Santé au travail : Le Chsct au cœur du débat et de l’action

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Santé au travail : Le Chsct au cœur du débat et de l’action
Pour préserver la santé des salariés contre les risques professionnels, notamment les risques liés aux nouvelles organisations du travail (méthode lean, c’est-à-dire « maigre », etc.), et pour favoriser l’amélioration des conditions de travail, il existe une institution qui, si elle est mobilisée, peut jouer un rôle déterminant au regard de ses attributions et de ses pouvoirs : le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (Chsct). La jurisprudence vient préciser les conséquences en cas de non-respect de ses droits.Michel CHAPUIS

La loi applicable
De manière générale, les membres du Chsct ont un droit à consultation très étendu. Le Chsct reçoit de l’employeur les informations qui lui sont nécessaires pour l’exercice de ses missions (1).

Dans des situations particulières, des dispositions complémentaires sont prévues. D’une part, le Chsct est consulté avant toute « décision  d’aménagement  important »    modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail (2). Cette consultation doit notamment permettre au Chsct de mesurer l’impact du projet sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des salariés.
D’autre part, le Chsct peut faire appel à un expert agréé en cas de « projet important » modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (3).

 

Première affaire : centre hospitalier universitaire de Rangueil (Chu)

Les faits
Lors de la réunion du 13 mai 2011, la direction du centre hospitalier universitaire de Rangueil (Chu) a présenté au Chsct un projet de réorganisation du service de réanimation des grands brûlés, occupant vingt-neuf personnes (personnel infirmier et aide-soignant).
Le projet de réorganisation présenté le 13    mai    2011 au Chsct de Rangueil modifiait en profondeur les cadences de travail, puisque : • la durée quotidienne de travail passait pour un salarié de sept heures quarante-deux à douze heures,
• la durée annuelle de travail passait de deux cent dix à cent trente jours, • les périodes de congés payés et de repos compensateurs étaient accrues.
Cette modification s’inscrivait dans un service soumis à des contraintes thermiques fortes (35°). La fatigue du personnel œuvrant douze heures d’affilée dans des conditions extrêmes de température et de vigilance pouvait être considérée comme un inconvénient prévisible de cette nouvelle organisation.

La procédure judiciaire.
Invoquant l’existence d’un trouble manifestement illicite, le Chsct a assigné le Chu en référé, devant le tribunal de grande instance, pour obtenir la suspension de la mise en œuvre du projet, dans l’attente des résultats de l’expertise. En effet, il appartient au juge des référés (Tgi) de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite; constitue un trouble manifestement illicite par manquement de l’employeur à son obligation de sécurité toute mise en place d’une organisation du travail de nature à compromettre la santé des travailleurs concernés.
Ainsi, le premier juge (Tgi) a reconnu qu’il s’agis- sait d’un projet important autorisant le Chsct à recourir à une expertise afin de vérifier l’impact prévisible de cette modification sur la santé et la sécurité des salariés, et de proposer toute amélioration possible. En appel, la cour a débouté le Chsct de sa demande. La cour d’appel a retenu que les informations communiquées par l’employeur sous forme d’un « PowerPoint » de huit pages contenaient une description sommaire du projet dans ses grandes lignes, présenté sous le seul angle de l’amélioration de la qualité des soins et des conditions de travail, les inconvénients prévisibles comme la fatigue du personnel n’étant nullement examinés, mais elle a décidé que, pour autant, cette insuffisance ne permettait pas de conclure que le Chu avait méconnu l’obligation de consulter le Chsct.

La décision qui fait jurisprudence
En revanche, pour la Cour de cassation, les informations données par l’employeur au Chsct étaient sommaires et ne comportaient pas d’indications relatives aux conséquences de la réorganisation du service sur les conditions de travail des salariés, de sorte que le comité ne pouvait donner un avis utile. Ces constatations en matière d’insuffisance d’information caractérisaient l’existence d’un trouble manifeste- ment illicite, justifiant donc la suspension de la mesure (de réorganisation du service des grands brûlés) tant que le Chsct n’avait pas été consulté régulièrement (4). Le défaut d’avis utile rejaillit sur la régularité de la consultation et justifie par conséquent la suspension du projet.
Le fait que le nombre de salariés concernés soit de faible importance au regard du personnel employé dans l’entreprise n’est pas incompatible avec la notion de projet important ; la notion de projet important s’apprécie ainsi au regard de l’objet de la mesure projetée et de son incidence sur les conditions de travail dans le service considéré.

 

Deuxième affaire : Ratp

Les faits
Ils concernent un projet de réorganisation au sein de la Ratp.

La procédure judiciaire
Invoquant la méconnaissance par la Ratp de dispositions légales et de dispositions conventionnelles (accord d’entreprise « Prévention des risques psychosociaux »), trois organisations syndicales saisissaient le tribunal de grande instance de Paris, en référé, pour obtenir la sus- pension du projet de réorganisation.

La décision
« […] Que l’employeur est dès lors tenu, à l’égard  de son personnel, d’une obligation de sécurité de  résultat qui lui impose de prendre les mesures  nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la  santé des travailleurs ; qu’il lui est interdit, dans  l’exercice de son pouvoir de direction, de prendre  des mesures qui auraient pour effet de compromettre la santé et la sécurité des travailleurs ; […] » Que l’information du Chsct s’est effectuée sur la base de documents incomplets s’agissant de  l’analyse en amont des risques professionnels et de  l’impact sur les conditions de travail ; que l’expert  insistait sur la nécessité de procéder à une analyse  de risques professionnels avant de mettre en place  le projet […]. » Attendu que la Ratp reconnaît, dans ses écritures,  que l’évaluation des risques psychosociaux au sein  du département Sec n’a pas été exécutée […].
»  Attendu  que  la  démarche  d’évaluation  des  risques est à la charge de l’employeur ; que cette  évaluation doit être globale, exhaustive et fondée  sur le travail réel des salariés ; qu’en vertu de  l’article L.4121-3 du Code du travail l’employeur  doit anticiper tous les risques pour la santé et  la sécurité des travailleurs dans tous les projets  de l’entreprise ; que cette analyse en amont est  essentielle pour permettre au Chsct de remplir  réellement le rôle qui lui est assigné aux termes  de l’article L.4612-1 et suivants du code précité ; » Que, par conséquent, il conviendra de suspendre  le projet de réorganisation de l’unité opérationnelle Sécurité des réseaux dans l’attente du jugement rendu par le Tgi de Paris (la procédure à  jour fixe), et de suspendre également toute mesure  qui aurait pu être prise depuis lors en application  de cette réorganisation (5). »

L’enseignement de cette jurisprudence au regard de ces deux affaires

Une règle : une information suffisante par l’employeur est nécessaire pour permettre un avis utile du Chsct. En effet, le manque d’informations précises et pertinentes fournies par l’employeur ne permet pas au Chsct de rendre un avis. Par conséquent, l’employeur, dans un tel cas de figure, doit de nouveau consulter le Chsct en lui fournissant, de façon précise, toutes les informations nécessaires concernant son projet de réorganisation et permettant l’analyse des conséquences de son projet sur les conditions de travail.

Recours à l’expertise dans un établissement public

Le Chsct d’un établissement public, notamment hospitalier, qui décide de recourir à une expertise n’est pas tenu de se soumettre aux règles de la commande publique (cf. la procédure d’appel d’offres). « La décision de recourir à un expert, prise par  le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions  de travail (Chsct) d’un établissement public en  application de l’article L.4614-12 du Code du  travail, n’est pas au nombre des marchés de service énumérés limitativement par l’article 8 du  décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 portant application de l’ordonnance n° 2005-649  du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par  certaines personnes publiques ou privées non  soumises au Code des marchés publics (6) »

(1) Art. L.4614-9 du Code du travail. (2) Article L.4612-8 du Code du travail.
(3) Prévu à l’article L.4612-8 du Code du travail.
(4) Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013, Chsct du centre hospitalier universitaire de Rangueil.
(5) Tribunal de grande instance de Paris, 18 septembre 2013, Ratp.
(6) Cour de cassation, chambre sociale, 20 novembre 2013, centre hospitalier universitaire André-Benech de Montpellier ; voir déjà Cour de cassation, chambre sociale, 16 janvier 2013, centre hospitalier général Jean-Rougier.

Bibliographie
Michel Miné et Daniel Marchand, Le Droit du travail en pratique, Ed. Eyrolles, Paris, 26e éd., 2014.

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