Santé au travail : Des ressources du droit à connaître et à mobiliser !

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Santé au travail : Des ressources du droit à connaître et à mobiliser !
Dans le prolongement des orientations et des conventions de l’Organisation internationale du travail (Oit) en matière de santé et de sécurité au travail, l’Union européenne et les Etats membres ont pour objectif « l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès » (1). Michel CHAPUIS

En application des dispositions du traité de Lisbonne, la directive du 12 juin 1989 concernant « la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir  l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail » prévoit que « L’employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs  dans tous les aspects liés au travail [article 5, paragraphe 1]. » Sur le fondement de cette disposition, le juge interne a affirmé l’obligation de sécuritéde résultat de l’employeur et développe depuis une jurisprudence favorable aux salariés. Plusieurs juridictions peuvent être saisies en cas d’atteinte à la santé du fait du travail (au civil, le conseil des prud’hommes et le tribunal des affaires de sécurité sociale ; au pénal, le tribunal correctionnel)

Sur le plan civil, à l’issue de procédures engagées devant le conseil de prud’hommes, le droit à réparation du préjudice d’anxiété est confirmé (2). Des salariés, qui avaient travaillé dans un établissement pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante se trouvaient, par le fait de l’employeur, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à la manipulation de cette substance, qu’ils se soumettent ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers ; le juge a ainsi caractérisé l’existence d’un préjudice spécifique d’anxiété.

Ce préjudice doit être évalué et indemnisé. Cette « indemnisation accordée  au titre du préjudice d’anxiété répare l’ensemble  des troubles psychologiques, y compris ceux liés  au bouleversement dans les conditions d’existence, résultant du risque de déclaration à tout  moment d’une maladie » (3). Ainsi, en l’absence de déclaration d’accident du travail ou de maladie professionnelle, « les demandes indemnitaires  fondées sur le manquement de l’employeur à son  obligation de sécurité de résultat relevaient de la  compétence de la juridiction prud’homale ». Même en cas de déclaration de maladie professionnelle, le juge prud’homal peut demeurer compétent pour la période antérieure à la déclaration: « la déclaration de la maladie et le  contentieux auquel elle a donné lieu ne privent  pas le salarié du droit de demander à la juridiction prud’homale la réparation des conséquences  du trouble psychologique, compris dans le préjudice d’anxiété, subi avant la déclaration de la  maladie » (4).

Les indemnisations ne se cumulent pas (confirmation): « l’indemnisation accordée au titre du  préjudice d’anxiété répare l’ensemble des troubles  psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence, résultant  du risque de déclaration à tout moment d’une  maladie liée à l’amiante ; le trouble lié au bouleversement dans les conditions d’existence et au  changement de situation sociale, par suite de la  cessation d’activité intervenue, n’ouvrait pas droit  à une indemnisation distincte de celle accordée en  réparation du préjudice d’anxiété » (5).

Cette jurisprudence concernant le risque « amiante » peut être mobilisée au regard d’autres risques, notamment des risques organisationnels (risques psychosociaux, harcèlement moral, etc.). Sur le plan civil, à l’issue d’une procédure engagée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, la faute inexcusable de l’employeur est reconnue (6). Le salarié a été retrouvé mort noyé dans un plan d’eau situé sur un terrain appartenant à l’employeur, jouxtant le Technocentre de Guyencourt où il occupait un poste de gestionnaire de données techniques ; la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines a reconnu le caractère professionnel de l’accident. Or « il  résulte des investigations effectuées au cours  des  enquêtes  réalisées  par  la  caisse  primaire  d’assurance maladie, l’inspection du travail et  les services du commissariat de Versailles, que  Hervé X… a, dès son arrivée au sein de la direction des méthodes de conception, rencontré de  graves  difficultés  pour  assurer  des  fonctions  pour lesquelles il n’avait pas les connaissances  requises ; l’équipe en place n’a pu assurer la formation prévue en raison du départ précipité de  la personne chargée de la dispenser ; que cette situation a provoqué chez Hervé X… un pro- fond désarroi se traduisant par des échanges de  courriels avec les membres de son équipe et son  supérieur hiérarchique dans lesquels il sollicitait l’aide nécessaire pour effectuer les missions  confiées dans les délais impartis ; cette situation  a entraîné l’hospitalisation d’Hervé X… pendant  quinze jours pour des troubles dépressifs sévères,  l’intéressé ayant fait appel aux services de police  le 14 mai 2006 afin d’éviter de mettre sa vie en  danger ; en dépit des préconisations du médecin  du travail, une nouvelle affectation n’a été effective que plusieurs mois plus tard, en octobre 2006 ;  si son nouveau poste a placé Hervé X… dans des  conditions de travail moins stressantes, il n’a pu  bénéficier d’aucune réelle formation, puisqu’il  résulte des enquêtes réalisées qu’il a simplement  été accompagné dans son travail par un autre  collaborateur exerçant les mêmes fonctions, sans  réduction d’activité compensant cette aide ponctuelle ; les supérieurs hiérarchiques d’Hervé X…  n’ont jamais réellement recherché à améliorer ses  conditions de travail ; ils n’ont jamais contrôlé ses  horaires de travail qui, selon les relevés de l’inspection du travail, avaient atteint une amplitude  de dix à douze heures par jour en janvier 2007  et révélaient l’incapacité du salarié à assurer  l’exécution de ses nouvelles attributions dans des  conditions satisfaisantes respectant l’exigence  d’un repos quotidien suffisant ». Par conséquent, « l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience  du danger auquel son salarié était exposé et il  n’avait pas pris de mesures suffisantes pour l’en  préserver, de sorte qu’était établie une faute inexcusable à l’origine de l’accident ».

Sur le plan pénal, à l’issue d’une procédure engagée devant le tribunal correctionnel, une importante décision a été rendue en matière de harcèlement moral (7). Par l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 6-1, en date du 22 novembre 2011, le juge a condamné deux cadres dirigeants, pour harcèle- ment moral, le premier à 7 000 euros d’amende, le second à 4 000 euros d’amende et s’est prononcé sur les intérêts civils (dommages et intérêts – constitution de partie civile de Mme J…, épouse de M. G…, à raison du préjudice personnel par elle subi du fait du délit de harcèlement moral retenu, et constitution de partie civile du syndicat Cgt Bourse Investissements) : « les agissements poursuivis, en ce qu’ils ont eu pour effet  de porter atteinte, à l’occasion de la réorganisation de la société Euronext Paris, aux conditions  d’emploi et à la santé au travail d’un salarié de  cette entreprise, ont nécessairement porté atteinte  aux intérêts collectifs de la profession ». La cour d’appel avait également condamné l’entreprise (société Euronext Paris SA), qui n’a pas fait de pourvoi en cassation.

La Cour de cassation rejette les pourvois des deux cadres dirigeants et confirme leurs condamnations au regard de leurs agissements répétés à l’égard d’un salarié (cadre), excédant l’exercice de leur pouvoir de direction, ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel (8) : mise à l’écart effective de M. Pierre-André G… de ses tâches et prérogatives, mutation de poste sans lui assigner des attributions précises, déménagement physique de bureau avec brutalité, dégradation des conditions de travail, etc. (le salarié avait mis fin à ses jours le 20 octobre 2007).

Bibliographie
M. Miné, C. Boudineau, A. Le Nouvel, M. Mercat-Bruns, D. Roux-Rossi, B. Silhol, Le Droit social international et européen en pratique, Ed. Eyrolles, Paris, 2e éd., 2013, 402 p., 35 euros (spéc. chapitre V). L’ouvrage vient de se voir décerner la mention spéciale du prix Francis Blanchard par le jury de l’Association française de l’Organisation internationale du travail (Afoit).

(1) Article 136 du traité sur le fonctionnement de l’UE du Traité de Lisbonne ; cf. article 118 A de l’Acte unique de 1986.
(2) Cinq décisions de la Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013.
(3) Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013, M. Y… et trente-quatre autres salariés de la société ZF Masson ; voir également Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013, anciens salariés de la société ZF Masson, dont Ramdane X… ; Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013, M. X…, salarié de la société ZF Masson.
(4) Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013, M. X… et quatre autres salariés de la société Babcock Wanson.
(5) Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013, M. X… et seize autres salariés de la société Ahlstrom Labelpack.
(6) Cour de cassation, 2e chambre civile, 19 septembre 2013, Sas Renault.
(7) Cour de cassation, chambre criminelle, 5 février 2013, M. Edward X… et M. Christian I…
(8) Article 222-33-2 du Code pénal.

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