Droit syndical et temps de travail : des décisions à connaître pour agir efficacement dans l’entreprise

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Droit syndical et temps de travail : des décisions à connaître pour agir efficacement dans l’entreprise
La jurisprudence vient de fournir plusieurs décisions importantes pour préciser des dispositions légales en matière d’exercice du droit syndical dans l’entreprise et de temps de travail (forfaits en jours et congés payés). par Michel CHAPUIS
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Droit syndical

RECONNAISSANCE DE LA REPRÉSENTATIVITÉ SYNDICALE DANS L’ENTREPRISE

 

Dans un important arrêt de la Cour de cassation (1), il est rappelé que « les critères posés par l’article L.2121-1 du Code du travail doivent être tous réunis pour établir la représentativité d’un syndicat », avec plusieurs confirmations :

• d’une part, « si ceux tenant au respect des valeurs républicaines, à l’indépendance et à la transparence financière doivent être satisfaits de manière autonome »,

• d’autre part, « ceux relatifs à l’influence prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience, aux effectifs d’adhérents et aux cotisations, à l’ancienneté dès lors qu’elle est au moins égale à deux ans et à l’audience électorale dès lors qu’elle est au moins égale à 10 % des suffrages exprimés, doivent faire l’objet d’une appréciation globale » ;

• enfin, « les documents comptables dont la loi impose la confection et la publication ne constituent que des éléments de preuve de la transparence financière, leur défaut pouvant dès lors être suppléé par d’autres documents produits par le syndicat et que le juge doit examiner ».

Selon le jugement attaqué, par lettre du 24 décembre 2010, le syndicat Cgt de l’Institut de gestion sociale des armées (Igesa), qui avait obtenu 16,13 % des suffrages lors du premier tour des dernières élections des membres titulaires du comité d’établissement « siège » de l’Igesa, a désigné Mme X…, qui avait obtenu 14,4 % des suffrages au premier tour de l’élection des délégués du personnel, en qualité de délégué syndical au sein de l’établissement « siège » de l’Igesa et de délégué syndical central d’entreprise.

Pour annuler ces désignations, le tribunal d’instance retient que la représentativité du syndicat n’est pas établie dans l’établissement « siège » au regard du critère d’influence, au motif que les actions qu’il a menées l’ont été conjointement avec d’autres organisations syndicales et intéressent tous les établissements de l’entreprise, qu’elle n’est pas non plus établie au regard du nombre de ses adhérents dans cet établissement qui est de trois pour un effectif de deux cent onze inscrits sur les listes électorales, qu’enfin elle n’est pas établie au regard du critère de transparence financière dès lors que, les ressources du syndicat étant comprises entre 2 000 et 230 000 euros, ce dernier devait établir non seulement un bilan et un compte de résultat mais encore une annexe simplifiée qu’il ne produit pas.

Pour la Cour de cassation, chambre sociale, « les actions du syndicat ne pouvaient être écartées au titre du critère d’influence au motif qu’elles avaient été menées conjointement avec d’autres organisations et qu’elles intéressaient tous les établissements de l’entreprise, et que ce critère ainsi que celui afférent au nombre d’adhérents devaient faire l’objet d’une appréciation globale avec l’ancienneté du syndicat, qui était au moins égale à deux ans, et avec l’audience électorale qui était de 16,13 % », et « le défaut de production de l’annexe simplifiée prévue par l’article D.2135-3 du Code du travail ne dispensait pas le juge d’examiner le critère de transparence financière au vu des documents produits par le syndicat, à savoir le bilan, le compte de résultat, les livres comptables mentionnant chronologiquement le montant et l’origine des ressources perçues et des dépenses effectuées depuis 2008, ainsi que l’ensemble des relevés bancaires ; le tribunal a violé les textes susvisés ».

(1) Cour de cassation, chambre sociale, 29 février 2012, numéro de pourvoi 11-13748, publié au bulletin.

 

COMMUNICATION SYNDICALE

 

La Cour de cassation décide que tous les syndicats ayant constitué une section syndicale dans l’entreprise doivent bénéficier des accords collectifs qui facilitent la communication des organisations syndicales : l’égalité de traitement doit être respectée entre les syndicats (représentatifs et non représentatifs) en matière d’affichage, d’intranet, etc. (2).

Même en l’absence d’accord collectif sur l’usage de la messagerie électronique par les organisations syndicales, il ne peut être reproché à un salarié l’envoi d’un message syndical quand « le message syndical était arrivé dans les seules boîtes électroniques des responsables d’agence, ce qui ne caractérisait pas une diffusion » (3).

 

ACTION EN JUSTICE DES SYNDICATS RECONNUE LARGEMENT

 

La Cour de cassation décide que, dès lors que l’objet de la demande du syndicat devant le juge tend à la défense de l’emploi des salariés de l’entreprise, l’action du syndicat est recevable sur le fondement de l’article L.2132-3 du Code du travail en matière de défense de l’intérêt collectif (4).

La Cour de cassation décide que l’exercice du droit syndical n’est pas lié à la représentativité : un syndicat peut agir en justice pour entrave même quand il n’est pas représentatif (5).

 

 

Droit du travail

RÉTRÉCISSEMENT DE LA CATÉGORIE DES SALARIÉS CADRES DIRIGEANTS

 

La Cour de cassation décide que seuls relèvent de la catégorie des cadres dirigeants les salariés cadres participant à la direction de l’entreprise (6) : « Selon l’article L.3111-2 du Code du travail, sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ; que ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise.

» Et attendu qu’ayant relevé que la salariée, bien que disposant d’une grande autonomie dans l’organisation de son travail nécessitée par son haut niveau de responsabilité dans l’élaboration de la collection homme et étant classée au coefficient le plus élevé de la convention collective, ne participait pas à la direction de l’entreprise, la cour d’appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision. »

Cette décision est importante notamment en matière de temps de travail.

 

NORME COLLECTIVE IMPRÉCISE : CONVENTION DE FORFAIT-JOUR PRIVÉE D’EFFET

 

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires. La Cour de cassation décide que si ces stipulations ne sont pas de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, la convention de forfait en jours est privée d’effet (7). Les conventions individuelles de forfait doivent nécessairement être passées par écrit. La Cour de cassation décide ici que le seul renvoi général fait dans le contrat de travail à l’accord d’entreprise ne peut constituer l’écrit requis (8).

 

CONGÉS PAYÉS EN CAS DE MALADIE : NOUVELLES PRÉCISIONS DU JUGE EUROPÉEN

 

L’article 7, § 1, de la directive 2003/88 prévoit que « Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines. » Le juge européen (Cjue) confirme que ces dispositions s’opposent à des dispositions ou des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à une période de travail effectif minimale de dix jours ou d’un mois pendant la période de référence (9). La loi interne est enfin mise en conformité ; la loi dite de simplification du droit du 22 mars 2012 prévoit (art. 50) :

« I. – Le premier alinéa de l’article L.3141-3 du même code est ainsi modifié :

» 1° Les mots : “qui justifie avoir travaillé chez le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum de dix jours de travail effectif ” sont supprimés. »

Le juge européen décide également que les salariés malades ont droit à leurs congés payés dans leur intégralité (le fait d’être absent pour maladie n’empêche pas l’ouverture du droit à congés payés – cf. supra ; les jours de maladie pendant les congés payés sont à « récupérer », etc.). Le salarié acquiert des droits à congés, même quand il est malade, même s’il a été malade pendant toute la période de référence (même quand il n’a pas du tout travaillé). Le report des droits à congés payés en cas d’arrêt maladie doit au moins être égal à quinze mois

(10). Le salarié malade de longue durée doit au moins bénéficier de ses congés pendant vingt-sept mois (l’année de référence plus quinze mois au minimum).

Ces nouvelles règles telles que définies par le juge européen (Cjue) s’appliquent sans qu’il soit nécessaire d’attendre une nouvelle réforme législative. Le juge interne (conseil de prud’hommes et tribunal administratif) doit appliquer le droit européen (directive précitée), notamment dans les entreprises, administrations (fonctions publiques) et organismes relevant de l’Etat (par exemple les caisses de Sécurité sociale) ; à défaut, dans les entreprises privées, le salarié peut obtenir réparation des préjudices liés à la non-application du droit européen sur les congés payés en engageant la responsabilité de l’Etat (11).

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(2) Soc., 11 janv. 2012, FS-P+B, n° 11-14.292.

(3) Article L.2142-6 du Code du travail – Soc., 10 janv. 2012, FS-P+B, n° 10-18.558.

(4) Soc., 10 janv. 2012, FS-P+B, n° 09-16.691.

(5) Crim., 31 janv. 2012, F-P+B, n° 11-84.113.

(6) Soc., 31 janv. 2012, FS-P+B+R, n° 10-24.412, Sas Bruno Saint-Hilaire.

(7) Soc., 31 janv. 2012, FS-P+B+R, n° 10-19.807.

(8) Soc., 31 janv. 2012, FS-P+B, n° 10-17.593.

(9) Cjue, grande chambre, 24 janv. 2012, Mme Maribel Dominguez c/ Centre informatique du Centre-Ouest Atlantique, préfet de la Région Centre, aff. C-282/10.

(10) Cjue, 22 novembre 2011, Khs AG c/ Winfried Schulte, C-214/10.

(11) Cjue, grande chambre, 24 janvier 2012, et Cjue 22 novembre 2011, précités.

 

Bibliographie

Michel Miné et Daniel Marchand, Le Droit du travail en pratique, Ed. d’Organisation-Eyrolles, 2012 (24e édition), 668 p., 32 euros.

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