Retraites : quelle est la direction générale des réformes en Europe ?

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Retraites : quelle est la direction générale des réformes en Europe ?
Au cours des vingt dernières années, quasiment tous les pays développés ont mené au moins une réforme des retraites. Confrontés à des difficultés souvent similaires, chaque système a pourtant été réorienté selon des modalités propres et en suivant des temporalités spécifiques.

En Europe, les systèmes à piliers multiples (qui comportent une retraite de base forfaitaire financée en répartition, complétée par des éléments financés en capitalisation) ont longtemps été présentés comme les mieux adaptés aux contraintes démographiques.

Dans l’immédiat, ce sont ces systèmes qui ont le plus souffert de la crise économique de 2008, plongeant des populations entières de retraités dans la pauvreté.

Les réformes menées en Scandinavie s’appuyaient sur des mécanismes assez différents et différents invités en font l’analyse lors de la journée organisée par l’UGICT sur ce sujet.

Dans un contexte proche du contexte français, l’Allemagne a mis en place des réformes assez similaires aux nôtres mais plus radicales.

 Aujourd’hui, dans notre pays, à l’approche d’une nouvelle réforme annoncée du système de retraite, on voudrait imposer l’idée selon laquelle l’Union Européenne exige cette réforme et impose les grands axes de la réforme, et on veut nous faire croire qu’“on ne peut pas faire autrement”.

Pourtant, si l’on examine les traités, lois fondamentales de l’UE, la politique des retraites demeure clairement une compétence essentiellement nationale. Le Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) actuellement en vigueur, considère la politique sociale comme une compétence partagée entre l’UE et les États.

C’est à dire que la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc … être mieux réalisés au niveau communautaire. En outre, en vertu du principe général de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités.

Soyons bien clairs. Si un pays fait des choix politiques innovants en matière de protection sociale, tout en respectant les engagements pris par ailleurs dans les traités, l’UE n’a aucune légitimité à imposer tel ou tel système.

Pourtant, cela n’a pas empêché la Commission de produire en février 2012 un livre blanc intitulé : “Une stratégie pour des retraites adéquates, sûres et viables” dans lequel elle préconise des mesures en matière de retraites, qu’elle recommande fortement aux états, et qui servent de base à des protocoles d’accords pouvant être signés par ces mêmes états.

Le concept de “livre blanc”

Il s’agit d’un concept issu du monde de l’entreprise. C’est un recueil d’informations destiné à un public déterminé pour l’amener à prendre une décision sur un sujet particulier.

Lorsqu’ils sont produits par l’Union Européenne, les livres blancs contiennent un ensemble argumenté de propositions d’actions communautaires dans un domaine spécifique. Ils visent à donner naissance à des décisions politiques et à une politique européenne concertée sur un sujet donné.

C’est une étape dans l’élaboration possible d’une directive mais qui est encore très loin (à plusieurs années) de l’adoption de la Directive et donc de sa transposition dans les législations nationales.

A la suite de ses analyses annuelles de la croissance publiées en 2011 et en 2012, la Commission a donc présenté dans ce Livre Blanc de grandes orientations pour les réformes des retraites, qui « contribuent à un assainissement budgétaire porteur de croissance et qui garantiront l’adéquation et la viabilité des pensions ». Le ton est donné.

Elle y a souligné que, pour atteindre ces objectifs, il importait de trouver un meilleur équilibre entre la durée de la vie professionnelle et celle de la retraite et de promouvoir l’épargne retraite complémentaire.

Plus précisément, la Commission a fait cinq recommandations principales :

  1. adapter l’âge de la retraite pour tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie ;
  2. limiter l’accès aux régimes de retraite anticipée et aux autres possibilités de sortie prématurée du marché du travail ;
  3. favoriser l’allongement de la vie professionnelle en améliorant l’accès à l’apprentissage tout au long de la vie, en adaptant les lieux de travail à une main d’œuvre plus diversifiée, en développant les possibilités d’emploi pour les travailleurs âgés et en promouvant le vieillissement actif et en bonne santé;
  4. égaliser l’âge ouvrant droit aux prestations de retraite pour les hommes et les femmes;
  5. encourager le développement de l’épargne-retraite complémentaire afin d’accroître les revenus des retraités.

En dehors des Annexes, le livre blanc est un document d’une quinzaine de pages, disponible en Français.

Voici quelques passages qui illustrent la philosophie de ces auteurs :

“Le fait de rester actif pendant une partie des années de vie gagnées ne signifie pas que les personnes âgées seront privées de leur retraite bien méritée au profit des jeunes.
La disponibilité accrue de travailleurs âgés expérimentés renforcera le potentiel de croissance de l’Europe et créera ainsi davantage de possibilités et de meilleures conditions de vie pour les jeunes comme pour les plus âgés.
Les réformes visant à maintenir les travailleurs au travail plus longtemps doivent également être axées sur la suppression des possibilités injustifiées de retraite anticipée applicables à tous les salariés ou à certaines professions.
Il est … nécessaire d’améliorer la qualité des produits financiers d’épargne-retraite individuelle non liés à l’emploi, tels que les régimes du troisième pilier et d’autres produits financiers utilisés pour compléter les revenus des personnes âgées.
Il est indispensable d’améliorer l’information et la protection des consommateurs pour que les travailleurs et les investisseurs aient davantage confiance dans les produits financiers d’épargne-retraite.
L’épargne-retraite complémentaire doit contribuer davantage à garantir l’adéquation future des pensions, c’est pourquoi les États membres devront trouver les moyens d’améliorer le rapport coût-efficacité et la sûreté des régimes de retraite complémentaires et de rendre l’accès à ceux-ci plus équitable.

Des recommandations à l’opposé des positions de la CGT

Face à ce document de la commission, dans le cadre du Dialogue Social Européen, les organisations syndicales européennes ne sont pas restées silencieuses et il est intéressant de se pencher sur les réactions d’Eurocadres, organisation associée à la CES représentant les ingénieurs, cadres et techniciens au niveau interprofessionnel européen.

Il est important de souligner que cette réponse a été faite dans un consensus syndical européen et également dans un consensus syndical français (la France ne disposant qu’un seul siège dans l’instance de direction d’Eurocadres alors que sept organisations syndicales françaises, dont l’UGICT-CGT, en sont membres). Cette réponse est disponible en Anglais sur le site d’Eurocadres.

Eurocadres y réaffirme que le premier rôle d’un système de retraites est de garantir un bon niveau du montant des retraites et cela dans la durée. Les syndicats européens reprochent à la commission une analyse trop axée sur les aspects macro-économiques au détriment des aspects sociaux.

Eurocadres réaffirme également que l’on ne peut pas s’interdire la possibilité de plans de retraites anticipées, notamment lors de crises économiques et sociales.

Dans ce texte, on dénonce également le caractère injuste des mesures d’augmentation de l’âge de départ à la retraite et nous y insistons sur la nécessité de tenir compte des périodes d’études et de stages.

Cette mesure, portée par l’UGICT-CGT, sous l’étiquette de « validation des années d’études » a donc trouvé son écho auprès de nos partenaires syndicaux à l’échelle européenne.

Concernant l’égalité des pensions entre les femmes et les hommes, Eurocadres partage l’idée selon laquelle c’est par l’égalité pendant la période de travail que l’on pourra durablement obtenir une égalité des pensions mais rappelle que l’on ne peut pas faire comme si les inégalités n’avaient pas existées dans le passé avec des conséquences sur les retraites actuelles et à court et moyen termes.

En matière de systèmes de retraite, Eurocadres réaffirme la prépondérance du premier pilier et insiste également sur l’indispensable portabilité des droits à la retraite dans le cadre de la mobilité des salariés en Europe.

En conclusion, Eurocadres regrette que rien ne soit dit par la Commission sur les possibilités d’augmentation de ressources des systèmes de retraites, notamment à travers le développement de l’emploi qualifié et de salaires en rapport avec ces qualifications.

Un non sens économique et social

On voit que le fossé est immense en Europe entre, d’une part, les idéologues de la Commission, déconnectés des réalités vécus par les citoyens et qui pensent que les marchés peuvent réguler nos systèmes de retraites et, d’autre part, les organisations syndicales européennes.

Partout en Europe, les systèmes de retraite sont aujourd’hui en question, poussés vers les recommandations Bruxelloises. Dans ce contexte, nul doute que la réponse du modèle social français va être particulièrement observée en Europe.

Face à cela, il nous appartient de promouvoir partout la solution proposée par la CGT, solution financée qui permet à chaque salarié de profiter plus longtemps de la retraite et avec un maintien de son niveau de vie.

 

 

Ce document est tiré d’une intervention de William Lis, responsable du secteur International de l’UGICT, prononcée lors de l’initative organisée par l’UGICT le 27 mai 2013 : Construire l’avenir des retraites pour tous.

Pour le compte rendu et toute information complémentaire, consultez notre dossier Retraites

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