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Management autoritaire et sexiste = harcèlement moral
Un salarié en position hiérarchique dont « les comportements […] excédaient […] les limites du pouvoir de direction » se rend coupable de harcèlement moral (Cassation criminelle, 19 juin 2018, M. Jean-Marie X…).
Ce salarié a commis à Guyancourt, entre le 1er septembre 2004 et le 30 juin 2005 « des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail de Mme A. […] susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Il employait des termes humiliants et dévalorisants (« Comment on peut engager des bons à rien comme cela » ou « si vous ne savez pas porter, vous n’avez qu’à pas prendre des métiers d’homme »), adoptait des « attitudes » et faisait des « gestes inadaptés, claquements de doigts, cris pour s’adresser notamment à Mme Latifa A. » (ouvrière professionnelle de cuisine).
Ces agissements ont entraîné une importante dépression chez la victime.
Le harcèlement moral étant caractérisé par des actes répétés, le juge doit appréhender dans leur ensemble les faits considérés comme établis, peu importe que, pris isolément, les actes dénoncés n’aient été, chacun, commis qu’une fois.
Inaptitude médicale : recherche obligatoire d’un reclassement
Dans cette affaire, « le médecin du travail a déclaré la salariée inapte à son poste et a précisé que l’état de santé de celle-ci ne permettait pas de faire des propositions de poste à des tâches existantes dans l’entreprise ». En conséquence de quoi, Mme Y. « a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement ».
« L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner au paiement de diverses sommes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. »
L’employeur doit rechercher un emploi pour reclasser le salarié devenu médicalement inapte à son poste (Cassation sociale, 3 mai 2018, société Demos).
En effet, selon l’arrêt, « si les réponses apportées par le médecin du travail postérieurement au constat d’inaptitude, sur les possibilités éventuelles de reclassement du salarié déclaré inapte, concourent à la justification par l’employeur de l’impossibilité de remplir cette obligation, elles ne dispensent pas cet employeur de toute recherche de reclassement ».
Par conséquent, la condamnation pour licenciement injustifié est pertinente :
« L’employeur s’était dispensé de toute recherche de reclassement préalable au licenciement pour inaptitude sans même identifier des postes de reclassement susceptibles d’être proposés au sein du groupe ou même tenter d’identifier une solution de reclassement au sein du groupe. »
Emploi obligatoire de la langue française dans le travail
Tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français (article L. 1321-6 du Code du travail ).
Par conséquent, le salarié doit avoir « accès, sous quelque forme que ce soit, à un document rédigé en français fixant les objectifs permettant la détermination de la rémunération variable », peu importe le caractère international de l’activité de l’entreprise (Cassation sociale, 3 mai 2018, société Misys France, filiale de la société de droit anglais Misys).
Infraction liée à l’utilisation d’un équipement conforme mais inadapté
À la suite d’un accident du travail mortel, le juge de cassation rappelle que « l’employeur ou le directeur d’agence, lorsqu’il dispose d’une délégation de pouvoir en matière de sécurité, est tenu de veiller personnellement à la stricte et constante application des dispositions légales et réglementaires en matière d’hygiène et de sécurité, dont celle de mettre à disposition des salariés un matériel qui, même conforme à la réglementation, doit être approprié au travail à réaliser en fonction des conditions concrète du chantier en cause ». (Cassation criminelle, 6 mars 2018).
Un équipement de travail doit être adapté aux travaux à réaliser. Il ne suffit pas qu’il soit conforme à la réglementation et contrôlé. À défaut, l’employeur peut être condamné pénalement, notamment en cas d’accident du travail.
Le directeur d’agence est jugé coupable du « délit de mise à disposition d’équipement de travail ne permettant pas de préserver la sécurité des travailleurs et d’homicide involontaire dans le cadre du travail » et a été condamné à une peine de dix mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 1 000 euros. L’arrêt a déclaré la société Id Verde coupable du « délit d’homicide involontaire dans le cadre du travail » et l’a condamnée à une amende de 50 000 euros.
Liberté d’expression, droit d’alerte
La liberté d’expression est un droit fondamental « dont jouit tout salarié », son usage ne peut justifier une sanction qu’en cas d’abus, comme « l’emploi de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs » (Cassation sociale, 21 mars 2018, Mme B. c/ société Ansealmar).
Ainsi, « les accusations de falsification des comptes par le dirigeant de la société, proférées par la salariée auprès du conseiller du président de la société-mère, propos qui, s’ils sont objectivement susceptibles de nuire à son employeur, ne sont pas pour autant de nature calomnieuse puisqu’ils n’étaient l’expression que d’un ressenti à un ancien proche collaborateur », ne constituent pas un abus.
Indépendance du médecin du travail
Des employeurs attaquent à titre personnel des médecins du travail, dont la rédaction de certificats médicaux, les avis ou les conclusions leur déplaisent. La voie choisie ici n’est pas la procédure classique de contestation devant le juge du contrat, mais la mise en cause du médecin du travail devant les instances disciplinaires de l’ordre des médecins. Ce type de démarche, qui n’est pas entièrement nouveau (voir notamment Conseil d’État, 11 octobre 2017,
Association santé et médecine du travail Smt et autres) semble se multiplier.
Une nouvelle affaire a été jugée récemment (Conseil d’État, 6 juin 2018, société Orys).
Dans cette affaire, M. A., médecin du travail d’Edf en fonction sur le site de Chinon, a rédigé, le 2 décembre 2011, un certificat médical en faveur de M. B., salarié de la société Orys travaillant sur le même site, relatif à des faits qui s’étaient déroulés en avril 2011, à l’époque où M. B. travaillait, en qualité de salarié de la même société, sur un site de la société Areva situé au Tricastin.
Ce certificat ayant été produit par M. B. devant le juge prud’homal dans le cadre d’une instance l’opposant à son employeur, la société Orys a porté plainte contre M. A. devant les instances disciplinaires de l’ordre des médecins (la chambre disciplinaire de première ins- tance du conseil régional du Centre de l’ordre des médecins) au motif qu’il avait, en établissant ce certificat, méconnu des obligations déontologiques.
Le conseil départemental d’Indre-et-Loire de l’ordre des médecins s’est associé à la plainte.
Par une décision du 16 janvier 2014, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. A. la sanction de l’avertissement.
Par une décision du 26 septembre 2016, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a rejeté l’appel formé par M. A. contre cette décision. M. A. se pourvoit en cassation (devant le Conseil d’État) contre cette décision du 26 septembre 2016 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a rejeté son appel formé contre la décision du 16 janvier 2014 par laquelle la chambre disciplinaire de première instance lui a infligé la sanction de l’avertissement.
Le pourvoi de M. A. est rejeté. Pour rejeter ce recours, le juge administratif sou- ligne notamment que « la circonstance qu’un certificat établi par un médecin du travail prenne parti sur un lien entre l’état de santé de ce salarié et ses conditions de vie et de travail dans l’entreprise, n’est pas, par elle-même, de nature à méconnaître les obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-28 et R. 4127-76 du Code du travail » et que le médecin ne saurait établir un tel certificat « qu’en considération de constats personnelle-ment opérés par lui, tant sur la personne dusalarié que sur son milieu de travail ». Le juge du fond a « souverainement relevé, sans dénaturer les termes du certificat médical litigieux, que M. A., par ce certificat établi en sa qualité de médecin du travail d’Électricité de France en fonction sur le site de Chinon, d’une part, avait pris parti sur le bien-fondé d’un “droit de retrait” exercé plus de huit mois plus tôt sur un site de la société Areva situé au Tricastin qu’il ne connaissait pas, d’autre part, avait laissé entendre que la société Orys ne respectait pas ses obligations en terme de protection de la santé des salariés sans préciser les éléments qui le conduisaient à une telle suspicion et qu’il aurait été à même de constater, et enfin, reprochait notamment à cette société des “pratiques maltraitantes” sans, là encore, faire état de faits qu’il aurait pu lui-même constater ».
Jugeant que M. A. « en prenant ainsi en considération pour établir le certificat médical litigieux des faits qu’il n’avait pas personnellement constatés, avait méconnu les dispositions des articles R. 4127-28 et R. 4127-76 du code de la santé publique citées au point 7 », le Conseil d’État a considéré que la chambre disciplinaire nationale, « dont la décision est suffisamment motivée, a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n’a pas commis d’erreur de droit ».
Bibliographie
Michel Miné, Le Grand Livre du droit du travail en pratique, 2018, Eyrolles, 29e édition, 846 pages, 39 euros.