Pour en savoir plus
Dans un arrêt récent du 9 octobre 2013,
la Cour de cassation (chambre sociale) se fonde sur le droit européen, de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, pour donner gain de cause à un salarié (1). Dans ce contentieux concernant la requalification de Cdd successifs en un Cdi, la Cour de cassation confirme la requalification décidée par les premiers juges alors que ce salarié travaille dans un secteur où il est d’usage de ne pas recourir au Cdi.
Ainsi, en se fondant sur le droit européen de l’Union européenne, elle juge que :
« il résulte de la combinaison des articles L.1242-1, L.1242-2, L.1245-1 et D.1242-1 du Code du travail que, dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en œuvre par la Directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999, en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi ;
» ensuite, selon la clause 8.1 de l’accord-cadre précité, les Etats membres et/ou les partenaires sociaux peuvent maintenir ou introduire des dispositions plus favorables pour les travailleurs que celles prévues dans le présent accord ;
» enfin, la détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d’usage ne dispense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné ».
Par conséquent, « la cour d’appel, qui a constaté que la mission technique incombant au régisseur était indépendante du contenu des émissions produites, si les émissions produites par la société avaient varié dans le temps par leur contenu, leur durée et leur fréquence, l’activité de production de la société était permanente, de même que l’activité du salarié, employé chaque mois depuis dix-sept ans sur un nombre de jours quasi-constant, par roulement avec d’autres régisseurs assurant les mêmes tâches, a pu en déduire que les contrats à durée déterminée successifs avaient pour objet de pourvoir durable- ment un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».
A la suite de cette requalification, l’employeur avait licencié le salarié. La Cour de cassation, en se fondant sur le droit européen du Conseil de l’Europe, considère que ce licenciement est nul. Ainsi, elle pose un principe :
« Vu l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
» le principe de l’égalité des armes s’oppose à ce que l’employeur utilise son pouvoir disciplinaire pour imposer au salarié les conditions de règlement du procès qui les oppose » (l’employeur ne peut détourner son pouvoir disciplinaire pour échapper à une condamnation judiciaire).
La Cour de cassation critique ici la cour d’appel: « pour débouter le salarié de ses demandes de nullité de licenciement, de réintégration et en paiement de diverses sommes en conséquence, l’arrêt retient que le jugement du conseil de prud’hommes avait prononcé la requalification de la relation de travail, sans précisément en ordonner la poursuite qui ne lui était pas demandée par le salarié, lequel n’avait ni tiré les conséquences de ce que la relation de travail était interrompue du fait de l’employeur qui ne lui fournissait plus de travail, ni sollicité sa réintégration dans l’entreprise et que l’employeur a pris l’initiative de lui soumettre un contrat de travail ; le salarié ne caractérisait pas la violation alléguée, quand bien même la société ne pouvait, de bonne foi, méconnaître la rémunération retenue par le conseil de prud’hommes » ; par conséquent, « en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’employeur avait utilisé son pouvoir de licencier afin d’imposer au salarié sa propre solution dans le litige qui les opposait relativement à l’exécution du jugement du conseil de prud’hommes du 21 juillet 2011, litige qui n’avait pas été définitivement tranché, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel qui a refusé de prononcer la nullité du licenciement.
Grâce au droit européen, mobilisé devant le juge, le salarié obtient la requalification de ses Cdd en un Cdi et la nullité de la rupture de son contrat de travail et, par conséquent, la poursuite de son contrat de travail en Cdi dans l’entreprise.
(1) M. X… c/ société La Française d’images.
Bibliographie
M. Miné, C. Boudineau, A. Le Nouvel, M. Mercat-Bruns, D. Roux-Rossi, B. Silhol, Le Droit social international et européen en pratique, Eyrolles, Paris, 2e éd., 2013, 402 p., 35 euros (spéc. chapitre V). Cet ouvrage s’est vu décerner la mention spéciale du prix Francis-Blanchard 2013 par
le jury de l’Association française pour l’Organisation internationale du travail (Afoit).