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Pourtant, les décisions prises au niveau européen ou plus généralement au niveau international impactent directement nos conditions de travail. Même lorsque les textes internationaux ne sont pas d’applicabilité directe, ils peuvent servir d’appui aux juridictions nationales et notamment à la Cour de Cassation Sociale pour entrer dans le droit français par la voie de la jurisprudence.
Citons quelques exemples :
- – En 2008, la cour de cassation s’est opposée à ce qu’un salarié tenu au respect d’une obligation de non concurrence soit privé de la contrepartie financière associée, et cela au motif qu’il a été licencié pour faute grave. Pour rendre ce jugement, la cour s’est appuyée sur l’article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels selon lequel « toute personne a le droit d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté » !
- – Citons un autre exemple d’une plus grande portée ! Après les luttes qui ont mené à la fin du Contrat Première Embauche en 2006, le gouvernement a essayé de rester sur la même logique de précarité à travers le Contrat Nouvelle Embauche que nous avons combattu syndicalement mais qui n’a pas donné lieu aux mêmes mobilisations de masse. Pourtant, ce type de contrat a finalement été banni par une décision de la cour de cassation en 2008, décision qui s’est appuyé sur l’article 4 de la convention numéro 158 de l’Organisation Internationale du Travail selon lequel « un travailleur ne peut être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à son aptitude ou à sa conduite ou fondé sur les nécessités de fonctionnement …. »
- – La Cour de Justice Européenne rend elle aussi des jugements dont les conséquences sont considérables dans le paysage social. On peut citer les arrêts Laval et Viking qui, dans un contexte transnational, ont les premiers énoncé l’idée que le droit de grève est bien un droit fondamental mais pas aussi fondamental que les dispositions de l’Union Européenne sur la libre circulation ou la liberté des entreprises de s’installer et/ou de proposer des services (source Confédération Européenne des Syndicats). De telles décisions de la Cour de Justice Européenne vont à l’encontre de notre combat syndical contre les politiques de délocalisation et de dumping social à l’intérieur de l’Union Européenne. Pour renverser cette tendance, il y a nécessité d’obtenir, au niveau européen, une « clause pour le progrès social” qui stipulerait clairement que le Traité, et notamment ses libertés fondamentales, seront interprétées dans le respect des droits fondamentaux et notamment de l’action collective. Il nous faut également nous montrer particulièrement attentifs sur les textes européens relatifs aux travailleurs détachées et/ou intérimaires, nombreux également dans les catégories ICT.
Ce lien entre textes internationaux et droit social français revient dans l’actualité de ce mois de juin 2011 à travers la question des forfaits jours. Depuis 2001, le Comité Européen des Droits Sociaux a déjà rappelé à trois reprises que les forfaits en jours tels que définis dans le droit français n’étaient pas conformes aux textes européens. Pour rendre ces décisions, le comité s’appuie sur la charte sociale européenne qui impose une « durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire » ainsi que « le droit des travailleurs à un taux de rémunération majoré pour les heures de travail supplémentaire ». Fin 2009, cette charte a été intégrée au Traité de Lisbonne, ce qui donne une portée nouvelle à ses dispositions.
Sur un plan purement juridique, la directive européenne qui fait référence en matière de temps de travail est la directive 2003/88 selon laquelle « la durée hebdomadaire du travail ne peut excéder 48 heures ».
Des exceptions sont prévues pour les cadres dirigeants et les « personnes ayant un pouvoir de décision autonome », expression suffisamment ambiguë pour permettre aux employeurs français de généraliser l’exception ! Aujourd’hui les contrats en forfait jours sont pour le moins en insécurité juridique et, en tout état de cause, quelle que soit l’interprétation que l’on peut faire de la directive sur le temps de travail ou quelle que soit son évolution, il n’en reste pas moins que des dispositions qui s’inspirent d’une directive ne sont pas soustraites aux principes de la charte !
Les textes européens sur le temps de travail sont nombreux et ils sont plutôt plus favorables que le droit français, notamment pour nos catégories. Face à l’inertie du législateur français depuis les premières alertes du Comité Européen des Droits Sociaux il y a bientôt 10 ans, on peut aujourd’hui espérer que le forfait jours soit enfin remis en cause par la voie de la jurisprudence s’appuyant sur les textes européens. La décision à venir de la cour de cassation pourrait changer la situation de milliers de cadres. Réponse à la fin du mois !