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1.LES ENJEUX
Des négociations ARRCO et AGIRC vont reprendre début 2015.
La situation difficile de l’AGIRC est la raison première de leur réouverture. En effet, depuis 2003, la somme des cotisations perçues par l’AGIRC ne permet plus de couvrir le paiement des pensions et l’organisme puise dans ses réserves pour maintenir le montant des retraites.
Les réserves seront épuisées en 2017. Sauf nouvel accord paritaire, toutes les pensions AGIRC devraient être diminuées de 5,15 % en 2018 (chiffres communiqués par la Direction Technique du GIE AGIRC/ARRCO). La situation est identique à l’ARRCO avec un horizon d’épuisement des réserves à 2027 entraînant une diminution de toutes les pensions ARRCO de 10,48 %(i) en 2028.
Refusant obstinément d’augmenter les ressources des régimes, le Medef propose donc de faire payer, pour partie, la retraite des cadres par les non-cadres en créant un nouveau régime unique de retraite complémentaire, fusionnant les deux régimes ainsi appelés à disparaître l’un et l’autre. Il s’ensuit que l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 8 décembre 1961, portant création de l’ARRCO (le régime complémentaire de tous les salariés du privé) serait dénoncé et la Convention collective nationale du 14 mars 1947, portant création de l’AGIRC (le régime complémentaire des cadres et assimilés pour la partie de leur salaire supérieure au plafond de la Sécurité sociale) ne serait pas reconduite.
L’idée du Medef est de siphonner les réserves de l’ARRCO pour maintenir le montant des pensions des cadres retraités et « de se donner ainsi le temps », selon son expression, de reculer l’âge d’ouverture du droit à retraite d’abord à 65 ans, voire plus selon les nécessités financières. Mais l’épuisement des réserves ainsi mutualisées surviendrait en 2024 au lieu de 2027 pour l’ARRCO.
Des baisses de retraite pour tous les salariés du privé
Pour faire passer une mesure aussi inique auprès des non-cadres, le Medef veut imposer de gros sacrifices aux cadres et assimilés. L’organisation patronale propose de supprimer la Garantie Minimale de 120 Points (GMP) de pension accordée depuis 1996 chaque année à tout cotisant à l’AGIRC. Soit pour 40 années cotisées, un total de 4800 points, représentant en valeur 2014, un montant annuel de pension AGIRC de 2 089 €.
La perte de ressources induite par la suppression de la cotisation forfaitaire GMP serait compensée par la mise en place d’une Contribution d’équilibre technique (CET), non génératrice de droits, à laquelle seraient assujettis tous les salariés, pour financer les points acquis par le passé au titre de la GMP : encore une forme de solidarité à l’envers des non-cadres envers les salariés cadres.
Sur ce point, l’approche du Medef est strictement dogmatique : dans un système à « cotisations définies », par construction, un minimum de prestation garantie n’est pas concevable. C’est pour cela qu’il milite pour la disparition de la Garantie Minimale de Points, telle que mentionnée dans le projet de nouvel ANI.
Le décrochage du niveau des futures pensions ainsi induit serait ensuite inéluctablement étendu à l’ensemble du salariat au nom du « partage des efforts ».
Car ce nouveau régime unique de retraite complémentaire serait conçu pour pouvoir fonctionner à « cotisations définies » : le taux de cotisation étant fixé une fois pour toutes, tous les ajustements se feraient par le recul de l’âge de la retraite et par la baisse continue du niveau des pensions, aussi bien celles déjà liquidées que celles en cours de constitution.
La date du 1er janvier 2019 est proposée pour sa mise en place ce qui correspond au préavis de 4 ans pour dénoncer l’ANI du 8 décembre 1961 instituant l’ARRCO.
Bien évidemment toutes ces mesures, labellisées « partenaires sociaux », auraient vocation à être généralisées par le gouvernement à l’ensemble des régimes de retraite du public et du privé.
Développement massif de la capitalisation
La disparition de l’AGIRC est une étape incontournable pour développer massivement la capitalisation en substitution à la répartition. Elle aurait en effet pour conséquence de précipiter les cadres vers les dispositifs d’épargne retraite individuels. Les salariés non cadres n’auraient plus ensuite d’autres alternatives que d’épargner pour leurs vieux jours.
Pour pleinement mesurer cet enjeu, il convient de se souvenir que le régime de retraites des cadres a été mis en place en 1947 à l’initiative d’Ambroise Croizat (ministre du Travail) et de deux camarades de la FNIC-CGT, Andréjean et Roger Pascré, pour ne plus laisser aucune place à la capitalisation en couvrant sans exception tous les salariés sur la totalité de leur salaire par un dispositif de retraite en répartition.
La sécurité sociale en ligne de mire
La mise en place de l’AGIRC, pour les cadres, a été la contrepartie de leur affiliation à la Sécurité sociale à une époque où, sceptiques vis-à-vis des solidarités entre générations qui sont le ciment de la répartition, ils s’étaient convaincu qu’ils allaient cotiser en pure perte.
Le renvoi des ICTAM vers la capitalisation serait donc une menace pour tout l’édifice de Sécurité sociale : pourquoi devraient-ils cotiser deux fois, une fois dans un système en répartition qui ne leur garantirait plus la continuité du niveau de vie et une fois en capitalisation ? Menace d’autant plus sérieuse que les cadres et assimilés, à peine 250 000 salariés à la création de l’AGIRC, sont aujourd’hui plus de 4 millions, un effectif de cotisants dont la Sécurité sociale ne peut se passer.
Menaces sur les conventions collectives de branche
La fusion de l’AGIRC avec l’ARRCO aurait enfin pour effet de faire disparaître le seul organisme en charge de la reconnaissance interprofessionnelle et opposable du statut cadre : l’idée du Medef est de faire travailler les cadres en les rémunérant comme des employés pour pouvoir rémunérer les employés comme des précaires.
Le Medef entend ainsi opérer un tassement sans précédent des grilles salariales. Il s’ensuivrait l’ouverture de négociations sur les classifications et la prévoyance dans toutes les branches, le Code du travail et le décret du 9 janvier 2012 sur les catégories objectives se référant à l’AGIRC pour identifier les cadres, les assimilés cadres et les employés. Avec la destruction de l’AGIRC, c’est tout autant le statut cadre que l’ensemble des grilles salariales qui sont visées.
Menaces sur le devenir de l’apec et de l’ircantec
Les services du GIE AGIRC-ARRCO ont insisté sur le fait que la disparition de l’AGIRC entraînant mécaniquement la disparition des catégories article 4 et 4bis, le recouvrement des cotisations APEC se retrouverait privé de toute base légale. De même la convention bipartite entre l’AGIRC et l’APEC pour opérer ce recouvrement se retrouverait sans objet.
L’intégration de l’IRCANTEC au futur régime unique complémentaire est une attente manifeste des pouvoirs publics et en particulier de la Cour des Comptes.
2.PERSPECTIVES
Quatre leviers pour financer l’AGIRC et l’ARRCO.
Leur impact a été évalué à la demande de la CGT et de son UGICT par les services techniques de l’AGIRC et de l’ARRCO.
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L’égalité salariale femmes/hommes
Progressivement réalisée d’ici 2024, cette mesure permettrait à elle seule de rétablir l’équilibre financier de l’ARRCO au minimum jusqu’en 2040 et elle gommerait, côté AGIRC, 46 % du déficit anticipé à cette même échéance. Le Medef exclue cette mesure au motif qu’elle porterait préjudice à la compétitivité des entreprises alors même qu’elle est rendue obligatoire par la loi 2014-873 du 4 août 2014, « pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ».
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L’alignement des taux de cotisation
pour la retraite pratiqués au-dessus de plafond de la Sécurité sociale sur ceux pratiqués en-dessous : cette mesure permettrait d’effacer 95 % du déficit projeté pour l’AGIRC. Compte tenu de la nécessité de rééquilibrer la contribution des salariés et des employeurs au financement des régimes AGIRC et ARRCO, l’augmentation de la cotisation AGIRC de 2,45 point qui s’ensuivrait, serait affectée à 90 % sur la part dite « patronale » des cotisations et 10 % sur la part dite « salariée ».
Cette hausse serait mise en œuvre en appliquant notre proposition de modulation en fonction du rapport masse salariale sur valeur ajoutée.
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L’augmentation de la Garantie minimale de points
en portant de 120 à 150 points cette garantie et en augmentant en conséquence la cotisation, le déficit prévu à l’AGIRC à l’horizon 2040 s’en trouverait réduit de 8,57 % et les pensions améliorées !
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La mise en place d’une cotisationstrictement patronale,
sur le modèle du forfait social (destiné au financement de la Sécurité sociale), ayant pour principale assiette l’intéressement, la participation et l’abondement aux plans d’épargne entreprise. Appelée au taux de 10 %, cette cotisation permettrait d’effacer 23,57 % du déficit de l’AGIRC et 74 % du déficit de l’ARRCO.
En combinant et modulant ces 4 mesures, il est non seulement possible de rétablir l’équilibre financier de l’AGIRC et de l’ARRCO mais aussi de reconstituer des excédents ce qui signifie la possibilité d’augmenter le niveau des futures pensions !
Il est donc parfaitement inutile et contre-productif de contaminer l’ARRCO avec les problèmes de l’AGIRC, le maintien de deux régimes distincts permettant de surcroît d’adopter pour chacun d’entre eux des mesures différenciées.