Procédure disciplinaire et procédure pénale

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Procédure disciplinaire et procédure pénale
Deux voies d’action autonomes C’est ce que vient préciser le Conseil d’Etat dans une décision du 30 décembre 2014. Edoardo MARQUÈS

Le 24 janvier 2013, la chambre disciplinaire régionale de l’ordre des médecins d’Aquitaine avait radié du tableau de l’ordre des médecins M. Bonnemaison, estimant qu’il avait délibérément provoqué la mort de patients hospitalisés au centre hospitalier de la Côte Basque à Bayonne. Cette décision a été confirmée en appel le 15 avril 2014 par la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins. Dans sa décision du 30 décembre 2014 (1), le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi en cassation introduit par M. Bonnemaison contre cette dernière décision. Il a notamment estimé que l’argumentation développée par M. Bonnemaison ne permettait pas de remettre en cause la décision rendue par le juge disciplinaire d’appel. Il a ainsi rappelé que la loi autorise le médecin, dans certains cas et en respectant les procédures prévues par la loi dite « Leonetti », à arrêter ou à ne pas entreprendre un traitement qui traduirait une obstination déraisonnable. La loi autorise aussi, dans certains cas, l’administration de traitements pouvant avoir pour effet secondaire d’abréger la vie. Mais elle interdit de provoquer délibérément un décès. Cette décision sur le volet disciplinaire des poursuites est distincte de l’instance pénale, toujours en cours. Les poursuites disciplinaires sont exercées par l’ordre des médecins, qui est chargé de veiller à ce que la médecine soit exercée selon les règles de la déontologie médicale, fixées par le Code de la santé publique. L’ordre dispose à cette fin du pouvoir de punir, par des sanctions professionnelles, un médecin qui aurait commis des manquements à cette déontologie. L’instance pénale, quant à elle, se déroule devant le juge pénal (en l’espèce la cour d’assises) et vise à punir, par des sanctions pénales, quelqu’un qui aurait commis une infraction réprimée par la loi pénale. Cette règle vaut pour l’ensemble des instances disciplinaires (en droit du travail comme en droit de la fonction publique).

Le conseil d’état rappelle que les poursuites disciplinaires sont en principe indépendantes des poursuites pénales

Le Conseil d’Etat était uniquement saisi du volet disciplinaire. Il a, en premier lieu, rappelé que les poursuites disciplinaires sont en principe indépendantes des poursuites pénales. Il en résulte par exemple que le fait qu’aucune infraction pénale n’ait été commise n’implique pas nécessairement qu’il n’y ait pas eu de faute déontologique ou disciplinaire. Le juge disciplinaire peut se prononcer sur une plainte sans attendre l’issue d’une procédure pénale en cours concernant les mêmes faits. Si le juge disciplinaire peut décider de surseoir à statuer, lorsque cela paraît utile à la qualité de l’instruction ou à la bonne administration de la justice, il n’est pas tenu de le faire.

Ainsi, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins n’a pas commis d’irrégularité en n’attendant pas l’arrêt de la cour d’assises. Le Conseil a ajouté que cette situation n’avait pas empêché M. Bonnemaison d’organiser sa défense devant le juge disciplinaire, par exemple en produisant des éléments du dossier de l’instruction pénale : le secret de l’instruction ne s’applique pas, en effet, à la personne mise en examen elle-même. M. Bonnemaison invoquait en outre l’autorité de chose jugée attachée à l’arrêt d’acquittement de la cour d’assises. Mais le Conseil n’a pas eu à s’interroger sur l’étendue de la chose jugée par la cour d’assises. Faisant application d’une jurisprudence constante, il a en effet rappelé que seules les décisions définitives des juridictions pénales sont revêtues d’une telle autorité et que l’arrêt de la cour d’assises, frappé d’appel, n’est pas devenu définitif. Il a en outre relevé que cet arrêt était postérieur à la décision contestée devant lui.

Le juge administratif suprême a, ensuite, examiné le bien-fondé de la sanction prononcée. En tant que juge de cassation, le Conseil d’Etat n’est pas un troisième degré de juridiction : il vérifie que le juge d’appel a correctement appliqué le droit aux faits de l’espèce, tels qu’ils ont été établis par l’instruction de première instance et d’appel, notamment par les pièces produites par les parties devant le juge d’appel. Il en résulte que, ainsi que le rappelle la décision, le requérant n’est pas recevable à produire devant le juge de cassation de nouvelles pièces, c’est-à-dire des pièces dont le juge d’appel ne disposait pas et qu’on ne peut donc pas lui reprocher de ne pas avoir pris en compte. Le Conseil d’Etat a, par ailleurs, confirmé que ces faits constituaient une faute déontologique. Le comportement de M. Bonnemaison contrevient en effet à la règle posée par l’article R. 4127-38 du Code de la santé publique. Enfin, le Conseil a vérifié que la sanction prononcée par les juges du fond n’était pas hors de proportion avec la faute com- mise. Il a ainsi jugé que la chambre disciplinaire nationale avait légalement pu estimer que les actes commis par M. Bonnemaison justifiaient, en raison de leur gravité, sa radiation du tableau de l’ordre des médecins.

Les conséquences de la décision du conseil d’état

En conséquence du rejet du pourvoi, la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins devient définitive, quelle que soit l’issue du procès devant la cour d’assises d’appel. Toutefois, le Conseil a rappelé dans sa décision que l’article R. 4126-53 du Code de la santé publique prévoit la possibilité de demander la révision d’une décision de radiation « si, après le prononcé de la décision, un fait vient à se produire ou à se révéler ou lorsque des pièces, inconnues lors des débats, sont produites, de nature à établir l’innocence [du] praticien ». L’intervention d’une décision pénale définitive postérieurement à la décision du juge disciplinaire est, dans certains cas, susceptible de justifier une demande de révision, en particulier lorsqu’elle remet en cause la matérialité des faits ayant servi de fondement à la sanction disciplinaire.

(1) CE, Assemblée, 30 décembre 2014, M. Bonnemaison, requête n° 381245.

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