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La seule circonstance qu’une décision relative à l’affectation géographique (au sein de la même commune) d’un agent public ait été prise en considération de sa personne fait-elle obstacle à ce qu’elle soit qualifiée de mesure d’ordre intérieur et donc insusceptible de recours devant le juge administratif ? Telle était la question posée au Conseil d’Etat. Ce dernier, réuni en Section du contentieux (1), vient d’apporter une réponse précise. Il décide ainsi que les mesures prises à l’égard d’agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d’ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu’ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu’ils tiennent de leur statut ou à l’exercice de leurs libertés et droits fondamentaux, ni n’emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre une telle mesure, à moins qu’elle ne traduise une discrimination, est irrecevable, alors même que la mesure de changement d’affectation aurait été prise pour des motifs tenant au comportement de l’agent public concerné.
I. Le conseil d’état dresse la liste des critères pouvant conduire à l’annulation d’une mesure de changement d’affectation; lesquels doivent être vérifiés par le juge.
En l’espèce, Mme B., fonctionnaire d’Etat, contrôleur du travail, avait demandé au tribunal administratif de Paris, d’une part, d’annuler la décision du 23 août 2011 par laquelle le directeur régional adjoint des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, responsable de l’unité territoriale de Paris, avait décidé son changement d’affectation et, d’autre part, d’enjoindre au ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, de la réintégrer dans son ancienne affectation, dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Par le jugement n° 1116493/5-2 du 28 mars 2013, le tribunal administratif de Paris avait rejeté sa demande. Mme B. avait alors fait appel.
Le Conseil d’Etat, ainsi saisi, note que l’intéressée a été affectée, par la décision contestée du 23 août 2013, dans une autre section de la même direction et dans la même commune. Il constate que la mesure a été prise, dans l’intérêt du service, « en vue de mettre fin à des difficultés relationnelles entre Mme B. et plusieurs de ses col- lègues ». Il constate en outre que ce changement d’affectation :
– ne présente pas le caractère d’une sanction disciplinaire déguisée ;
– ne constitue pas une discrimination ;
– n’a entraîné pour l’intéressée ni diminution de ses responsabilités ni perte de rémunération.
En outre, le Conseil d’Etat note que ce change- ment d’affectation est intervenu au sein de la même commune et sans que soit porté atteinte aux droits statutaires ou aux libertés et droits fondamentaux de la requérante, tels que prévus notamment par les dispositions de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905(2). Il en conclut, alors même que cette mesure de changement d’affectation a été prise pour des motifs tenant au comporte- ment de l’intéressée, que cette décision présente le caractère d’une mesure d’ordre intérieur, qui ne fait pas grief et n’est donc pas susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Ainsi, la demande de Mme B. est irrecevable et donc rejetée.
II. La notion de mesure d’ordre intérieur en matière de changements d’affectation.
Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la qualification de mesure d’ordre intérieur de changements d’affectation. Ainsi, n’a pas été considérée comme une simple mesure d’ordre intérieur une décision « prise en raison des tensions et des relations conflictuelles qui existaient au sein du centre d’interruption volontaire de grossesse à la suite, notamment, d’un procès qui avait opposé les médecins dudit centre à l’un des chefs de service de l’hôpital et au cours duquel Mlle X… avait été citée comme témoin ; que, selon les termes mêmes de la décision du 11 février 1981, le changement d’affectation de Mlle X… a été motivé par le fait que son “comportement (engendrait) une situation psychologiquement et hiérarchiquement incompatible avec le fonctionnement général du service” ; qu’ainsi, alors même qu’elle aurait été prise dans l’intérêt du service, cette mesure est intervenue en raison de considérations tenant à la personne de l’intéressée ; que, par suite, ladite mesure ne pouvait être légalement prise sans que Mlle X… ait été mise à même de demander la communication de son dossier » (3).
En revanche, il a, à de nombreuses reprises, qualifié de mesures d’ordre intérieur des changements d’affectation, ainsi :
• « la décision d’un président de conseil général affectant un agent au sein du service enfance- famille sans modification de sa situation constitue une mesure d’ordre intérieur qui n’est pas susceptible de recours pour excès de pouvoir » (4) ;
• le fait que « Mme A., qui était précédemment chargée des fonctions d’infirmière coordinatrice du service de soins infirmiers à domicile de l’hôpital Saint-Jacques, a vu ses tâches modifiées par la décision [d’affectation] (…) celle-ci (…) lui permetta[nt] de bénéficier des mêmes avantages pécuniaires et lui confia[nt] la responsabilité des soins infirmiers d’un service de quatre-vingt-dix lits, n’a porté atteinte ni à ses garanties statutaires ni à ses perspectives de carrière ; (…) elle constituait ainsi une mesure d’ordre intérieur, insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir » (5).
III. les qualifications de mesure d’ordre intérieur et de mesures prises en considération de la personne
Lorsque le juge décèle une décision d’affectation fondée en réalité sur une mesure prise en considération de la personne, il annule celle-ci, au motif notamment qu’elle est prise en dehors du respect de la procédure disciplinaire.
Ainsi :
« Le changement d’affectation dont a été l’objet Mme A. est intervenu à raison de faits qui lui étaient reprochés dans l’exercice de ses fonctions, liés, notamment, à un manque de neutralité et de réserve dont elle aurait fait preuve dans le traite- ment du dossier de la sécurité de l’établissement, ainsi qu’à ses prises de position sur certains sujets et à l’affichage d’un courrier interne dans lequel elle alertait la municipalité sur les problèmes de sécurité ; qu’il a en outre eu pour effet de la priver de ses missions opérationnelles et de sa qualité de directrice du conservatoire de musique ; que la décision du 27 septembre 2001 du maire d’Orange lui retirant son affectation en qualité de directrice du conservatoire de musique d’Orange constitue ainsi une sanction disciplinaire ; que, par suite, Mme A est recevable et fondée à demander l’annulation de cette décision qui lui fait grief et qui est illégale pour ne pas avoir été précédée d’une procédure disciplinaire » (6).
En revanche : « La décision [de changement d’affectation] prise à titre provisoire le 21 avril 2004 a été motivée par le souci de mettre fin, dans l’intérêt du service, au climat conflictuel qui s’était établi entre Mme A. et ses collègues du service d’accueil de la direction des Archives de France et que les décisions des 6 avril et 23 mai 2005 ont eu pour but de lui attribuer à titre définitif l’affectation la mieux adaptée au handicap visuel dont elle était atteinte, qui avait été décrit par des avis du comité médical qui avait été consulté les 5 juillet et 8 novembre 2004 ; qu’ainsi, aucune de ces décisions n’a présenté le caractère d’une sanction disciplinaire déguisée. » (7)
IV. Mesure d’ordre intérieur et discrimination
Le juge vérifie si la mesure d’affectation prise par l’administration ne constitue pas en réalité une discrimination. Toutefois : « En ne recherchant pas si les éléments de fait soumis par la requérante étaient de nature à faire présumer une discrimination, avant d’en déduire que les éléments produits par l’administration ne permettaient pas d’établir que les décisions attaquées reposaient sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le tribunal a entaché son jugement d’une erreur de droit. » (8)
(1) CE, Section, 25 septembre 2015, Mme B., requête n° 372624.
(2) « Tous les fonctionnaires civils
et militaires, tous les employés
et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques
et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d’être l’objet d’une mesure disciplinaire ou
d’un déplacement d’office, soit avant d’être retardé dans leur avancement
à l’ancienneté. »
(3) CE, 26 octobre 1988,
centre hospitalier régional de Tours, requête n° 66148.
(4) CE, 17 décembre 2008, département des Ardennes, requête n° 294362.
(5) CE, 6 mai 2009, hôpital Saint-Jacques, requête n° 304977.
(6) CE, 14 mai 2008, requête n° 290046.
(7) CE, 9 juin 2010, requête n° 313322.
(8) CE, 15 avril 2015,
Pôle emploi, requête n° 373893.