Le soutien de nouveaux acteurs ne doit pas pénaliser l’observation de la Terre et l’exploration de l’Univers

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Dans une tribune au « Monde », signée par 1 000 chercheurs et ingénieurs, les représentants de la communauté scientifique dans les groupes thématiques du Centre national d’études spatiales déplorent un choix d’orientation budgétaire au détriment de la science.

 

Le CNES, agence spatiale française, et la communauté scientifique française utilisatrice de mesures effectuées par des instruments embarqués sur des satellites ont une longue histoire de collaboration, issue d’un choix stratégique opéré après la seconde guerre mondiale qui visait à faire de la France un acteur majeur dans le spatial. La communauté scientifique composée de chercheurs et ingénieurs de laboratoires universitaires et d’instituts de recherche, conseille le CNES sur les priorités scientifiques de la recherche spatiale au travers de groupes thématiques en Science de l’Univers et Exploration et en Étude et Observation de la Terre.

En bref, les scientifiques français proposent au CNES des projets spatiaux et des participations instrumentales à des missions spatiales ou vols de ballons stratosphériques et, si ceux-ci sont validés par différents comités, le CNES fournit le financement et son expertise pour leur réalisation souvent faite en partenariat entre laboratoires et industrie, contribuant ainsi au transfert de compétences et de savoirs entre les deux mondes. Les intérêts scientifiques étant nombreux et les ressources limitées, l’aspect programmatique est essentiel pour mener à bien ces projets qui s’étalent sur de nombreuses années. Tous les 4-5 ans, le CNES réalise avec l’aide des scientifiques une prospective qui définit les priorités pour les prochaines années.

Cette collaboration a fait la renommée de la France dans la recherche spatiale en lui assurant une place de premier rang sur des missions spatiales européennes (au sein de l’ESA) et internationales, mais aussi en réalisant des missions purement françaises ou en partenariat avec un autre pays. On peut par exemple citer les missions suivantes pour leurs succès scientifiques et auprès du grand public : l’exploration d’une comète par la mission ROSETTA de l’ESA, la récente participation au plus grand télescope spatial au monde qu’est le James Webb Telescope1 de la NASA, les programmes IASI (CNES/EUMETSAT) pour la prévision météorologique et JASON (NASA/CNES) pour le suivi du niveau des mers par altimétrie.

Ces missions renforcent la collaboration entre différentes nations, font avancer nos connaissances, et permettent des développements technologiques de pointe en partenariat entre laboratoires et entreprises. Elles font également rêver et constituent une source d’inspiration. La participation de scientifiques français à la réalisation des instruments assure un accès privilégié et clairvoyant aux données, et permet d’en retirer des informations précieuses pour la science et le développement d’applications sociétales dans des domaines aussi variés que la prévision du temps, la qualité de l’air ou l’évolution des océans, la médecine et la biologie, ou encore pour observer et comprendre les effets du réchauffement climatique.

La situation a dramatiquement changé ces derniers mois, avec l’apparition d’une contrainte très forte exercée sur le budget du CNES alloué à la science qui met en péril la place de la France dans la recherche spatiale. Les messages provenant de la présidence du CNES sont explicites : dans la thématique Étude et Observation de la Terre, il n’y a actuellement aucune capacité d’engagement de nouvelles missions scientifiques jusqu’en 2026 ; côté Science de l’Univers et Exploration, le risque est très grand de devoir abandonner des projets déjà démarrés. A courte échéance, les laboratoires français vont ainsi devoir se désengager de plusieurs projets internationaux de premier plan scientifique et technologique, rompant un partenariat établi de longue date avec les plus grandes agences spatiales internationales.

Sans ces projets et sans perspective programmatique, les travaux innovants et la formation des jeunes seront interrompus, menaçant dangereusement l’avenir à plus long terme.

Cette situation est la conséquence d’un choix d’orientation budgétaire du gouvernement. On ne peut que constater l’énorme fossé entre le milliard d’euros du plan d’investissement France 2030 pour les acteurs émergents du spatial et l’incapacité du CNES à engager ne serait-ce que quelques dizaines de millions d’euros sur les prochaines années pour élaborer des réponses aux priorités scientifiques énoncées lors du dernier exercice de prospective scientifique du CNES en 2019. Alors que l’on peut comprendre la volonté politique que l’expertise spatiale française développée depuis de nombreuses années au CNES et dans les laboratoires bénéficie à de nouveaux acteurs susceptibles de dynamiser l’économie dans ce secteur, ces choix budgétaires disproportionnés ignorent que les succès obtenus s’appuient sur une expertise construite par de très nombreuses années d’investissement en recherche et technologie, et reviennent à renoncer à maintenir les compétences et expertises ayant permis à la France d’avoir un rôle de premier plan dans la recherche spatiale.

Il est aujourd’hui nécessaire de rappeler à quel point la recherche spatiale est essentielle pour la science fondamentale et appliquée, pour l’instrumentation innovante, pour l’apport de solutions dans le domaine de l’environnement, et comme maillon clef pour la formation des acteurs émergents. Nous ne pouvons qu’exprimer notre incompréhension et désaccord au fait que le grand plan d’investissement pour le spatial prévu par le gouvernement ignore volontairement une composante essentielle de la filière spatiale française, la recherche, qui a été et devrait rester un acteur stratégique pour préparer les futures grandes évolutions du domaine.

Cette tribune est écrite par les représentants de la communauté scientifique dans les groupes thématiques du CNES, et signée par les chercheurs et ingénieurs de  laboratoires impliqués dans la recherche spatiale. La liste des signataires est accessible ici.

1 https://www.jwst.fr

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