Jurisprudence – Discriminations au travail

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Jurisprudence - Discriminations au travail
En mars, deux dates marquent l’action contre les discriminations : le 8 est la journée internationale pour les droits des femmes et le 21 est la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. L’occasion de signaler quelques arrêts de jurisprudence en cassation.
Michel CHAPUIS

Discrimination raciale

M. Y., engagé le 16 juin 1992 en qualité de vendeur de véhicules d’occasion par M. A. aux droits duquel se trouve la société Ornallia et occupant, en dernier lieu, les fonctions de directeur du site de Flers (61), a été mis à pied à titre conservatoire le 5 juin 2013 et licencié pour faute grave par lettre du 27 juin suivant.

Pour requalifier le licenciement notifié au salarié pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, et condamner la société à payer au salarié diverses sommes à ce titre, l’arrêt de la cour d’appel retient que les propos à connotation raciale et dévalorisants retenus à charge du salarié, s’ils étaient inacceptables de la part d’un salarié exerçant des fonctions d’encadrement et constituaient un motif de licenciement, n’étaient pas de nature à justifier une rupture immédiate du contrat de travail dès lors que durant ses vingt et une années de service, celui-ci, reconnu pour ses qualités humaines et professionnelles, n’avait fait l’objet d’aucune remarque de nature disciplinaire.
Pour la Cour de cassation, « en statuant ainsi, alors que des propos humiliants et répétés à connotation raciste tenus par un salarié à l’encontre d’un autre salarié sont constitutifs d’une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (chambre sociale, 5 décembre 2018).

Les propos à connotation raciste tenus par un salarié à l’encontre d’un autre sont constitutifs d’une faute grave rendant impossible le maintien dans l’entreprise.

Discrimination sexiste et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes


En matière de travail à temps partiel

Mme Y., engagée à compter du 1er octobre 2006 par la société Peyrefitte tourisme, a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes.
Au vu de l’article L. 1471-1 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, pour « débouter » la salariée de son action en requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein, l’arrêt retient qu’il résulte des dispositions de l’article L. 1471-1 du Code du travail que cette action se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit, que la salariée était informée dès le 1er novembre 2006 qu’elle exerçait des fonctions à temps partiel, que cette date constitue le point de départ du délai de prescription de son action en requalification qui a donc expiré le 1er novembre 2008.
Pour la Cour de cassation, « en statuant ainsi, alors que l’action en requalification du contrat de travail en contrat à temps complet est une action en paiement du salaire soumise au délai de prescription prévu par l’article L. 3245-1 du Code du travail, la cour d’appel a violé, par fausse application, le texte susvisé » (chambre sociale, 19 décembre 2018). Pour la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein : l’action se prescrit par trois ans.

En matière d’élections professionnelles dans les entreprises

Les élections au comité d’établissement direction technique et système d’information de l’unité économique et sociale Orange se sont tenues entre les 7 et 9 novembre 2017. Le protocole préélectoral signé le 22 septembre 2017 prévoyait que le 3e collège, ingénieurs et cadres, était composé de 77 % d’hommes et de 23 % de femmes. Or la liste des titulaires et celle des suppléants Cfe-Cgc France Télécom Orange ne respectait pas les dispositions relatives à la représentation équilibrée des hommes et des femmes issues de la loi du 17 août 2015, en ce qu’elles comportaient cinq candidatures de femmes au lieu de quatre. La fédéra- tion Communication-Conseil-Culture (F3c-Cfdt) a donc saisi le tribunal d’ins- tance d’une demande d’annulation de l’élection de Mmes C. et Q.
Le syndicat Cfe-Cgc fait grief au jugement du tribunal d’instance de Villejuif (9 mai 2018) de prononcer l’annulation de l’élection de Mmes C. et Q.
Pour la Cour de cassation, il résulte tant de l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’effet direct (Cjue, 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16), que de l’article 23 de ladite Charte, que, dans le champ d’application du droit de l’Union européenne, est interdite toute discrimination fondée sur le sexe ; que les dispositions du Code du travail relatives aux modalités d’élection des représentants du personnel mettent en œuvre, au sens de l’article 51 de la Charte, les dispositions de la directive 2002/14/Ce du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne.
Il résulte par ailleurs de la combinaison des articles 8 et 14 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que toute discrimination entre les sexes en matière de conditions de travail est prohibée.
Enfin, aux termes de l’article 1er de la convention n° 111 de l’Organisation internationale du travail concernant la discrimination, ratifiée par la France le 28 mai 1981, toute distinction, exclusion ou préférence fondée notamment sur le sexe, qui a pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession, est interdite.
Dès lors, « l’obligation faite aux organisations syndicales de présenter aux élections professionnelles des listes com- portant alternativement des candidats des deux sexes à proportion de la part de femmes et d’hommes dans le collège électoral concerné répond à l’objectif légitime d’assurer une représentation des salariés qui reflète la réalité du corps électoral et de promouvoir l’égalité effective des sexes. En ce que le législateur a prévu, d’une part, non une parité abstraite, mais une proportionnalité des candidatures au nombre de salariés masculins et féminins présents dans le collège électoral considéré au sein de l’entreprise, d’autre part, une sanction limitée à l’annulation des élus surnuméraires de l’un ou l’autre sexe, et dès lors que, par application de la décision du Conseil constitutionnel du 13 juillet 2018, l’organisation d’élections partielles est possible dans le cas où ces annulations conduirait à une sous-représentation trop importante au sein d’un collège, les dispositions en cause ne constituent pas une atteinte disproportionnée au principe de la liberté syndicale reconnu par les textes européens et internationaux visés au moyen et procèdent à une nécessaire et équilibrée conciliation avec le droit fondamental à l’égalité entre les sexes instauré par les dispositions de droit européen et inter- national précitées. » (chambre sociale, 13 février 2019, syndicat Cfe-Cgc France Télécom Orange ; et autres c/fédération Communication-Conseil-Culture Cfdt ; et autres).

En matière de harcèlement sexuel

Selon l’arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Soc., 3 décembre 2014), M. Y., engagé au sein du groupe Renault à compter du 1er septembre 1996, exerçant en dernier lieu les fonctions d’animateur- formateur à l’école des ventes du groupe Renault, a été licencié pour faute grave par lettre du 1er juin 2010.

Pour retenir que le licenciement pour faute grave du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt énonce que la société produit quatre témoignages de stagiaires à la session de formation animée par M. Y., que ces témoignages font état des faits cités dans la lettre de licenciement, que Mme Z. y indique que celui-ci lui a posé des questions sur sa vie privée lors de sa journée de coaching en janvier 2010 et a pris des photographies d’elle sans son autorisation, que Mme A. affirme que M. Y. lui faisait des remarques quotidiennes sur son aspect physique (« qu’est-ce que tu es belle ») et tenait parfois des propos plus crus et ambigus (« bon quand est-ce qu’on couche ensemble ? »), qu’elle évoque de même certains gestes déplacés (« il m’a pris la main et l’a embrassée ») ainsi que la prise de photographies à son insu, que Mme B. relate que « M.Y.lui a pris le bras à plusieurs reprises en chantant des chansons salaces », qu’il a tenu devant le groupe des propos déplacés (« Mais c’est moi ton loulou, ça y est on couche ensemble une fois et tu m’oublies ») et intrusifs (« Fais attention aux garçons, lui ne lui parle pas, c’est une mauvaise fréquentation, tu es un agneau entouré de loups »), que Mme C. évoque des faits de même nature et notamment des propos déplacés relatés par un autre stagiaire M. D., ce dernier l’ayant prévenu que M. Y. avait dit à son propos qu’« elle
ne devrait pas mettre des Wonderbra, on ne voit que ça, ça ne se fait pas, elle met trop en avant sa poitrine », que les faits ainsi relatés sont de nature à caractériser un harcèlement sexuel, que toute- fois les déclarations des quatre jeunes femmes manquent de spontanéité dans la mesure où, pour trois d’entre elles, elles ont été recueillies directement en la forme d’attestations pouvant être produites en justice, après un simple entretien avec le supérieur hiérarchique de M. Y., sans que soient rapportées les circonstances dans lesquelles cet entretien s’est déroulé et la teneur des propos qui ont pu être tenus, que la société n’apporte aucun élément probant démontrant l’effectivité de l’enquête dont elle fait état dans la lettre de licenciement et que, à réception des témoignages, elle a laissé M. Y. poursuivre sa formation avec les quatre stagiaires. Que, partant, les griefs de harcèlement sexuel ne sont pas suffisamment établis et pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail de M. Y.

Pour la Cour de cassation, « en statuant ainsi, par des motifs inopérants, impropres à écarter la valeur probante des attestations produites dont elle constatait qu’elles étaient de nature à caractériser un harcèlement sexuel, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (chambre sociale, 5 décembre 2018). Les attestations produites étaient de nature à caractériser un harcèlement sexuel.

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