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En application des dispositions du traité de Lisbonne, la directive du 12 juin 1989 concernant « la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail » prévoit que « L’employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail [article 5, paragraphe 1]. » Sur le fondement de cette disposition, le juge interne a affirmé l’obligation de sécuritéde résultat de l’employeur et développe depuis une jurisprudence favorable aux salariés. Plusieurs juridictions peuvent être saisies en cas d’atteinte à la santé du fait du travail (au civil, le conseil des prud’hommes et le tribunal des affaires de sécurité sociale ; au pénal, le tribunal correctionnel)
Sur le plan civil, à l’issue de procédures engagées devant le conseil de prud’hommes, le droit à réparation du préjudice d’anxiété est confirmé (2). Des salariés, qui avaient travaillé dans un établissement pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante se trouvaient, par le fait de l’employeur, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à la manipulation de cette substance, qu’ils se soumettent ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers ; le juge a ainsi caractérisé l’existence d’un préjudice spécifique d’anxiété.
Ce préjudice doit être évalué et indemnisé. Cette « indemnisation accordée au titre du préjudice d’anxiété répare l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d’une maladie » (3). Ainsi, en l’absence de déclaration d’accident du travail ou de maladie professionnelle, « les demandes indemnitaires fondées sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat relevaient de la compétence de la juridiction prud’homale ». Même en cas de déclaration de maladie professionnelle, le juge prud’homal peut demeurer compétent pour la période antérieure à la déclaration: « la déclaration de la maladie et le contentieux auquel elle a donné lieu ne privent pas le salarié du droit de demander à la juridiction prud’homale la réparation des conséquences du trouble psychologique, compris dans le préjudice d’anxiété, subi avant la déclaration de la maladie » (4).
Les indemnisations ne se cumulent pas (confirmation): « l’indemnisation accordée au titre du préjudice d’anxiété répare l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante ; le trouble lié au bouleversement dans les conditions d’existence et au changement de situation sociale, par suite de la cessation d’activité intervenue, n’ouvrait pas droit à une indemnisation distincte de celle accordée en réparation du préjudice d’anxiété » (5).
Cette jurisprudence concernant le risque « amiante » peut être mobilisée au regard d’autres risques, notamment des risques organisationnels (risques psychosociaux, harcèlement moral, etc.). Sur le plan civil, à l’issue d’une procédure engagée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, la faute inexcusable de l’employeur est reconnue (6). Le salarié a été retrouvé mort noyé dans un plan d’eau situé sur un terrain appartenant à l’employeur, jouxtant le Technocentre de Guyencourt où il occupait un poste de gestionnaire de données techniques ; la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines a reconnu le caractère professionnel de l’accident. Or « il résulte des investigations effectuées au cours des enquêtes réalisées par la caisse primaire d’assurance maladie, l’inspection du travail et les services du commissariat de Versailles, que Hervé X… a, dès son arrivée au sein de la direction des méthodes de conception, rencontré de graves difficultés pour assurer des fonctions pour lesquelles il n’avait pas les connaissances requises ; l’équipe en place n’a pu assurer la formation prévue en raison du départ précipité de la personne chargée de la dispenser ; que cette situation a provoqué chez Hervé X… un pro- fond désarroi se traduisant par des échanges de courriels avec les membres de son équipe et son supérieur hiérarchique dans lesquels il sollicitait l’aide nécessaire pour effectuer les missions confiées dans les délais impartis ; cette situation a entraîné l’hospitalisation d’Hervé X… pendant quinze jours pour des troubles dépressifs sévères, l’intéressé ayant fait appel aux services de police le 14 mai 2006 afin d’éviter de mettre sa vie en danger ; en dépit des préconisations du médecin du travail, une nouvelle affectation n’a été effective que plusieurs mois plus tard, en octobre 2006 ; si son nouveau poste a placé Hervé X… dans des conditions de travail moins stressantes, il n’a pu bénéficier d’aucune réelle formation, puisqu’il résulte des enquêtes réalisées qu’il a simplement été accompagné dans son travail par un autre collaborateur exerçant les mêmes fonctions, sans réduction d’activité compensant cette aide ponctuelle ; les supérieurs hiérarchiques d’Hervé X… n’ont jamais réellement recherché à améliorer ses conditions de travail ; ils n’ont jamais contrôlé ses horaires de travail qui, selon les relevés de l’inspection du travail, avaient atteint une amplitude de dix à douze heures par jour en janvier 2007 et révélaient l’incapacité du salarié à assurer l’exécution de ses nouvelles attributions dans des conditions satisfaisantes respectant l’exigence d’un repos quotidien suffisant ». Par conséquent, « l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel son salarié était exposé et il n’avait pas pris de mesures suffisantes pour l’en préserver, de sorte qu’était établie une faute inexcusable à l’origine de l’accident ».
Sur le plan pénal, à l’issue d’une procédure engagée devant le tribunal correctionnel, une importante décision a été rendue en matière de harcèlement moral (7). Par l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 6-1, en date du 22 novembre 2011, le juge a condamné deux cadres dirigeants, pour harcèle- ment moral, le premier à 7 000 euros d’amende, le second à 4 000 euros d’amende et s’est prononcé sur les intérêts civils (dommages et intérêts – constitution de partie civile de Mme J…, épouse de M. G…, à raison du préjudice personnel par elle subi du fait du délit de harcèlement moral retenu, et constitution de partie civile du syndicat Cgt Bourse Investissements) : « les agissements poursuivis, en ce qu’ils ont eu pour effet de porter atteinte, à l’occasion de la réorganisation de la société Euronext Paris, aux conditions d’emploi et à la santé au travail d’un salarié de cette entreprise, ont nécessairement porté atteinte aux intérêts collectifs de la profession ». La cour d’appel avait également condamné l’entreprise (société Euronext Paris SA), qui n’a pas fait de pourvoi en cassation.
La Cour de cassation rejette les pourvois des deux cadres dirigeants et confirme leurs condamnations au regard de leurs agissements répétés à l’égard d’un salarié (cadre), excédant l’exercice de leur pouvoir de direction, ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel (8) : mise à l’écart effective de M. Pierre-André G… de ses tâches et prérogatives, mutation de poste sans lui assigner des attributions précises, déménagement physique de bureau avec brutalité, dégradation des conditions de travail, etc. (le salarié avait mis fin à ses jours le 20 octobre 2007).
Bibliographie
M. Miné, C. Boudineau, A. Le Nouvel, M. Mercat-Bruns, D. Roux-Rossi, B. Silhol, Le Droit social international et européen en pratique, Ed. Eyrolles, Paris, 2e éd., 2013, 402 p., 35 euros (spéc. chapitre V). L’ouvrage vient de se voir décerner la mention spéciale du prix Francis Blanchard par le jury de l’Association française de l’Organisation internationale du travail (Afoit).
(1) Article 136 du traité sur le fonctionnement de l’UE du Traité de Lisbonne ; cf. article 118 A de l’Acte unique de 1986.
(2) Cinq décisions de la Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013.
(3) Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013, M. Y… et trente-quatre autres salariés de la société ZF Masson ; voir également Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013, anciens salariés de la société ZF Masson, dont Ramdane X… ; Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013, M. X…, salarié de la société ZF Masson.
(4) Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013, M. X… et quatre autres salariés de la société Babcock Wanson.
(5) Cour de cassation, chambre sociale, 25 septembre 2013, M. X… et seize autres salariés de la société Ahlstrom Labelpack.
(6) Cour de cassation, 2e chambre civile, 19 septembre 2013, Sas Renault.
(7) Cour de cassation, chambre criminelle, 5 février 2013, M. Edward X… et M. Christian I…
(8) Article 222-33-2 du Code pénal.