Du bon usage… des CDD d’usage

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Du bon usage... des CDD d’usage
Plusieurs arrêts récents ont confirmé un strict encadrement des « CDD d’usage », une des formes de précarité susceptible de concerner nombre de salariés de nos catégories, cadres compris. C’est l’occasion de faire le point sur les règles applicables à ces contrats et sur une jurisprudence dont l’évolution est riche d’enseignements.

De quoi s’agit-il ?

Les CDD d’usage sont un des cas de recours aux contrats à durée déterminée prévus par la loi, en l’occurrence l’article L.1242-2 du Code du travail, selon lequel :

« Sous    réserve    des    dispositions    de l’article L.1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants : (…)

3° Emplois à caractère saison- nier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’ activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature tempo- raire de ces emplois (…). »

Ces contrats sont soumis à des règles encore moins contraignantes que les autres CDD. Par exemple :

– ils peuvent toujours être conclus sans terme précis (article L.1242- 7,4ème)et quand ils le sont pour une durée explicitement déterminée, le maximum légal de dix-huit mois, renouvellement éventuel compris, prévu par l’article L. 1242-8 ne leur est pas applicable (cela résulte de la jurisprudence, cf. Cass. soc. 28 octobre 1997, pourvoi n°95-43101);

– les employeurs sont dispensés du versement de l’indemnité de précarité, prévue par l’ article L.1243-8 au terme d’un CDD non suivi d’ une embauche à durée indéterminée (article L.1243-10) ; cependant certain accords collectifs y donnent droit, par exemple pour certaines professions du spectacle ;

– ils échappent aussi au délai de carence interdisant le recours à un autre CDD ou à un travailleur intérimaire pour occuper le même poste avant un certain laps de temps suivant la fin du CDD (délai égal à 1/3 de la durée totale du CDD si celle-ci est de quatorze jours au moins et de la moitié pour les CDD plus courts) ; le délai de carence résulte de l’article L.1244- 3 et la dérogation de l’ article L.1244-4, 3ème.

A quelles conditions un employeur peut-il y recourir ?

L’article L.1242-2 ne le permet que dans certains secteurs d’activité (voir leur liste en encadré) pré- vus par décret (codifié à l’article D.1242-1) ou accord de branche étendu. Dans cette énumération pour le moins hétéroclite, on notera que certains secteurs concernent majoritairement nos catégories (spectacle, action culturelle, audiovisuel, enseignement, information, ingénierie et recherche à l’étranger, …).
Cependant, tous les emplois de ces branches ne sont pas ouverts à ces contrats. Deux conditions cumulatives semblent résulter clairement du texte cité ci-dessus :

– existence d’un «usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminé »,

– «caractère par nature temporaire de ces emplois ».

Cette deuxième condition est aussi renforcée par les dispositions de l’article L.1242-1, applicables à tous les CDD et selon lequel « un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».

Une jurisprudence enfin conforme à l’esprit du texte !

La jurisprudence a cependant connu quelques errements avant de se fixer en 2008 sur une interprétation stricte de ce texte, conforme à sa lettre et à l’objectif de lutter contre le recours abusif aux contrats précaires. Pour résumer :

– jusqu’ en 2003,    le caractère temporaire de l’emploi est exigé (par exemple, Cass. soc. 23 mai 1995, pourvoi n°92-43085) ;

– mais en 2003, revirement de jurisprudence, la Cour de cassation limitant le rôle du juge à vérifier la première des deux conditions, sans se préoccuper de la « nature temporaire »    de    l’emploi : « l’ office du    juge    saisi d’ une demande de requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, est seulement de rechercher, par une appréciation souveraine, si, pour l’emploi concerné, et sauf si une convention collective prévoit en ce cas le recours au contrat à durée indéterminée, il est effectivement d’ usage constant de ne pas recourir à un tel contrat » (Cass. soc. 26 novembre2003, pourvoi n°01-44263) ; pendant plusieurs années, la Cour va casser les jugements ayant prononcé une requalification de CDD d’usage en CDI basée sur le fait que l’emploi occupé était lié à l’activité permanente de l’entreprise!

– cette position, très critiquée par la doctrine, se heurta aussi à la législation et à la jurisprudence européenne ; en effet, un accord- cadre sur le travail à durée déterminée avait été conclu le 18 mars 1999 entre la CES et le patronat européen, suivi d’une directive du 28 juin 1999 (1999/70/CE), imposant aux États membres la mise en œuvre législative et/ou réglementaire de l’accord ; répondant à une question préjudicielle d’un tribunal grec sur l’interprétation de ces textes, la CJCE (aujourd’hui CJUE, Cour de justice de l’Union Européenne) avait notamment précisé que l’accord-cadre « requiert que le recours à ce type particulier de relations de travail, tel que prévu par la réglementation nationale, soit justifié par l’existence d’éléments concrets tenant notamment à l’activité en cause et aux conditions de son exercice » ;

– par deux arrêts du    23    janvier 2008 (pourvois n°06-43040 et 06-44197) concernant les contrats d’usage dans les secteurs de la télévision et de l’enseignement, la Cour opère un nouveau et salutaire revirement de jurisprudence (et une discrète autocritique!) en énonçant que « l’accord-cadre susvisé, qui a pour objet, en ses clauses 1 et 5, de prévenir les abus résultant de l’ utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi ».

Nouvelles précisions

Le contrôle des deux conditions cumulatives de recours aux CDD d’usage est maintenant bien établi. Certains employeurs ont cependant persisté dans leur stratégie de précarisation en s’appuyant sur certains accords collectifs qui décrivent avec précision ceux des emplois du secteur concerné susceptibles d’être pour- vus par des CDD d’usage. Or, cela ne suffit pas à justifier la nature temporaire d’un poste de travail déterminé. C’est ce qu’énonce clairement l’arrêt du 30 novembre 2010 (Cass. soc., pourvoi n° 09- 68609 et autres) : « Mais attendu que la détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d’usage ne dis- pense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné. »

Cet arrêt a aussi le mérite de rappeler (en les validant) les arguments qui ont conduit les juges du fond à rejeter le caractère temporaire des emplois en cause : «Et attendu que la cour d’appel, répondant aux conclusions, a, par motifs propres et adoptés, retenu que la réalisation des stages de réinsertion sociale et professionnelle des demandeurs d’ emploi, confiés à l’association Inter Production Formation par com- mandes ou marchés publics, ne revêtait pas un caractère occasionnel, que les salariés formateurs titulaires d’ un contrat de travail à durée indéterminée assuraient les mêmes stages que Mmes X…, Y…, Z… et A… et que l’employeur n’apportait pas d’explications à ce recours de manière simultanée à un effectif pour partie permanent et pour partie temporaire ainsi que sur la proportion de l’ un par rapport à l’ autre en fonction des variations de l’activité ; qu’elle a pu en déduire qu’il n’ était pas justifié concrètement des raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’ emploi d’ intervenant occasionnel visé par l’article 5.4.3 de la convention collective des organismes de formation. »

Saisi d’un litige de ce type, le « conseiller prud’homme actif » pourra s’en inspirer en recherchant notamment :

– si l’activité correspondant à ces emplois n’est pas elle-même permanente ;

– s’il y a aussi des salariés permanents exerçant tout ou partie de l’activité ;

– s’il n’y a pas de corrélation entre le recours aux CDD d’usage et la variation du volume de l’activité, autant d’indices contredisant la « nature temporaire » de l’emploi.

Pas de CDD d’usage pour les salariés en CDI !

C’est une démarche de nature collective que vient de mener à terme la fédération CGT des Sociétés d’études, en obtenant l’annulation d’un accord collectif qui permet- tait la transformation de CDI en CDD d’usage. En effet, dans le secteur de l’animation commerciale, l’ accord national du 13 février 2006 (étendu par arrêté du 16 avril 2007) avait créé un CDD d’ usage, mais aussi obligé les employeurs à proposer un CDI intermittent au salarié ayant effectué plusieurs CDD d’animation commerciale dans la même entreprise d’une durée au moins égale à 500 heures au cours des 12 derniers mois.

Prétendant « mettre en œuvre cet accord »,  des organisations patronales avaient alors signé avec la seule CFTC une convention prévoyant, pour les salariés titulaires d’un CDI intermittent, engagés avant l’entrée en vigueur de l’accord, la novation de leur contrat en CDD d’ usage s’ ils avaient travaillé moins de 500 heures au cours des 12 derniers mois. Plusieurs entreprises du secteur s’étaient donc empressées d’informer les salariés concernés que le recours au CDD étant devenu obligatoire, leurs CDI intermittents étaient remplacés par des CDD d’usage. La CGT va donc demander l’annulation de cette curieuse convention, prétendant transformer le droit à CDI pour certains salariés en interdiction du CDI pour les autres. Elle l’obtiendra par un arrêt du 3 décembre 2009 de la cour d’appel de Paris.

C’est cette décision que vient de confirmer la Cour de cassation (Cass. soc. 30 mars 2011, pourvoi n°10- 10560) dans les termes suivants : «attendu qu’il résulte de l’article L.1242-1 du Code du travail qu’un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ; et attendu qu’ayant relevé que la convention litigieuse avait pour finalité de permettre le recours au contrat d’intervention à durée déterminée pour des salariés occupant déjà dans l’entreprise des emplois liés à son activité normale et permanente dans le cadre de contrats à durée indéterminée, peu important que ces contrats fussent à temps partiel ou intermittents, la cour d’appel a par ce seul motif légalement justifié sa décision. »

La novation d’un CDI, fut-il intermittent ou à temps partiel en contrat précaire est donc formellement interdite.

Liste des secteurs d’activité où le recours aux CDD d’usage est possible

– Les exploitations forestières.
– La réparation navale.
– Le déménagement.
– L’hôtellerie et la restauration, les centres de loisirs et de vacances.
– Le sport professionnel.
– Les spectacles, l’action culturelle, l’audiovisuel, la production cinématographique, l’édition phonographique.
– L’enseignement.
– L’information, les activités d’enquête et de sondage.
– L’entreposage et le stockage de la viande.
– Le bâtiment et les travaux publics pour les chantiers à l’étranger.
– Les activités de coopération, d’assistance technique, d’ingénierie et de recherche à l’étranger.
– Les activités d’insertion par l’activité économique exercées par les associations intermédiaires prévues à l’ar- ticle L.5132-7.
– Le recrutement de travailleurs pour les mettre, à titre onéreux, à la disposition de personnes physiques, dans le cadre du 2° de l’article L.7232-6.
– La recherche scientifique réalisée dans le cadre d’une convention internationale, d’un arrangement administra- tif international pris en application d’une telle convention, ou par des chercheurs étrangers résidant temporairement en France.
– Les activités foraines.

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