Affaire Buisson : discriminer nuit gravement à la santé

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Affaire Buisson : discriminer nuit gravement à la santé
La discrimination porte atteinte à la vie professionnelle sur de nombreux plans (salaires et accessoires de salaire, promotion, affectation, accès à la formation, conditions de travail, etc.). Et elle peut avoir des conséquences préjudiciables sur la santé des personnes, voire conduire à une mort prématurée. Michel CHAPUIS

Dans une affaire emblématique, novatrice et fondatrice, sur un premier plan, le salarié a obtenu réparation du préjudice professionnel et économique pour discrimination liée à son activité syndicale de la part de son employeur, préjudice lié à l’absence d’évolution de carrière dans l’entreprise (indemnisation sur dix ans de la perte de gain et indemnisation de l’incidence de cette perte sur sa pension de retraite).

Sur un second plan, le salarié a obtenu réparation pour « la perte de chance de rester en bonne santé », causée par la discrimination (1). Cette discrimination, en plus du blocage de carrière, a consisté en des actes de harcèlement (menaces verbales et physiques, pressions de différentes natures, tentative d’isolement, absence de fourniture de travail…) pendant une longue période (dix années). Le salarié a été atteint d’un premier cancer en 1993, puis d’un second en 1998.

Le juge relève que des études, admises par la jurisprudence, ont démontré qu’une personne soumise à du harcèlement est « susceptible de développer des troubles psychosomatiques graves pouvant l’amener à un arrêt maladie de longue durée, l’invalidité ou la mort ». Pour le juge, en raison du harcèlement dont le salarié a été victime « tant dans ses manifestations que dans sa durée », de l’âge du salarié, « de l’absence d’autres causes à l’apparition des deux cancers et de l’investissement du demandeur dans son activité syndicale », le conseil de prud’hommes peut « admettre que ce harcèlement a fait perdre à M. Buisson une chance de rester en bonne santé ».

 

Rejet du pourvoi de l’employeur

Le salarié a obtenu des dommages-intérêts pour déroulement de carrière discriminatoire et défaut de reclassement à l’occasion de sa reprise de fonctions consécutive à un arrêt de travail pour maladie.

Le salarié a également obtenu, du fait de cette discrimination, avec ce harcèlement portant atteinte à son intégrité physique, que son contrat de travail soit résilié aux torts exclusifs de l’employeur, responsable de l’exécution fautive du contrat de travail.

Ces solutions, d’une part, la réparation de la perte de chance de rester en bonne santé, et, d’autre part, la résiliation aux torts de l’employeur du contrat de travail d’un salarié mandaté, ont été validées par la chambre sociale de la Cour de cassation (2). Le juge de cassation rejette le pourvoi de l’employeur et indique notamment que :
– si la procédure de licenciement du salarié représentant du personnel est d’ordre public, ce salarié ne peut être privé de la possibilité de poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manque- ment, par ce dernier, à ses obligations ;
– le juge prud’homal connaît de l’entier dommage consécutif à un harcèlement. Le salarié syndicaliste à l’origine de ce progrès du droit, Michel Buisson, est décédé mardi 31 janvier, à l’âge de 58 ans, des suites d’une maladie. La cérémonie pour ses obsèques a eu lieu samedi 4 février, à la cathédrale de Moulins, en présence de plus de 1 000 personnes venues rendre hommage à ce militant exemplaire, courageux, dévoué et déterminé.

Après son départ de l’entreprise, ce militant hors du commun avait exercé de nombreuses responsabilités au service des droits et de la dignité des salariés : le mandat de conseilleur prud’homme, la présidence d’un conseil de prud’hommes, le mandat de défenseur syndical, des fonctions au sein des unions locale et départementale de la Cgt de l’Allier.

 

Conséquences de cette affaire

Depuis cette affaire, en prenant appui sur cette jurisprudence, les salariés discriminés, quel que soit le motif de discrimination (syndical, sexuel, racial, lié au handicap, à l’orientation sexuelle, etc.), peuvent obtenir réparation des préjudices liés à la dégradation de leur état de santé causée par la discrimination. Ce préjudice est notamment retenu en cas de discrimination par harcèlement. La jurisprudence, devant les juridictions civiles et devant les juridictions pénales, est main- tenant abondante en la matière (3). Ainsi, une salariée discriminée en raison de son congé maternité peut obtenir des dommages-intérêts pour réparer les préjudices matériels et moraux résultant de la privation d’une partie de ses fonctions et, également, des dommages-intérêts au regard de l’atteinte à la santé ayant conduit à un état d’inaptitude médicale- ment constaté, résultant du harcèlement dont elle a fait l’objet (4).

Les salariés mandatés qui font l’objet d’une discrimination (manquements graves « de nature à empêcher la pour- suite du contrat de travail »), non efficacement interrompue par les organes de contrôle (inspection du travail, conseil de prud’hommes), peuvent obtenir la résiliation de leur contrat de travail aux torts de l’employeur, avec les effets d’un licenciement nul – ils bénéficient d’une indemnisation au titre de la violation du statut protecteur.

(1) Conseil de prud’hommes de Moulins (43), section commerce, départage, 27 novembre 2001, Michel Buisson et a. c/ SAS Carcoop France (Carrefour), Le Droit ouvrier, juin 2002, pp. 326-332
(2) Cassation sociale, 16 mars 2005, SAS Carcoop France c/ Michel Buisson et Ud Cgt de l’Allier.
(3) Michel Miné, Droit des discriminations dans l’emploi et le travail, 2016, Éditions Larcier (coll. Paradigme), voir pages 574 et s. (§§ 1171 et s.) et pages 782 et s. (§§ 1745-1746).
(4) Cassation sociale, 3 mars 2015, Mme X. c/ sté Les Editions Y.

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