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Une situation de travail dégradée
Nombre d’enquêtes soulignent la dégradation de la santé au travail. L’actualité ne cesse d’être nourrie par ces drames humains que sont les suicides au travail. Combien d’autres souffrances ? Dépressions, dopages, arrêts cardiaques…
La souffrance psychique au travail est fortement corrélée avec le fait de ne pas dis- poser des moyens pour faire un travail de bonne qualité. Le travail ordinaire tend à devenir une épreuve qu’on ne surmonte plus qu’à un coût psychique démesuré et mal reconnu. Les salariés de l’encadrement sont tout particulièrement concernés.
Les organisations du travail développées ces 30 dernières années ont sollicité les salariés comme jamais auparavant : formations, technicité, expérience, savoirs, traitement des données… A la complexité des outils techniques s’est ajoutée une intensification des rythmes de travail permise non seulement par la technologie, mais organisée pour atteindre des résultats de plus en plus élevés en termes quantitatifs et qualitatifs.
Pour les cadres et les techniciens, cette intensité donne lieu à une charge mentale élevée, renforcée par l’extension des horaires de travail, des forfaits jours, les rythmes de travail et la pression des objectifs à atteindre. Les sociologues parlent de « déprotection des cadres », trop sollicités, de temps de travail saturé.
Le capitalisme contemporain est, avec l’exigence de ses actionnaires et des marchés financiers, l’obstacle à la réalisation d’un travail bien fait, émancipateur, utile socialement et économiquement. Au 21ème siècle se creuse le fossé entre ceux qui vivent de leur travail et ceux qui en tirent profit.
L’enquête « Votre travail, comment le voulez-vous ? », réalisée par l’UGICT-CGT fin 2008, auprès des cadres et techniciens exerçant des métiers divers dans le privé et le public, a révélé une réalité partagée de la situation du travail, une inquiétante montée du stress et de la souffrance induits par une organisation du travail qui tue le travail. Pression du résultat et de son évaluation, pression permanente du court terme, objec- tifs stratégiques contraires à de saines pratiques professionnelles, individualisation des performances, renouvellement permanent des projets et des organisations, des postes de travail, négation de la technicité, réduction des marges de manœuvre…
Ce bilan fourni par cette consultation reste d’actualité. Il est d’ailleurs confirmé par les conclusions du rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail remis le 11 avril 2011 à Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Ce rapport qui sera présenté à la réunion du COCT (Conseil d’Orientation des Conditions de Travail) du 19 avril indique six types de facteurs de risque au travail : intensité du travail et temps de travail, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, mauvaise qualité des rapports sociaux au travail, souffrance éthique, insécurité de la situation de travail.
Pouvoir réaliser un travail de qualité
Les salariés cadres et techniciens ne peuvent plus travailler comme ils le souhaiteraient. Ils n’ont plus les moyens de réaliser un travail de qualité. Ce qui est en souffrance, c’est effectivement la qualité du travail humain.
La réponse à l’explosion des pathologies liées à l’exercice du travail qui frappe tout particulièrement l’encadrement, ce n’est donc pas la gestion du stress, mais la nécessaire transformation de l’organisation du travail et le développement de la prévention qui suppose le développement de la médecine du travail et un pouvoir d’intervention réel des CHSCT en lien avec les organisations syndicales. Cela implique de promouvoir un management alternatif à celui qui partout aujourd’hui choisit la rentabilité financière contre le travail.
Pénibilité pour les cadres et les techniciens
L’approche de la pénibilité est fondée aujourd’hui sur une division du travail : travail d’exécution/travail de conception et les conséquences qui en découlent en terme de santé : il y aurait une pénibilité physique pour le travail ouvrier et une pénibilité mentale pour le travail de l’encadrement. Cette vision tout en accentuant le clivage entre salariés nie en fait la reconnaissance que dans tout acte de production il y a un travail d’élaboration, un travail mental.
Aux contraintes physiques plus connues, les méandres des nouvelles organisations du travail ont fait découvrir les contraintes mentales. La notion de pénibilité liée au métier, conquête collective de 40 ans de lutte et de connaissance sur le travail humain, est remise en question par une reconnaissance individualisée, reliée non pas aux contraintes du métier, mais au degré d’usure du salarié, en fonction donc de sa
réponse historique, médicale, individuelle, aux facteurs de risques professionnels auxquels il a été exposé. La reconnaissance de la pénibilité mentale et psychique en est exclue, alors que les conséquences en santé mentale des formes de travail contemporain liées à l’organisation sont devenues aujourd’hui une des préoccupations majeures dans le champ des recherches des pathologies professionnelles.
Prévention avant réparation
Le bien-être au travail et l’exercice d’un travail épanouissant et responsable passent par une politique de prévention négociée avec l’employeur qui tienne compte :
– de l’organisation du travail : rythmes et maitrise du temps de travail, charge de travail, marge de manœuvre ;
– de la définition collective des objectifs et des moyens nécessaires ;
– de la construction d’un autre mode de management respectueux du travail fondé entre autre, sur la revalorisation des collectifs et la coopération contre l’isolement et la mise en concurrence des salariés ;
– de la nécessité de disposer de temps et d’espace pour échanger sur son travail ;
– de la reconnaissance et du paiement de la qualification.
Toutes les pénibilités physiques et psychiques doivent être reconnues et réparées. Leur inscription dans le document unique d’évaluation des risques doit nous obliger à construire avec les salariés concernés un plan de prévention et à nous fixer l’objectif de les supprimer.