[Decryptage] Pourquoi l’économie sociale et solidaire est intéressante pour la CGT

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Qu’y a-t-il de commun entre la Caisse d’épargne, le Samu social et Scop-Ti ? A priori pas grand-chose. Et pourtant on les regroupe bien tous dans la notion « d’ESS » (économie sociale et solidaire). Ce qui nous montre bien la difficulté à cerner cette notion floue. Voilà pourquoi il nous a semblé aujourd’hui opportun de rédiger une Note éco entièrement dédiée à ce sujet.

Afin tout d’abord de faire un état des lieux de cette dernière, de mieux comprendre ce que représente l’ESS aujourd’hui, mais aussi à travers son histoire. Pour ensuite nous permettre de mieux apprécier les enjeux syndicaux et revendicatifs de ce pan de l’économie. C’est le but de cette note, permettre à chacun de connaître puis de s’emparer de l’ESS avec des clés de compréhension afin de soulever le débat. Nous commencerons donc par un historique des différentes composantes de l’ESS, puis nous aborderons les différentes critiques qu’elle soulève. Ensuite nous dresserons un tableau actuel de ce que représente l’ESS à l’échelle du pays, mais aussi au sein de la CGT. Pourquoi elle peut être intéressante pour nos organisations, mais aussi les risques qu’elle entraîne. Enfin, nous finirons sur les perspectives syndicales concernant l’ESS.

I. Introduction: Historique

Le terme « économie sociale » est ancien : il apparaît dès 1805, sous la plume de Chateaubriand. Cependant les trois principales composantes de cette économie (mutuelles, coopératives et associations) qui apparaissent durant ce siècle vont se développer séparément. Après un retour sur l’histoire de chacune des composantes, nous reviendrons sur les dates importantes de la création du concept d’économie sociale et des critiques qui l’ont accompagné.

L’essor de la mutualité

Dans la première moitié du xixe  siècle, des sociétés de secours mutuels apparaissent, elles sont donc l’un des hauts lieux de l’émulation sociale. Dès le Second Empire, Napoléon III, se méfiant de ces sociétés, cherche à les institutionnaliser pour mieux les contrôler. Il les légalise pour les surveiller étroitement, ce qui diminue fortement leur rôle subversif initial. En 1898, la charte de la mutualité vient clore ce mouvement d’institutionnalisation1. La Fédération nationale des mutuelles de France (FNMF) est créée en 1902.

Durant la Seconde Guerre mondiale, elle soutient la charte du travail instaurée par Pétain en 1942, ce qui rompt avec sa neutralité historique – mais n’est que la continuité de sa vision de collaboration des classes2. Elle retire ce soutien à la mi-1943. À la Libération, de nombreux débats ont lieu entre syndicalisme et mutualité et cette dernière, affaiblie, accepte le système de Sécurité sociale (auquel elle était opposée) tout en obtenant la gestion de certains organismes. Les rapports entre mutualité et syndicalisme sont souvent compliqués mais ils ne doivent pas faire oublier le fait que de nombreux syndicalistes sont aussi militants mutualistes.

De plus, la CGT interviendra dans le champ mutualiste avec la création de la FNMO (Fédération nationale des mutuelles ouvrières) en 1960, qui deviendra ensuite la FNMT (Fédération nationale des mutuelles de travailleurs) en 1968, puis la FMF (Fédération des mutuelles de France) en 1986. La CGT signe également au début des années 1980 un accord de partenariat avec la Macif dans un contexte de regain d’intérêt de la CGT pour l’économie sociale3. Ce partenariat est toujours à l’œuvre aujourd’hui.

Le développement des coopératives au xixe siècle

Les coopératives de production prennent aussi leur essor dans la première moitié du xixe siècle. Les associations ouvrières sont autorisées par la IIe République en 1848, car elles sont considérées comme plus égalitaires que le marchandage. Cependant cette loi n’aura que peu d’effet sur leur nombre effectif, bien que certaines expériences soient restées dans la postérité, comme la création en 1858 par Jean-Baptiste Godin du familistère de Guise4. Leur nombre reste faible.

De plus, la victoire des idées marxistes lors de la première internationale ne considérant pas que la coopérative de production puisse transformer réellement la société5, puis des positions qui en découlent lors des premiers congrès ouvriers en France (1878-1880), relèguent la coopération de production à un rôle très secondaire dans le milieu ouvrier et syndical.

Les Scop au xxe siècle : entre syndicalisme et politique

Durant la première moitié du xxe siècle, les coopératives connaîtront une institutionnalisation par l’État, et une dilution de leurs idéaux6. La chambre consultative des Scop (ou Chambre consultative des associations ouvrières de production) est créée en 1884. Dans un contexte de prédominance du syndicalisme en matière sociale, elle est largement sous l’influence symbolique de la CGT7. Elle deviendra en 1937 la CGSCOP. Les relations entre cette dernière et la CGT durant la deuxième moitié du xxe siècle seront fluctuantes. Cependant, localement, les frontières sont beaucoup plus poreuses, et l’on retrouve nombre de syndicalistes dans la création d’associations ouvrières de production (ou sociétés coopératives ouvrières de production) tout au long du dernier siècle. Les coopératives de consommation (représentées en France par la Fédération nationale des coopératives de consommateurs) vont longtemps avoir la mainmise sur le mouvement coopératif du fait de l’influence de Charles Gide au sein de celui-ci8. Cependant, le champ coopératif se rééquilibre dans les années 1980.

Les associations depuis la loi de 1901

Concernant les associations, elles sont instituées officiellement par la célèbre loi de 1901. Cependant de nombreuses associations existent, déjà, avant cette date. Suite à la loi, le nombre d’associations croît. Les rapports entre associations et syndicalisme sont multiples au cours de leur histoire9. De plus, les associations sont fortement hétérogènes, par l’activité qu’elles recouvrent (culturelle, sportive, médico-sociale, etc.), mais aussi à travers leur diversité partisane. Seules les associations dites gestionnaires (employeurs) font partie de l’économie sociale et solidaire. Aujourd’hui, le milieu associatif connaît de fortes critiques (notamment sur ses pratiques de travail) sur lesquelles nous reviendrons dans cette note.

Après avoir abordé les histoires singulières des trois grandes composantes de l’économie sociale et solidaire (les fondations n’apparaissent qu’en 1987), nous allons désormais nous focaliser sur la naissance et la construction de cette dernière en tant que concept et des interprétations critiques dont elle fait l’objet.

Le familistère de Guise
Il est créé en 1858 par Jean-Baptiste Godin. Cette usine de poêle à fonte est transformée en coopérative de production par son fondateur d’origine ouvrière. Les bénéfices sont utilisés pour financer les œuvres sociales pour les ouvriers (école, caisses de secours, logement). Le reste est reversé aux ouvriers en fonction du travail fourni durant l’année sous forme d’action. Les ouvriers deviennent donc petit à petit propriétaires de leur outil de production.

1. DREYFUS Michel, Histoire de l’économie sociale, de la Grande Guerre à nos jour, Rennes, PUR, 22017, pp. 22-23.
2. Ibidem, p. 138.
3. Nous renvoyons ici à un article qui paraîtra prochaînement sur l’historique des liens entre la CGT et l’économie sociale et solidaire
4. LALLEMENT Michel, Le travail de l’utopie. Godin et son familistère de Guise, Paris, Les belles lettres, 2009, 512 p.
5. LEONARD Mathieu, L’émancipation des travailleurs, une histoire de la Première Internationale, Paris, La Fabrique, 2011, 416 p.
6. DREYFUS Michel, Histoire de l’économie sociale, De la Grande Guerre à nos jours, op. cit., p.60.
7. ZAIDMAN Sylvie, « La CGT et les coopératives ouvrières de production », Cahier Maurice Thorez, 1995, n° 61, pp. 55-68.
8. DREYFUS Michel, Financer les utopies. Une histoire du crédit coopératif, Arles, Actes Sud, 2013, p. 90.
9. Nous renvoyons ici, aux très riches publications regroupées dans l’ouvrage collectif : TARTAKOWSKY Danielle et TETARD Françoise (dir.), Syndicat et associations, concurrence ou complémentarité ? Rennes, PUR, 2006, 494 p.

II. La construction du concept d’économie sociale et solidaire et ses critiques

Début xxe siècle: Charles Gide construit théoriquement l’économie sociale comme « mode de résolution de la question sociale », rejetant la logique de lutte des classes.

1977 : Le terme d’économie sociale refait son apparition avec Henri Desroche lors d’un colloque.
1980 : Adoption de la charte de l’économie sociale par le CNLAMCA.
1981 : Délégation interministérielle à l’économie sociale (se définit par trois principes: le caractère volontaire de l’adhésion, le fonctionnement démocratique et la non-lucrativité).
2000 : Le secrétariat d’État à l’Économie solidaire est créé.
2001 : Constitution du Ceges (Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale), instance de représentation du secteur. La Charte européenne de l’économie sociale est promulguée.
2004 : Création du CNCRES, qui rassemble l’ensemble des CRES.
2014 : Loi relative à l’ESS, dite loi Hamon. Création d’ESS France remplaçant le Ceges.

Les critiques 
de la notion d’ESS

Des sociologues, tel que Matthieu Hély, vont critiquer cette notion, pour son caractère artificiel, sa définition floue
et polysémique, et sa volonté homogénéisatrice de secteurs très différents. Ce dernier va jusqu’à dire que « l’économie sociale et solidaire n’existe pas »10.

L’ESS n’est pas une notion stable

Cette affirmation repose sur la définition mouvante de l’ESS historiquement. Mais aussi sur l’élargissement constant de ses frontières, qui ne permettrait pas de la définir comme un objet clair. L’agrément Esus (entreprise solidaire d’utilité sociale, créé en 2015), qui permet à des entreprises n’appartenant pas de droit à l’ESS de justifier de leur utilité sociale, ou encore la loi Pacte de 2019, qui permet aux entreprises de se doter d’une « raison d’être », en seraient des exemples éloquents.

L’ESS: marque du désengagement de l’État ?


Le développement de l’économie sociale et solidaire irait, de plus, de pair avec la transformation de l’État et rendrait « socialement acceptables les nouvelles formes du capitalisme néolibéral »11. L’ESS deviendrait petit à petit une « quatrième fonction publique » sans bénéficier des avantages et des protections statutaires de celle-ci.

La critique de l’ESS comme « business »

D’autres critiques venant souvent d’acteurs et d’intellectuels de l’économie sociale et solidaire vont émerger. Ces critiques portent sur ce qui considéré comme des dérives de l’ESS – notamment le social business12. Elles portent également sur les orientations de la loi de 2014. Cette dernière est la résultante de choix politiques qui ne sont pas anodins.
En effet, le législateur et Benoît Hamon ont opté pour une définition souple et large (comme il le reconnaît lui-même), définissant l’ESS comme une « certaine manière d’entreprendre » plutôt que sur les statuts ou le secteur d’activité13.
Faire le choix de ne pas instituer une définition restrictive basée notamment sur les statuts, mais plutôt de privilégier les finalités des entreprises, a d’importantes conséquences sur les contours de l’ESS, et participe au flou sur les frontières de cette dernière. Comme nous l’avons vu précédemment, cela permet de faire rentrer dans l’ESS des entreprises sociales, et tout le pan de l’entrepreneuriat social.
Ce dernier est ainsi fortement critiqué par certains acteurs et intellectuels de l’ESS comme une déformation des principes originels de cette dernière14. Ces différentes critiques portent donc plus sur la définition et le périmètre légitime du champ de l’ESS, que sur la remise en cause générale de cette notion.

Dans les statuts de la CGT, il est écrit que nous devons œuvrer à transformer la société, pour que les salariés puissent s’émanciper et que nous devons agir pour la défense et l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail.Dans nos repères revendicatifs, la fiche 5a introduite en novembre 2015 définit nos propositions.

Une économie au service des personnes dont les acteurs de l’ESS peut être un rouage important pour la construction d’un autre mode de développement.
Nous avons une double responsabilité :

Avec les salariés de l’ESS:

  • défendre et améliorer les conditions de travail et de vie des salariés ;
  • gagner l’amélioration de leurs garanties collectives existantes;
  • renforcer leurs conventions collectives, leurs accords d’entreprises, leurs statuts;
  • aider à l’intervention de ces salariés sur les choix stratégiques des entreprises afin de peser sur le sens du travail, son contenu, son organisation et sa finalité.

Les salariés de l’ESS sont majoritairement très attachés aux valeurs de l’économie sociale et solidaire :

  • il faut travailler à des propositions visant à la fois les salariés et les adhérents/sociétaires ;
  • il faut être force de propositions dans l’ESS, tant du point de vue de la création de normes que du financement.

Après avoir abordé la partie historique, nous allons maintenant observer des éléments de chiffrage contemporain, afin d’avoir un panorama complet de l’économie sociale et solidaire aujourd’hui.

Dans le monde bancaire d’aujourd’hui, de gros groupes ont été construits, mélangeant habilement secteur coopératif et banque privée tel le groupe Crédit agricole avec LCL, Crédit mutuel et CIC, ou encore le dernier en date créé par la loi de 2009, la BPCE : Banque populaire et Caisse d’épargne, qui sont détenteurs à parts égales de Natixis ! On voit bien que ces mélanges posent question…

III. En quelques chiffres

Il serait trompeur de présenter des données chiffrées sur l’ESS en tant que tel. En effet, les structures de l’ESS sont très diverses et répondent à des règles très différentes.

Ainsi, comme nous avons pu le voir, force est de constater que ces structures n’ont pas grand-chose à voir les unes avec les autres. Quels points communs entre une association, sans but lucratif, fonctionnant avec des subventions, dont les salariés n’ont pas de moyen d’expression démocratique spécifique, et une coopérative, soumise au marché et dont les salariés sont très souvent propriétaires de leur entreprise? Et que dire des mutuelles, de plus en plus soumises au marché et dont le mode de fonctionnement ne se différencie pas forcément d’une entreprise classique?
Cette diversité rend l’analyse complexe. En effet, les chiffres mêlent plusieurs réalités qu’il faut distinguer pour avoir une analyse pertinente notamment, s’il s’agit de vérifier comment l’ESS résiste en terme économique ou quelle place elle occupe dans l’économie française. Nous tenterons donc de situer en chiffre l’ESS, en ayant conscience de cette diversité.

L’ESS : près de 10 % du PIB de la France

• 10,5 % de l’emploi français, et 14 % de l’emploi privé en 2014;
• 2,38 millions de salariés en 2017;
• 221 136 établissements employeurs en 201715.

Les structures de l’ESS concourent à la vie économique et sociale en produisant des biens et des services dans de nombreux domaines d’activité. De l’action sociale à la culture, en passant par les activités financières, bancaires et d’assurances et les fondations. L’ESS est un acteur économique de poids représentant 10 % du PIB français.

Quelques chiffres repères

Pour bien comprendre les secteurs très divers qui concernent l’ESS, et commencer à la situer dans l’économie de notre pays, nous donnerons quelques repères en chiffres : nous pouvons citer les mutuelles de santé qui concerne près de 40 millions de Français qui en bénéficient en 2013. Concernant les coopératives, plus de 22 millions étaient sociétaires d’une banque coopérative. Pour les mutuelles d’assurances, 20,8 millions en étaient sociétaires.
Par ailleurs, on comptait 12,5 millions de bénévoles dans les associations (dont 9 millions de bénévoles réguliers) et près d’un Français sur deux adhérait, au moins, à une association.

Les coopératives

Depuis fin 2016, le nombre de sociétés coopératives a augmenté de 10 % pour s’établir à un total de 3 311 sociétés coopératives actives en France à fin 2018. En 2018, la croissance nette du nombre de sociétés coopératives est relative- ment moins élevée par rapport à 2017 (+3,8% en 2018, contre +5,8% en 2017). Toutefois, la dynamique de création de coopératives se maintient autour de 300 nouvelles créations par an.
Deux tiers des Scop existent toujours après leur création alors que seule une entreprise « classique » sur deux per- dure.
Ce secteur des coopératives concerne donc au total 57 000 salariés dont 32 000 associés, un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros.

L’ESS et la reprise de l’entreprise par les salariés

Dans la réalité du monde économique dans lequel nous vivons, l’ESS est sou- vent abordée par le biais des Scop ou Scic lorsque des salariés veulent sauver leurs emplois et pérenniser des entreprises via ce modèle.
En France, en 2017, on comptait 3177 coopératives contre 496 en 1996 soit en moyenne 220 créations de Scop par an et 6 100 créations d’emplois entre 2012 et 2017.

Dans les Scop que nous connaissons bien, citons UP (ex-chèques déjeuner), les ex-Fralib avec Scop-Ti pour l’agro, ou encore Helio Corbeil pour la Filpac. Dans ces deux cas, les salariés et leur syndicat ont décidé de prendre leurs affaires et leur avenir en mains quand l’entreprise était menacée de fermeture.

Cela ne représente toutefois que 10 % des créations de Scop, soit une dizaine par an ; le reste, soit 90 %, concerne des créations pures ou des transmissions d’entreprise.
Mais pour arriver à ce résultat, il faut de la persuasion : nombre de militants voient d’un mauvais œil des salariés qui veulent devenir employeurs.

D’ailleurs, bien souvent, ce sont les cadres syndicaux qui pensent coopératives et pas le salarié de « base » – de par leur formation professionnelle mais aussi syndicale, qui conduit de fait à une certaine « professionnalisation ». Être salarié d’une Scop, c’est aussi être un peu « schizophrène » ; salarié, coopérateur associé… et bien souvent délégué syndical !

L’ESS et l’emploi

Actuellement, plus de 2,3 millions de salariés travaillent dans des entreprises de l’ESS. Concernant plus en détail ce salariat, 67 % des salariés sont des femmes, bien plus que dans le public (60 %) ou le reste du privé (40 %). Ainsi, une femme salariée sur sept travaille dans l’ESS.
Présentes dans tous les secteurs d’activité, les organisations et entreprises de l’ESS sont :

  • les premiers employeurs du secteur social (62 % des emplois du secteur), du sport et des loisirs (55 % des emplois du secteur);
  • le deuxième employeur des activités financières, bancaires et d’assurances (30 % des emplois du secteur);
  • l’ESS est également présente dans les arts et spectacles (27 % des emplois du secteur) et l’enseignement (19 % des emplois du secteur).

L’ESS: un enjeu syndical de premier ordre

Nous indiquons ci-dessous les principaux champs fédéraux de la CGT concernés par l’ESS, cependant il nous semble que toute la CGT l’est. Nous n’avons ainsi qu’une connaissance partielle de nos forces dans ce, ou plutôt ces secteurs de l’ESS. Un travail de recensement est donc à prévoir.

15https://ess-france.org/fr/less-en-chiffres

IV. Pourquoi l’ESS est intéressante pour la CGT

Une des spécificités de l’ESS serait de créer de l’emploi non délocalisable – ce qu’il faut immédiatement nuancer car nous connaissons notamment des coopératives avec des filiales à l’étranger qui sont constituées sous forme d’entreprise classique. Pour cela, il faut connaître ce que représente l’économie sociale, identifier ses composantes. Il faut comprendre son fonctionnement dans sa diversité; il faut situer l’ESS dans la société d’aujourd’hui, avoir une analyse économique et politique pour savoir si l’ESS est vraiment une alternative ou au contraire un accompagnement à l’économie d’aujourd’hui.

L’ESS comme alternative

La composante coopérative de l’ESS peut être intéressante pour la CGT, pour plusieurs raisons. Elles peuvent dans un premier temps permettre d’améliorer les conditions de travail immédiates des travailleurs. Dans le même temps, elles peuvent également leur servir à sortir de la précarité, cela peut donc permettre à la CGT d’organiser les plus précaires, ce qui est particulièrement difficile à faire.
Le projet de coopérative des livreurs à vélo à Bordeaux en est un exemple éloquent. Cela permet de créer une alternative à l’ubérisation, d’améliorer leurs conditions de travail, tout en organisant et syndiquant des travailleurs précaires. Il faudrait pousser la réflexion politique sur les raisons, et les finalités de ces projets.

Les coopératives de livreur à vélo
Un jeune syndiqué de Bordeaux, ancien livreur sur les applications type UberEats et Deliveroo, a eu la volonté suite à son licenciement économique de monter une coopérative de livreur avec certains de ces anciens collègues, afin de créer une alternative à « l’ubérisation ». La CGT l’a accompagné dans cette démarche. N’étant pas dans un cas de reprise d’entreprise, qui enferme souvent les camarades dans des problématiques urgentes, il a pu, avec ses trois collègues, en partenariat avec la Confédération et l’UD de Gironde, réfléchir aux modalités de cette coopérative. Ils ont ainsi formulé le modèle social et les statuts qu’ils souhaitaient pour leur coopérative. En a émergé la décision de faire un travail de fond et de réflexion afin de reprendre et modifier les statuts type de Scop, afin de créer une réelle alternative et d’éviter tout problème inhérent à ce type de coopératives (taille, démocratie, etc.).
Cette initiative nous semble très intéressante, car elle mobilise de jeunes syndiqués, elle permet à des personnes précarisées par l’ubérisation de sortir de ce précariat. Elle permet également d’être une alternative à l’ubérisation. Elle entraîne aussi le fait de réfléchir syndicalement à ce que devrait être une Scop. L’objectif est de multiplier ces initiatives à l’échelle nationale.

V. Risques avec la notion d’ESS

L’ESS risque de masquer les conflits au travail

Quand on parle d’ESS, on pense aussi souvent au secteur mutualiste et au secteur coopératif, et nous sommes là bien loin de la petite Scop (UP étant une exception par sa taille). Cependant, les critiques existent et il faut les affronter pour y remédier, en voici quelques-unes.  Groupe Crédit agricole, Groupe BPCE, groupe Crédit mutuel, In vivo, VYV, Macif… L’énonciation de ces quelques noms suffit à convaincre que l’ESS n’est pas un mot magique permettant de gommer les inégalités salariales, de rétablir de la démocratie dans les entreprises, d’échapper à la course au profit, de conjuguer production et respect de l’environnement, etc.

De récentes affaires autour des problématiques de filiales de coopératives, de salaires de dirigeants ou encore de régressions quant aux conditions de travail démontrent que nous devons rester vigilants. La forme juridique n’est pas une garantie de bon fonctionnement, il faut la lier avec de nombreux autres critères. Parmi eux, il y a probablement celui de la taille critique de structures dans lesquels les sociétaires sont censés participer à la vie démocratique et maîtriser collectivement une mutuelle ou une coopérative.

S’agissant des associations, les conditions de travail y sont souvent difficiles, la place du bénévolat discutable (rappelons qu’il équivaudrait à 1 ou 2 % de la valeur ajoutée brute dans le PIB) et le rapport entre salariés et bénévole souvent source de tensions.
Enfin, l’entreprenariat social suscite de nombreuses critiques comme nous avons pu le voir dans la partie « critique ».

L’ESS pas épargnée par les inégalités salariales

Selon l’Insee, dans l’intégralité de l’ESS, l’échelle des salaires est plus resserrée que dans le secteur marchand. Le salariat est composé à 17 % de cadres. Cependant, on observe des revenus plus faibles que la moyenne dans le milieu associatif. Les explications sont multiples (nature des emplois, domaines d’activité, fréquence des temps partiels…).

Dans les coopératives, mutuelles et fondations, les salaires sont plutôt au-des- sus de la moyenne, ceci serait notamment dû au fait qu’on trouve des mutuelles et certaines coopératives dans des secteurs où les rémunérations sont globalement hautes (banques, assurances…).
D’après l’étude sur l’emploi des jeunes dans l’ESS du CNCRESS, le salaire moyen perçu par les moins de 30 ans dans l’ESS est de 1805 € brut mensuel contre 1983 € dans le privé et 1 858 € dans le public. Le salaire mensuel brut moyen est par exemple plus faible dans les associations (1 695 €) que dans les coopératives (2158€),les mutuelles (2120€) et les  fondations (1 998 €).

Si le premier salaire est souvent équivalent, les écarts se creusent pour la tranche d’âge des 25-29 ans où le privé classique dépasse largement l’ESS et le public.

C’est au niveau de L’Udes que le dialogue social se discute au niveau national. La CGT y est représentée mais les accords et/ou position commune qui peuvent y être négociés n’ont pas de caractère obligatoire.

Bien-être au travail et ESS

Le 2e baromètre national de qualité de vie au travail dans l’ESS de la Mutuelle Chorum, réalisé avec l’appui de l’institut de sondage CSA, présenté le 7 mars, révèle une dégradation de la perception de la QVT par les salariés et les dirigeants, liée notamment aux contraintes financières croissantes et aux nombreuses réorganisations dans le secteur.

Certes, une majorité de salariés (77 %) et de dirigeants (88 %) dans l’économie sociale et solidaire (ESS) se disent satis- faits de leurs conditions de travail, qu’ils estiment cependant dégradées depuis trois ans. Ainsi, la note de qua- lité de vie au travail (QVT) est tombée à 6,1 sur 10 chez les salariés (contre 6,3 en 2013) se rapprochant ainsi de la note globale des salariés en France, tous secteurs confondus. Chez les dirigeants, la note a également baissé, passant de 7,4 à 7,2. Ces évolutions s’expliquent par des déterminants « macro » d’ordre global, et « micro », liés à l’établissement.

Indépendamment de la dégradation de la QVT ressentie par les répondants, ils affichent toujours leur attachement au secteur : 83 % des salariés et 94 % des dirigeants souhaitent continuer à travailler dans l’ESS.

VI. L’avenir de l’ESS ? Métiers liés à la fin de vie et à la dépendance

On sait que la population française vieil- lit et que le secteur des Ehpad et de l’aide à domicile croît dans notre pays. Au-delà des appétits voraces qu’il suscite de la part de gros groupes privés, le monde associatif y tient une grande part, malheureusement pas toujours pour le meilleur, que ce soit au niveau des conditions de travail, de la précarité, comme celui des conditions de vie des patients. Ce secteur est celui où l’on retrouve le plus de femmes. Il cumule CDD, temps partiels contraints, mobilités, turn-over, burn- out…

On recense 2200 Ehpad associatifs en France. Dans l’aide à domicile, c’est plus de 5000 associations et 232000 salariés (145000 ETP) avec 97 % de femmes dont 76%en temps partiel et 88% de CDI et un salaire moyen de 1210 €.

La femme : l’avenir de l’ESS, mais à quel prix ?

La charte des acteurs français de l’ESS (1980) proclame dans son article 7 que les entreprises de l’économie sociale et solidaire ont comme finalité d’être au service des individus.

La CGT porte un projet où le développement humain durable veut contribuer à la construction d’une société solidaire, démocratique, de justice, d’égalité et de liberté ; construction qui répond aux besoins et à l’épanouissement individuel et collectif des femmes et des hommes. Nous avons des intérêts convergents ; c’est pourquoi, conformément à la résolution 1 du 50e Congrès, nous sommes disponibles pour travailler à cette volonté • de transformer la société.
Dans le contexte actuel ces deux responsabilités sont différentes et elles ne peuvent être confondues.

Des questions se posent à nous :

  • comme dans le secteur associatif, où la tentation de faire de ce secteur un secteur d’activité avec de nombreux salariés précaires, exploités, voire non déclarés existe;
  • comment garde-t-on, dans un monde de plus en plus libéral, les valeurs de l’économie sociale et celles développées par la CGT ? Les mêmes modes de management, les mêmes modèles commerciaux y sont utilisés, voire les mêmes principes économiques que les entreprises privées, comme le secteur des banques, des assureurs mutualistes, des coopératives, du tourisme…
  • quelle place le Medef laisse-t-il à l’économie sociale?
  • l’Udes est aujourd’hui notre interlocuteur en matière de dialogue social multiprofessionnel, comment nous situons-nous vis-à-vis d’eux?
  • qu’est-ce qui différencie aujourd’hui l’économie sociale et solidaire de l’économie capitaliste ? et quelles ressources pour les entreprises de l’économie sociale ?
  • quel lien, entre les élus CGT dans les conseils d’administration et la CGT ? Le fil paraît distendu dans plusieurs cas entre ces élus et le syndicat de la structure.

Conclusion

Nous avons pu constater à travers ce panorama qui se voulait volontaire- ment large, que l’économie sociale et solidaire était très disparate. Elle a été construite historiquement avec des composantes qui se sont développées indépendamment les unes des autres, ce qui permet de mieux comprendre la grande hétérogénéité actuelle de l’ESS. Sa définition reste donc polysémique et sa réalité très diverse en fonction des situations. Elle est également un vrai enjeu syndical, tout d’abord car elle concerne une part non négligeable du salariat total actuel en France. Mais aussi car elle peut parfois permettre d’améliorer les conditions de travail des travailleurs, ou encore des précaires. Cependant nous avons pu constater qu’elle ne permettait pas de se prémunir de défauts réels, comme les inégalités salariales, ou encore des conditions de travail pas toujours à la hauteur des attentes.

La complexité de l’économie sociale et solidaire, sa construction historique, ses atouts et ses défauts que nous avons pu parcourir durant cette note sou- lèvent de nombreuses questions pour la mise en place d’une politique revendicative la concernant. C’était le but de cette note, poser les premiers jalons d’une réflexion globale autour de cette question.

 

Glossaire

  • ESS: économie sociale et solidaire.
  • Scop : société coopérative ouvrière de production.
  • Scic : société coopérative d’intérêt collectif.
  • CSESS : Conseil supérieur de l’ESS.
  • CRESS : chambre régionale de l’ESS.
  • CNCRESS : Conseil national des chambres régionales de l’ESS.
  • Udes : Union des employeurs de l’économie sociale, organisation patronale multiprofessionnelle.
  • ERDS : espace régional de dialogue social.
  • ETP : équivalent temps plein.
  • ESS France : Sigle de la Chambre française de l’économie sociale et solidaire, représentante de l’ESS auprès des pouvoirs publics en France.
  • UP : Ex-chèques déjeuner.
  • Scop-Ti : Scop des ex-salariés de Fralib qui ont lutté 1 336 jours.

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Pièces-jointes :
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