Santé et sécurité au travail – Infléchissement de l’obligation de l’employeur

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Santé et sécurité au travail - Infléchissement de l’obligation de l’employeur
Dans un arrêt qui fait jurisprudence, le juge de cassation atténue « l’obligation de sécurité de résultat » de l’employeur pour en faire une « obligation de moyens renforcée ». Michel CHAPUIS

Faits et procédure

M. X. a été engagé par la société Air Inter en qua- lité de personnel navigant stagiaire. Son contrat de travail a été repris par la société Air France qui l’a promu en 2000 au poste de chef de cabine première classe sur les vols long courrier.

Le 24 avril 2006, alors qu’il partait rejoindre son bord pour un vol, il a été pris d’une crise de panique qui a donné lieu à un arrêt de travail.
Il a saisi le 19 décembre 2008 la juridiction prud’homale aux fins de condamnation de son employeur à lui payer des dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité après les attentats du 11 septembre 2001.

Il a été licencié le 15 septembre 2011 pour ne pas s’être présenté à une visite médicale prévue pour qu’il soit statué sur son aptitude à exercer un poste au sol.

Pourvoi en cassation du salarié

Le salarié fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de le débouter de sa demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :


1°/ « que l’employeur tenu à une obligation de sécurité de résultat prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en mettant en place notamment des actions de prévention des risques professionnels ; qu’en s’abstenant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la société Air France avait mis en place un suivi psychologique de M. X., témoin des attentats du 11 septembre 2001, durant les semaines et les mois qui ont suivi cet événement afin de prévenir les troubles consécutifs à un état de stress post-traumatique, la cour d’appel a violé l’article L. 4121-1 du code du travail ;

2°/ que l’employeur tenu à une obligation de sécurité de résultat prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en mettant en place notamment des actions de prévention des risques professionnels ; qu’en s’abstenant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la société Air France avait proposé individuellement à M. X. un débriefing au moment de son arrivée en France après les attentats du 11 septembre 2001, afin de prévenir les troubles consécutifs à un état de stress post-traumatique, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

3°/ que l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs qui comprennent des actions de prévention des risques professionnels ; qu’il doit prendre l’initiative de ces mesures sans que son obligation soit soumise à la demande des salariés, a fortiori en souffrance mentale ; qu’en se fondant sur le fait que M. X. n’aurait pas signalé son mal-être et sollicité de l’aide de la société Air France pour écarter toute méconnaissance de l’obligation de sécurité de résultat de cette dernière, la cour d’appel a violé l’article L. 4121-1 du code du travail ;

4°/ que l’exposant faisait valoir que la société Air France avait omis de mentionner le risque de stress post-traumatique dans le document unique d’évaluation des risques ; qu’en délaissant ce moyen à même d’établir la violation de l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur, la cour d’appel a privé sa décision de motifs en méconnaissance de l’article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que les juges sont tenus de préciser les pièces sur lesquelles ils se fondent pour justifier leur décision ; qu’en affirmant sans préciser de quelle pièce elle a tiré cette assertion que M. X. avait déclaré avoir signalé le cas d’une hôtesse en état de détresse à l’infirmière présente lors de son retour à Roissy après les attentats du 11 septembre 2001, quand il avait toujours soutenu sans être démenti ne pas connaître la fonction des membres du personnel présent, la cour d’appel a privé sa décision de motifs en méconnaissance de l’article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la cour de cassation – principe (nouveau)

Mais « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ».

Application du principe

« Et attendu qu’appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient sou- mis et procédant aux recherches qui lui étaient demandées, la cour d’appel a constaté, d’une part, que l’employeur, ayant pris en compte les événements violents auxquels le salarié avait été exposé, avait, au retour de New York le 11 septembre 2001, fait accueillir celui-ci, comme tout l’équipage, par l’ensemble du personnel médical mobilisé pour assurer une présence jour et nuit et orienter éventuellement les intéressés vers des consultations psychiatriques, d’autre part que le salarié, déclaré apte lors de quatre visites médicales intervenues entre le 27 juin 2002 et le 18 novembre 2005, avait exercé sans difficulté ses fonctions jusqu’au mois d’avril 2006 ; qu’ayant relevé que les éléments médicaux produits, datés de 2008, étaient dépourvus de lien avec ces événements dont il avait été témoin, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, propres et adoptés, dont elle a pu déduire l’absence de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, légalement justifié sa décision.»

Décision

(Cour de cassation, chambre sociale, Patrick X. c/ société Air France, 25 novembre 2015).
La Cour de cassation casse et annule mais seulement en ce qu’il déboute M. X. de sa demande tendant à voir déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société Air France au paiement de dommages-intérêts à ce titre, l’arrêt rendu le 6 mai 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.

Commentaire

L’obligation de sécurité de résultat prend la nature d’une « obligation de moyens renforcée ».En cas de dégradation de la santé du fait du travail, pour s’exonérer de sa responsabilité, l’employeur doit prouver qu’il a mis en œuvre toutes les mesures nécessaires à la préservation de la santé et de la sécurité des salariés au regard de ses obligations légales. Il convient donc de construire les dossiers sur le fondement des dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. De précédentes décisions annonçaient cette évolution de la jurisprudence, notamment :

Cour de cassation, chambre sociale, 22 octobre 2015, syndicats des travailleurs Cgt de Areva NC La Hague et Cgt-FO de l’énergie nucléaire de La Hague c/ société Areva NC, filiale du groupe Areva.

« Mais attendu que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, sans les dénaturer ni être tenue de se justifier sur ceux qu’elle écartait, qu’après avoir constaté que si la question des risques psychosociaux avait été particulièrement aiguë au sein du DI/PE à la fin de l’année 2010 et au cours de l’année 2011, il résultait des pièces produites que l’employeur avait initié, outre un processus de reclassement des salariés, un plan global de prévention des risques psychosociaux comportant notamment un dispositif d’écoute et d’accompagnement ainsi qu’un dispositif d’évolution des conditions de vie au travail et de formation des managers et que cette démarche s’était poursuivie dans la durée, donnant lieu à un suivi mensuel, la cour d’appel a, motivant sa décision, pu décider qu’il n’y avait pas lieu d’interdire la mise en œuvre du projet d’externalisation de l’activité du service DI/PE. »

« Mais attendu qu’ayant relevé, d’une part, que l’autorité de sûreté nucléaire, compétente en application des dispositions de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 et informée de manière détaillée, avait donné son accord à la mise en œuvre des modifications induites par l’ensemble des projets, aux règles générales d’exploitation et au plan d’urgence interne de l’établissement, et, d’autre part, que le prestataire choisi était spécialisé dans la gestion et l’exploitation de l’énergie à partir de biomasse et intervenait déjà sur différents sites nucléaires, que le niveau de recrutement des salariés appelés à intégrer le Gie était élevé, que le processus de leur formation spécifique aux installations n’engendrait pas de risque avéré de déperdition des connaissances et de l’expérience accumulée susceptible de rejaillir sur la sécurité de l’établissement, et qu’il n’était pas démontré que la nouvelle chaîne de responsabilité résultant de l’externalisation serait source de risques en matière de sécurité, la cour d’appel a légalement justifié sa décision. »

Cour de cassation, chambre sociale, 5 mars 2015, société Fnac Relais, filiale de la holding Fnac.


« Et attendu, ensuite, qu’ayant constaté, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que l’entreprise justifiait des différentes catégories professionnelles dont relèvent les postes en cause au regard des temps de travail induits par la ventilation des charges de travail transférées, permettant ainsi l’identification des risques résultant des transferts de charges de travail, et qu’elle disposait désormais des éléments suffisants pour permettre l’identification et l’évaluation des éventuels risques psychosociaux invoqués par les Chsct et les organisations syndicales, la cour d’appel a pu en déduire que ces derniers ne démontrent pas que la réorganisation de l’entreprise dans le cadre du projet “Fnac 2012” entraîne des risques psychosociaux caractérisés ou avérés pour les salariés de l’entreprise et que l’employeur n’a pas rempli ses obligations légales et conventionnelles en matière de santé et de sécurité des travailleurs de l’entreprise. »

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