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Quand le salarié est victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, les règles spécifiques du Code de la sécurité sociale, notamment les articles L. 142-1 et L. 451-1, doivent s’appliquer. Se fondant sur ces dispositions, la chambre sociale en avait déduit que la juridiction prud’homale est seule compétente pour un litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail.
En revanche, l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale. Il en résulte que le salarié ne peut former devant la juridiction prud’homale une action en dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité pour obtenir l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
Cette solution a cependant suscité de nombreuses interrogations sur la délimitation exacte des compétences respectives des juridictions prud’homales et de sécurité sociale (Cour de cassation, note explicative aux deux arrêts ci-dessous).
Deux affaires
Dans une première affaire, un salarié M. X., engagé le 18 février 2001 en qualité de couvreur par M. Y., a été victime, le 8 avril 2005, d’un accident du travail. La juridiction de sécurité sociale a dit que cet accident était dû à la faute inexcusable de l’employeur et a fixé les préjudices subis par le salarié. Ayant été licencié, le 23 octobre 2013, pour inaptitude et impossibilité de reclassement, M. X. a saisi la juridiction prud’homale d’une demande d’indemnisation du préjudice consécutif à la rupture, soutenant que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité.
Cette demande avait été rejetée par la cour d’appel au motif qu’elle tendait à la réparation d’un préjudice né de l’accident du travail : « Pour rejeter la demande en paiement d’une indemnité réparant le préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail, l’arrêt retient que le salarié demande à la juridiction du travail de dire que son licenciement a pour cause la violation de l’obligation de sécurité de résultat incombant à son employeur et qu’en conséquence, il est sans cause réelle et sérieuse, et, à titre subsidiaire, qu’il a pour cause la faute inexcusable de son employeur, de sorte que cette nouvelle demande relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale comme étant une demande de réparation d’un préjudice né de l’accident du travail, qu’il lui appartient de présenter cette demande devant la juridiction de sécurité sociale seule compétente puisqu’elle constitue une demande d’indemnisation de la perte de son emploi consécutive à l’accident du travail et à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur commise à son égard.»
Dans une seconde affaire, une salariée, Mme Annie X. a été engagée le 13 novembre 2000 en qualité d’agent de maîtrise par la société Grimen, exerçant sous l’enseigne Leclerc. La salariée ayant été victime d’un accident du travail survenu le 4 août 2010, le médecin du travail l’a déclarée inapte à son poste avec mention d’un danger immédiat à l’issue d’un unique examen du 10 mai 2011. Licenciée, le 6 juin suivant, pour inaptitude et impossibilité de reclassement, elle a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en faisant valoir que son inaptitude découlait d’un manquement à l’obligation de sécurité. Alors que l’employeur avait soutenu que cette demande relevait du tribunal des affaires de sécurité sociale, la cour d’appel a rejeté cette exception d’incompétence et alloué des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par un arrêt du 14 avril 2014, la juridiction de sécurité sociale a rejeté sa demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Au regard de ces solutions contrastées, la chambre sociale a voulu définir préci- sément la compétence et l’office du juge prud’homal.
Décisions de la cour de cassation
La chambre sociale de la Cour de cassation a décidé :
– que si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manque- ment de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale ;
– Que la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; même lorsque le salarié est victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître de l’application des règles relatives à la rupture du contrat de travail ; l’indemnisation allouée par la juridiction prud’homale est donc circonscrite aux conséquences de la rupture abusive ou illicite du contrat de travail. En d’autres termes, il appartient au juge prud’homal de faire application des sanctions prévues dans ces hypothèses par le Code du travail ;
– Qu’est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée ; en effet, dans une telle hypothèse, le licenciement, même s’il est fondé une inaptitude régulièrement constatée par le médecin du travail, trouve en réalité sa cause véritable dans ce manquement de l’employeur ; cette solution est désormais affirmée avec netteté par la chambre sociale et doit être reliée au principe selon lequel il incombe aux juges du fond de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, la véritable cause du licenciement.
Par conséquent, dans la première affaire, le juge de cassation décide que la cour d’appel, alors qu’elle avait constaté que le salarié demandait la réparation du préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail et faisait valoir que son licenciement pour inaptitude était dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité, n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, et a violé les textes. Le Cour casse et annule l’arrêt en ce qu’il rejette la demande en paiement d’une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail.
Dans la seconde affaire, le juge de cassation décide qu’ayant constaté, sans méconnaître l’objet du litige, que la sala- riée ne réclamait pas des dommages- intérêts en réparation d’un préjudice résultant de son accident du travail ou du manquement de son employeur à son obligation de sécurité mais des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que par son manquement à l’obligation de sécurité, l’employeur était à l’origine de son licenciement pour inaptitude, la cour d’appel en a exactement déduit qu’elle était compétente pour statuer sur cette demande ; le moyen n’est pas fondé (le pourvoi de l’employeur est ainsi rejeté).
Ces deux arrêts font jurisprudence et seront publiés au Rapport annuel de la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre sociale, 3 mai 2018, M. Raphaël X. c/ M. Stéphane Y. ; Cour de cassation, chambre sociale, 4 mai 2018, société Grimen exerçant sous l’enseigne Leclerc, société anonyme c/ Annie X. épouse Y. ; M. Xavier Y., en sa qualité d’héritier d’Annie X.).
Dans ces affaires les salariés peuvent, de façon plus pertinente, demander la nullité de leur licenciement au regard de la discrimination liée à leur état de santé (causé par l’employeur). Dans ce cas, en cas de nullité du licenciement, le barème d’indemnisation plafonnée des dommages-intérêts (depuis les « ordonnances Macron » de l’automne 2017) ne leur est pas opposable ; le juge doit alors réparer le préjudice dans son intégralité.
Projet de réforme
Ces affaires illustrent la dangerosité pour la justice d’un projet de réforme sur le traitement des pourvois, qui pourrait être introduit dans le projet de loi de programmation de la justice. Selon ce texte, la recevabilité d’un pourvoi serait filtrée – appréciée par une commission composée de trois magistrats rendant une décision non susceptible de recours. Pour être recevable, le pourvoi devrait soit soulever une question de principe présentant un intérêt pour le développement du droit ou pour l’unification de la jurisprudence, soit porter atteinte à un droit fondamental. Les possibilités de pourvoi en cassation contre une décision illégale de cour d’appel s’en trouveraient alors très fortement réduites en droit du travail, comme l’a signalé le président de la Cour de cassation dans une lettre du 15 mars 2018 à la garde des Sceaux.
Il est nécessaire de permettre l’accès au droit des justiciables, notamment salariés et, par conséquent, de maintenir la possibilité de former des pourvois en cassation en matière de droit du travail.
Bibliographie
Michel Miné, Le Grand Livre du droit du travail en pratique, 2018, Eyrolles, 29e édition, 846 pages, 39 euros.