité entre les « repos retirés » et les absences du salarié. Elles n’ en sont pas moins illicites et leur suppression est un objectif incontournable de toute renégociation.

Forfaits-jours et congés d’ancienneté

Certaines conventions collectives prévoient des congés supplémentaires liées à l’ancienneté des salariés. Que deviennent-ils pour ceux qui sont soumis au système du for- fait-jours ? C’était le deuxième point contesté par la CGC dans le même accord collectif Prysmian et l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler que ces jours de repos conventionnels doivent être déduits du nombre de jours de travail dus par le salarié. Solution logique, puisque ces jours ne sont pas pris en compte dans le calcul aboutissant au chiffre de 215 et ne pourraient d’ailleurs l’être : en effet l’ancienneté donnant droit à tout ou partie de ces jours est une condition individuelle, variable selon les salariés.

Ainsi, « les jours d’ancienneté conventionnels doivent être pris en compte pour la détermination du nombre de jours travaillés sur la base duquel est fixé le plafond propre à chaque convention [individuelle] de forfait, le cadre titulaire de cette convention pouvant bénéficier en cas de dépassement du nombre de jours travaillés correspondant à ce plafond d’un nombre de jour de repos égal à ce dépassement au cours des trois premiers mois de l’année suivante ».    

Or l’accord contesté prévoyait qu’un bilan des jours travaillés était fait chaque année et que seuls les salariés ayant dépassé le nombre de 215 journées étaient invités à prendre l’année suivante des jours de congé supplémentaires correspondant à ce dépassement. Ce système conduisait donc à ce que des salariés n’ayant pas pris la totalité de leurs jours d’ancienneté en perdent le bénéfice.

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