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C’est à l’évidence une mesure de justice. Mais l’examen du jugement, frappé d’appel, révèle une motivation discutable et la nécessité d’une approche rigoureuse des conventions de forfait-jours. Il faut dire que les conditions du passage en forfait-jours étaient surprenantes.
Anciennement « responsable opérationnel », la salariée avait signé un avenant à son contrat de travail :
- la qualifiant de cadre, niveau V, échelon 1 ;
- disposant qu’« en votre qualité de cadre jouissant d’une grande indépendance
- dans l’organisation et l’exercice de votre mission et disposant d’une large autonomie dans l’organisation même de votre travail, votre durée du travail est reconnue incontrôlable et ne peut valablement se décompter que par journée de travail dans la limite légale de 214 jours par an », formulation reprise de l’article 33.5.2 de la convention collective de la restauration rapide;
- fixant sa «rémunération mensualisée brute à 2200 euros pour un horaire mensuel de 151,67 heures» ;
- prévoyant des primes « déterminées selon des critères définis par Monsieur P [directeur de la société franchisée par MacDo employant la salariée] et qui vous seront présentés».
Après son licenciement pour inaptitude professionnelle, la salariée va revendiquer le paiement d’heures supplémentaires à partir d’un décompte très précis de ses heures de travail, étayé de nombreuses attestations, ainsi que l’indemnisation des repos compensateurs correspondants. Le conseil fait droit à l’intégralité de sa demande aux motifs suivants:
- au vu de l’étendue des responsabilités et des délégations de pouvoir de la salariée, sa rémunération est manifestement insuffisante au sens de l’article L.3121-47 (cf. note 13);
- les entretiens annuels prévus par l’article L.3121-46 pour les salariés en forfait-jours (examen de la charge de travail et de la rémunération) n’ont pas eu lieu, de telle sorte que les critères d’attribution des primes n’ont jamais été présentés ;
- au moment de la signature de l’avenant, aucune heure supplémentaire n’a été intégrée dans la rémunération forfaitaire;
- l’arrêt du 29 juin 2011 de la Cour de cassation autorise le paiement d’heures supplémentaires aux salariés en forfait jours.
Laissons de côté ce dernier argument qui procède d’une mauvaise lecture de l’arrêt, puisque celui-ci fonde le règlement d’heures supplémentaires sur la neutralisation de la convention de forfait. Le raisonnement du conseil exploite les incohérences de l’avenant ayant fait passer la salariée du droit commun au forfait-jours.
Il est syndicalement intéressant, puisque nous revendiquons que toute convention de forfait-jours indique un horaire moyen de référence (nous le souhaitons hebdomadaire plutôt que mensuel) dont le dépassement sur un trimestre ouvrirait droit au paiement d’heures supplémentaires et à repos compensateur.
Son fondement juridique est plus hasardeux : s’agissant des heures supplémentaires, il pourrait être trouvé dans la décision du CEDS relevant que le système du forfait-jours appliqué selon les seules modalités légales aboutit à un nombre excessif d’heures supplémentaires non rémunérées ; on peut aussi soutenir que la référence à l’horaire mensuel figurant dans l’avenant induit la compensation financière de son dépassement, rien n’indiquant que les primes prévues en tiennent lieu. Mais quid des repos compensateurs ?
Il nous paraît beaucoup plus simple et sûr de déclarer la convention de forfait privée d’effet, à partir d’éléments relevés par le conseil, mais dont il ne tire pas les conclusions nécessaires :
- son encadrement collectif est manifestement insuffisant; la convention col- lective (avenants temps de travail inclus) ne comporte aucune disposition de contrôle, sinon l’affirmation que « l’accomplissement de leur mission doit s’inscrire dans une maîtrise des temps pour laquelle l’entreprise et le cadre concerné ont un rôle à jouer par un effort conjoint d’organisation », et il n’est pas fait état d’accord d’entreprise;
- l’absence des entretiens prévus par l’article L.3121-46 et de décompte par l’employeur des jours travaillés (à fortiori de suivi de la charge de travail) suffisent également à neutraliser la convention de forfait.
Dernière remarque : la salariée demandait aussi des dommages et intérêts pour « trouble de la vie quotidienne, mise en danger de la vie d’autrui et non respect des dispositions légales relatives à la durée du travail ». Elle en est déboutée par le conseil, au motif qu’elle aurait dû se plaindre de cette situation sans attendre son licenciement et que la convention collective « lui faisait obligation de prévenir son employeur de tout dépassement d’horaire».
Ces arguments sont inconsistants: la Cour de cassation a rappelé récemment que le dépassement des durées maximales de travail, hebdomadaires ou quotidiennes, engageait nécessairement la responsabilité de l’employeur et ouvrait droit à des dommages et intérêts (cass. soc. 8 juin 2011, pourvoi n° 09-67051 et cass. soc. 29 juin 2011, pourvoi n° 10-14743). La co-responsabilité suggérée par la convention collective ne peut exonérer l’employeur ! Le reproche de ne pas s’être plainte avant la rupture du contrat de travail est juridiquement infondé, les faits invoqués n’étant pas prescrits, et mal venus compte tenu des multiples témoignages de l’ambiance de pression et de surexploitation régnant dans cette entreprise.
Malgré ces remarques, il s’agit d’un jugement important qui a le mérite de sanctionner sérieusement un système d’exploitation particulièrement brutal. Espérons que la cour d’appel le confirmera et l’améliorera, tant pour les sommes allouées que pour leur justification.