Lanceurs d’alerte : Un droit et un statut à construire d’urgence !

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Lanceurs d’alerte : Un droit et un statut à construire d’urgence !
L’actualité fait de plus en plus souvent état de salariés qui prennent des risques professionnels et personnels pour alerter sur des dangers ou des malversations, de différentes natures, commises au sein des entreprises où ils exercent leurs métiers. Suivant les cas, au regard de l’objet des infractions, de leurs auteurs et des contextes sociaux, économiques, techniques et politiques, ces salariés peuvent alerter les directions des entreprises, les pouvoirs publics (les administrations), les instances judiciaires (civiles, pénales et autres) et les médias. Michel CHAPUIS

Jurisprudence récente. Dans deux jugements en date du 5 mars 2015, concernant deux affaires différentes, le juge du contrat condamne des employeurs ayant usé de mesures de représailles graves à l’encontre de salariés lanceurs d’alerte.

Dans une affaire, il s’agit d’une salariée, Stéphanie Gibaud, qui avait refusé de détruire des documents internes (fichiers informatiques, etc.) qui documentaient le système d’organisation d’évasion fiscale mis en place par la banque au bénéfice de certains de ses clients, alors qu’une enquête pénale était en cours (avec une perquisition dans les locaux de la banque). Elle avait alerté le président du directoire sur son refus de suivre l’instruction de détruire des fichiers et sur les mesures de rétorsion mises en œuvre à son encontre (dégradation de ses conditions de travail – fonctions réduites, mise à l’écart, reproches incessants, dégradation de l’évaluation professionnelle, etc.) et elle concluait en demandant la mise en œuvre de la procédure d’alerte prévue par la loi. Le disque dur de son ordinateur est modifié.

La salariée, secrétaire du Chsct, mentionne des faits concernant la tenue des fichiers dans un procès-verbal de réunion de cette instance. La direction de la banque fait citer la salariée pour diffamation devant le tribunal de police de Paris pour avoir diffusé ce procès-verbal à l’ensemble des salariés de l’entreprise par voie électronique. Par jugement du 27 septembre 2010, le tribunal relaxe la salariée. La direction de l’entreprise n’a pas fait appel contre cette décision.

La société est condamnée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (Acpr) à une amende de 10 millions d’euros pour des faits de non-conformité s’apparentant à une évasion fiscale (décision confirmée le 5 novembre 2014 par le conseil d’Etat).

Un procès-verbal du Chsct du 17 juin 2010 relate les accusations d’une partie des salariés relative au système d’évasion fiscale et de destruction de fichiers compromettants.

Les actes de représailles à l’encontre de la salariée, le « harcèlement moral », ont pour effet une dégradation de sa santé.
Dans son jugement, le juge départiteur considère que le harcèlement moral allégué est établi (jugement du conseil de prud’hommes de Paris, encadrement, départage, 5 mars 2015, Mme Stéphanie Gibaud c/ Sté Ubs France). Le préjudice causé par ce harcèlement doit être intégralement réparé. La salariée obtient la condamnation de l’entreprise à lui verser des dommages-intérêts ; cependant, le montant de ces indemnités ne répare que partiellement le préjudice.
Dans l’autre affaire, il s’agit d’un salarié, James Dunne, ayant dénoncé les activités de son entreprise et ses collaborations avec des régimes autoritaires (il s’est indigné, en interne puis sur Internet – site Mediapart –, d’un projet de vente de matériel de surveillance au régime syrien – l’entreprise est spécialisée dans une technologie permettant d’analyser un réseau, de le filtrer, de le surveiller…). A la suite de cette action, son contrat de travail a été rompu.

Le salarié obtient la condamnation de l’entre- prise à lui verser des dommages-intérêts (jugement du conseil de prud’hommes de Paris, départage, 5 mars 2015, M. James Dunne c/ Sté Qosmos).
Ces deux affaires sont emblématiques de l’action de salariés lanceurs d’alerte, des représailles mises en œuvre à leur encontre et des suites réservées par la justice du travail. Au regard de cette jurisprudence, de ces arrêts récents et d’autres affaires jugées, il convient de faire le point sur les dispositions éparses, notamment dans le Code du travail, qui préfigurent la nécessaire création d’un véritable régime de droit de l’alerte et d’un statut protecteur des salariés lanceurs d’alerte.

Définition. L’alerte éthique peut être définie comme étant le geste accompli par un individu qui est témoin, dans son activité professionnelle, d’actes illicites et qui, par civisme, décide d’alerter les autorités ayant le pouvoir d’y mettre fin. Les Anglo-Saxons désignent ce geste par l’expression whistleblowing, ce qui signifie littéralement « donner un coup de sifflet », notamment traduit en France par « dispositifs d’alerte professionnelle ». Des alertes existent dans d’autres domaines (santé et sécurité au travail ; discriminations ; harcèlement dit moral ; etc.).

Plusieurs dispositifs existent dans différents cas de figure.

Corruption. La loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 « relative à la lutte contre la corruption » interdit les mesures de rétorsion de la part de l’employeur à l’égard d’un salarié qui a « relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives, de faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ». (article L. 1161-1 du Code du travail). Les actes de rétorsion sont frappés de nullité. En cas de contentieux, devant le juge civil, le salarié bénéficie d’un aménagement de la charge de la preuve.

Infractions fiscales et financières (crime et délit). La loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière interdit les mesures de rétorsion de la part de l’employeur à l’égard du salarié qui a « relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ». Le texte ne prévoit pas explicitement la nullité des actes de représailles. En cas de contentieux, devant le juge civil, le salarié bénéficie d’un aménagement de la charge de la preuve.
Financier. Les « systèmes d’alerte professionnelle », applicables dans les domaines comptables et financiers, prévus par la loi étatsunienne Sarbanes-Oxley pour les sociétés des Etats-Unis et leurs filiales à l’étranger, combinent des obligations de dénonciation et de confidentialité. Au regard de la législation « Informatique et libertés », à l’égard de la Cnil (délibération du 8 décembre 2005 modifiée par la délibération du 30 janvier 2014), ces « systèmes d’alerte professionnelle » doivent faire l’objet, suivant leur contenu, soit d’une autorisation, soit d’un engagement de conformité, soit, quand le dispositif d’alerte professionnel va au-delà des prévisions légales concernant les domaines financier, comptable, bancaire et de lutte contre la corruption, d’une demande d’autorisation (cf. les « codes d’éthique », les « codes de conduite », etc.).

Domaine bancaire. Est ici prévue une déclaration de soupçon, instaurée pour certains corps de métiers dont l’activité est liée au maniement de fonds dans la lutte contre le blanchiment d’argent (articles L.561-1, L.562-1 à L.562-10 et L.564-1 à L.564-6 du Code monétaire et financier).

Santé publique et environnement. La loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à « l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte » pose le principe d’un droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement. Toute personne physique (salarié, etc.) a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l’environnement. L’information qu’elle rend publique ou diffuse doit s’abstenir de toute imputation diffamatoire ou injurieuse (article 1er de la loi).

Le travailleur alerte immédiatement l’employeur s’il estime, de bonne foi, que les produits ou pro- cédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement. L’alerte est consignée par écrit. L’employeur informe le travailleur qui lui a transmis l’alerte de la suite qu’il réserve à celle-ci (Code du travail, art. L. 4133-1). Le travailleur qui lance une alerte bénéficie de la protection contre les mesures de représailles de la part de l’employeur (Code du travail, art. L. 4133-5). En cas de divergence avec l’employeur sur le bien-fondé d’une alerte transmise par le salarié ou en l’absence de suite dans un délai d’un mois, le travailleur peut saisir le représentant de l’Etat dans le département – le préfet (Code du travail, art. L. 4133-3).

Une commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement est créée (titre II de la loi) : elle est chargée de veiller aux règles déontologiques s’appliquant à l’expertise scientifique et technique et aux procédures d’enregistrement des alertes en matière de santé publique et d’environnement. Cette Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement peut se saisir d’office ou être saisie notamment par une organisation syndicale de salariés représentative au niveau national.

BIBLIOGRAPHIE
• Michel Miné et Daniel Marchand, Le droit du travaiL en pratique, mars 2015, 27E édition, Eyrolles, Paris, 717 Pages, 34 Euros.

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