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Mais la contribution de la recherche scientifique à la société ne doit pas remettre en cause son indépendance et sa rigueur. Elle doit être libre de l’influence des lobbys qui voudraient en influencer les résultats pour servir les intérêts qu’ils défendent. Dans notre pays, recherche et enseignement supérieur sont indissociables. L’organisation des disciplines et cursus a notamment pour but de former par et pour la recherche. Cette imbrication réciproque entre enseignement supérieur et recherche permet de dispenser des formations scientifiques et techniques de haut niveau associées à une capacité d’analyse favorisant l’émergence d’un esprit critique dont la finalité est l’émancipation des citoyens.
Si l’Enseignement supérieur et la Recherche ont pour débouché naturel, l’éducation et la recherche en assurant le renouvellement de leurs propres acteurs et en formant les citoyens, ils irriguent également tous les secteurs de la société en formant en nombre les cadres et techniciens nécessaires à leur fonctionnement et développement. On ne doit pas séparer les trois aspects indissociables qui fondent le travail de la communauté scientifique et lient cette dernière à la société : l’élaboration des savoirs, leur transmission et lorsque c’est possible et souhaitable leur transfert vers l’innovation.
On ne peut pas pour autant tout attendre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche publique (ESR). Le besoin que les travaux de la recherche irriguent au mieux les activités de travail de la société ne signifie pas que la recherche et l’enseignement supérieur sont « la » solution aux crises, ni à « la » crise. Les chercheurs ouvrent des possibles, proposent des outils dont l’appropriation sociale dépend des choix politiques et économiques de la société, pas du travail des chercheurs. L’enseignement supérieur et la recherche ne peuvent être tenus pour responsables des abandons et délocalisations d’activités des entreprises dont les choix doivent être interrogés. Ils ne sauraient servir les intérêts particuliers, ayant besoin d’universalité pour pouvoir coopérer.
La recherche publique ne peut se substituer à la recherche privée, ni prendre le risque d’être asservie par un secteur privé structurellement déficient en la matière. La course à la compétitivité entre entreprises et/ou pays, voire régions ou métropoles, et ses conséquences est une problématique sociale, économique et politique. Les activités de recherche et d’enseignement supérieur ne peuvent en être ni les arbitres, ni les otages. Elles doivent au contraire contribuer à l’égalité des chances pour tous les citoyens dans l’accès pour le plus grand nombre et au plus haut niveau possible aux connaissances scientifiques et aux compétences professionnelles qui en sont issues.
Tout recul dans ce qui fait l’essence de la recherche par rapport aux autres activités de travail est autant nuisible pour ces dernières que pour la recherche elle-même. Au final, cela affaiblit les capacités de l’humanité et du pays à assurer durablement leur développement. Ainsi, les exigences qui valent pour le travail de recherche le plus fondamental, valent aussi pour la recherche appliquée et jusqu’au cœur même du travail d’interface entre recherche et entreprise. Les mêmes démarches doivent y être appliquées.
Les rapports recherche publique/entreprises sont mis au cœur du débat économique depuis 2000 mais pour une interface efficace, encore faut-il que les entreprises répondent présent. Or l’effort privé de recherche est singulièrement faible dans notre pays (France : ~1.36% du PIB; Allemagne : ~2% du PIB). Pour la CGT, c’est cette réalité qui doit être au cœur des réflexions.
Toute nouvelle loi sur l’ESR doit s’accompagner de mesures législatives visant à amener les entreprises et les branches patronales à renforcer et financer durablement leurs activités de recherche parallèlement simultanément aux efforts engagés par la puissance publique. Leur responsabilité sociale et civile passe par là. Une réforme cohérente de l’enseignement supérieur et de la recherche doit donc s’articuler autour d’une loi d’orientation et de programmation.
Nos propositions partent de l’analyse de ce contexte, du maigre bilan des pôles de compétitivité, du pacte de la recherche et du crédit impôt recherche. Elles proposent de repartir des quelques points d’appui dont dispose notre pays pour repenser l’interface recherche publique/entreprise, relancer la recherche privée et assurer les dynamiques dont notre recherche publique a besoin après le désastre des réformes du précédent quinquennat et des politiques qui l’ont précédé.
1. Le contexte européen, national et régional
La loi sur l’ESR ainsi que l’agenda stratégique France Europe 2020, base de la future Stratégie Nationale de la Recherche et de l’Innovation (SNRI), s’inscrivent directement dans la politique de Cohésion de l’Union Européenne et son programme cadre de recherche Horizon 2020. Ainsi, l’organisation du paysage de l’ESR devrait s’articuler avec la stratégie de « spécialisation intelligente » développée par les régions et les objectifs des transferts de la recherche publique pour la création d’emplois devrait être élargis à l’ensemble du territoire de l’Union et non pas seulement sur le territoire national.
Le respect des règles du commerce international mises en œuvre en Europe interdit les aides directes des états aux entreprises dans la mesure où ces aides risquent de fausser la concurrence (article 107 du Traité de fonctionnement de l’UE). Echappent à cette interdiction, les aides « destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi, ainsi que celui des régions visées à l’article 349, compte tenu de leur situation structurelle, économique et sociale ». Il faut d’ailleurs noter que cette réglementation complexe rend difficile l’utilisation des aides FEDER (Fonds européen de développement régional). De même, les aides à la recherche échappent à cette notification, ce qui explique certainement que les subventions accordées aux entreprises passent de façon privilégiée par la recherche via le CIR (Crédit Impôt Recherche)
Ainsi, le processus de régionalisation qui transforme aujourd’hui considérablement l’ESR et l’enjeu qu’il semble désormais représenter pour les pouvoirs et acteurs politiques régionaux, pourraient constituer un moyen de contournement pour s’affranchir des règles en matière de commerce international. Donnant ainsi la possibilité au capital de récupérer les fonds publics lui permettant de garantir la rentabilité financière attendue – et exigée – par les actionnaires dans un monde où la concurrence soumet la compétitivité à rude épreuve.
Le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ne doit pas être au service de la compétition exacerbée entre les territoires (compétition qui va connaître une nette accélération avec l’acte III de la décentralisation et l’organisation de régions et de métropoles), mais doit au contraire être l’un des éléments moteurs de leur développement multidimensionnel (intellectuel, économique, social et environnemental). Le développement équilibré des territoires repose non sur une concentration des moyens humains et financiers sur quelques pôles dits d’excellence, mais sur un maillage territorial de ce service public avec le maintien, voire le développement des établissements de proximité, des relations de coopération (et non de substitution ou de concurrence) entre recherche publique et recherche privée, entre cursus de formation et entreprises du territoire.
2. Des résultats de la recherche au transfert ?
En dehors de la loi actuellement proposée et dans le cadre du pacte de compétitivité, le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur a défini en novembre 2012 la notion de transfert technologique comme une des responsabilités incombant à la recherche publique.
Il y est indiqué : « A ce titre, les enjeux du transfert technologique ne se confondent pas avec ceux de la R&D. La R&D vise en effet à l’acquisition de connaissances nouvelles et leur mise en œuvre ou démonstration sous la forme de prototype de recherche et d’actifs de propriété intellectuelle (brevets, matériel biologique, logiciels, etc.) tandis que le transfert consiste à la transformation ou l’intégration de résultats de R&D en produits ou services sur un marché ». La politique proposée se structure autour de 15 mesures pour refonder la politique de transfert de la recherche publique. Le ton est donné autour des technologies génériques clés (KETs) considérées comme les leviers essentiels de la compétitivité industrielle en Europe. L’étape intermédiaire entre la recherche technologique et la production industrielle constitue aujourd’hui le maillon faible. Elle doit être assistée par les Etats et l’Europe, car les industriels trouvent le risque trop lourd et ne veulent pas le porter seuls ! Mais partageront-ils les profits après le risque ? Pour le moins, ces mesures et cette mission de transfert technologique auraient dû être soumises à la critique du débat parlementaire à l’occasion de l’examen du projet de loi ESR, tant elles touchent aux missions fondamentales des personnels de la recherche publique. La recherche ne se réduit pas à la recherche technologique ! Des pans entiers de la recherche publique poursuivent des finalités de connaissance, de formation, d’information, d’examen des évolutions sociales et culturelles indispensables à la société. Les moyens s’y afférant ne sauraient être détournés de ces finalités par cette nouvelle mission de transfert.
Les mesures de la nouvelle loi avec cette mission de transfert représentent de notre point de vue un pas de plus vers l’instrumentalisation économique à court terme de la recherche publique. Ce n’est pas sur une telle base que l’on pourra construire une interface recherche-industrie équilibrée et durablement efficace. Nous considérons que détourner toujours plus les chercheurs de leur mission de recherche pour des missions de valorisation financière affaiblit la science elle-même et contrevient à long terme à l’innovation pourtant espérée.
Former des chercheurs ne fait sens que s’ils consacrent une grande partie de leur carrière professionnelle à la recherche. La science se nourrit autant du temps de l’expérience et de la transmission de cette expérience que de la fougue des débuts de carrière. L’apport de la science à la société se joue dans la transmission pédagogique des savoirs à l’ensemble de la population et dans le développement de structures dédiées à l’interface recherche-entreprises, et non dans le détournement de la mission des chercheurs.
3. Dispositifs d’interface actuels
La politique du gouvernement actuel est dans la continuité de celle des gouvernements passés : une politique de dégrèvements fiscaux massifs par le biais du Crédit Impôt Recherche et la mise en place de structures qui sortent des règles communes du service public.
Nous estimons que l’ensemble des dispositifs d’interfaces recherche-entreprises doit faire l’objet d’un réel bilan et d’une nouvelle analyse en profondeur.
Il faut interroger les raisons de la mise en place des nouveaux dispositifs, initiés par les précédents gouvernements, tels que les SATT (Sociétés d’Accélération de Transfert de Technologie), les IRT (Instituts de Recherche Technologique) et les pôles de compétitivité. Ils ont tous été conçus de manière à sortir des règles communes du service public, tant en terme de comptabilité que de statut des personnels. Ce qui est pour la CGT inadmissible, d’autant qu’ils s’appuient sur les forces et les moyens de la recherche publique. Critiqués, y compris par une partie du patronat, leur autonomie juridique rend tout contrôle réellement difficile et leur efficacité aléatoire pour la collectivité. De plus, ils accaparent aujourd’hui bon nombre de financements alors que les RDT (Réseaux de Diffusion Technologique), les CRT (Centres de Ressources Technologiques), les CDT (Centres de Diffusion Technologique), les CRITT (Centres Régionaux d’Innovation et de Transfert Technologique), … qui sont autant de structures publiques ou para-publiques dans lesquelles la recherche appliquée s’exerce, sont pour la plupart à l’agonie. Il est probablement nécessaire de les repenser et d’en améliorer le fonctionnement, mais il serait désastreux de les remplacer par une nouvelle machinerie qui produit d’abord des postes de gestionnaires et de financiers et n`augure en rien une meilleure efficacité.
4. Redynamiser, conforter, améliorer les structures et dispositifs efficaces
Ce contexte ne saurait nous faire oublier qu’il existe de longue date des interfaces recherche-entreprise qui ont fait leur preuve.
Ainsi, les grands organismes (INSERM, INRA, CEA…), dédiés au développement des recherches dans des domaines spécifiques, ont, depuis leur création, démontré largement leur efficacité pour doter le pays et ses entreprises des connaissances et des technologies nécessaires pour répondre aux besoins sociaux et économiques, participer à de grands et moins grands programmes scientifiques ou technologiques. Ils souffrent aujourd’hui d’un affaiblissement de leurs moyens humains et financiers. Ils souffrent de l’introduction de méthodes managériales mangeuses du temps réel de recherche, de la liberté et de la capacité d’inventivité dont les chercheurs ont besoin.
Dans leurs relations avec les entreprises, ils sont de plus en plus souvent face à des managers chefs de projet. De manière générale, les entreprises ont une fâcheuse tendance à considérer les organismes comme de simples prestataires de services. En parallèle, la réduction des moyens financiers de base de ces organismes leur impose de développer des travaux de prestation, sources de financements complémentaires.
Les établissements publics (EPST, EPIC, EPA, …) disposent de tout un arsenal qui permet de donner un cadre juridique satisfaisant aux collaborations public-privé, comme la possibilité de créer des équipes ou des laboratoires communs avec le monde économique. Ces laboratoires communs permettent d’inscrire dans la durée, la collaboration autour d’objectifs partagés entre les organismes et les entreprises.
Ces établissements publics disposent également de plates-formes technologiques dans des domaines variés, ouvertes aux collaborations externes. Le réseau des Instituts Carnot représente à ce titre une initiative intéressante. Le principe consiste à abonder les financements récurrents des institutions qui développent un partenariat important avec le secteur des PME. Cet abondement vise non seulement à financer la recherche contractuelle, mais aussi le ressourcement scientifique dans une optique de pérennisation des compétences scientifiques et technologiques des laboratoires labellisés Instituts Carnot.
5. Les pôles de compétitivité
5.1.Les pôles aujourd’hui
Ce que nous retenons principalement des deux évaluations menées depuis la création des pôles de compétitivité, c’est qu’ils n’ont pas atteint, après 7 ans d’existence, leurs objectifs premiers qui étaient d’être les outils « fer de lance » de l’innovation pour accroître l’investissement R&D de la sphère privée et notamment celui des PME-PMI.
Dès le départ, nous n’avons pas été favorables à la mise en œuvre de tels outils dans leur forme actuelle. En effet, d’une part, ils n’assuraient pas une représentation équilibrée du triptyque « formation – recherche – monde économique », d’autre part, ils ne permettaient pas aux représentants des salariés d’y être force de proposition. Aujourd’hui, la place des salariés n’y est toujours pas reconnue et les rapports entre grands groupes et PME y sont trop marqués par la domination desdits grands groupes. Au final, les pôles constituent le plus souvent un réseau d’entreprises dont le principal objectif est de tirer le meilleur parti des subventions publiques, en effectuant un lobbying intense auprès des pouvoirs publics. Par ailleurs, et comme leur nom l’indique, ils contribuent à la concurrence exacerbée des territoires, des universités, voire des salariés entre eux (labellisation de projets). Ils servent également de laboratoire social au patronat pour précariser et affaiblir le code du travail.
5.2. Quelle transformation des pôles de compétitivité ?
Comme « Le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi », récemment présenté par le gouvernement, parle de réorienter les pôles de compétitivité, nous proposons donc, de les transformer en véritables pôles de coopération et de développement territorial au service du fonctionnement de l’interface recherche-industrie.
Le principal objectif de ces pôles de coopération et de développement territorial serait de permettre aux PME-PMI-ETI, qui disposent de peu de moyens (financements, capacités, temps…) à consacrer à la recherche de moyen et long terme, d’accéder aux fruits de ce type de recherche et aux compétences nécessaires. Il s’agirait d’y développer une activité de recherche collaborative, en régions, entre le monde économique, l’Enseignement Supérieur et la Recherche, les centres techniques industriels, dans le cadre d’une gouvernance équilibrée, qui offrirait une place significative aux PME-PMI-ETI et aux représentants des salariés.
Les besoins d’expertise, de supports technologiques ou scientifiques des entreprises, de même que l’ensemble des connaissances disponibles pourraient ainsi être évalués au niveau des pôles. Ils participeraient aussi à l’évaluation des grands axes de recherche dans les domaines qui les concernent, sans toutefois en imposer les orientations.
Par exemple on pourrait imaginer que sur le territoire soient constitués plusieurs pôles de coopérations et de développement territorial dans lesquels les grands organismes de recherche, les grands groupes industriels publics, les centres techniques industriels, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, voire toutes les grandes entreprises qui le désirent, mettraient à disposition des PME-PMI-ETI, l’actualisation des connaissances de bases acquises lors de leurs efforts « propres » de R&D « moyen-long terme ». Cela passe aussi par le recrutement de docteurs et jeunes techniciens, formés par et pour la recherche, capables d’exploiter pleinement ces connaissances.
Charge à ces PME-PMI-ETI d’intégrer les compétences nécessaires aux transferts recherche – industrie, par l’intermédiaire si nécessaire de prêts bonifiés issus des fonds publics existants ou à créer (FUI – Fonds Unique Interministériel, fonds de formation, financements provenant des collectivités territoriales, BPI – Banque publique d’investissement, Caisse des dépôts, …). Elles pourraient développer les produits spécifiques à leur marché en combinant coopération sur le long terme et projets collaboratifs ciblés et de courte durée.
Bien entendu, toute entreprise s’insérant dans ce dispositif devrait être soumise à des accords de confidentialité et de Propriété Intellectuelle (à définir en commun) et à des clauses de développement d’emplois sur le territoire. Toute réussite sur le plan commercial des produits issus de ces coopérations devra être bénéfique à l’ensemble des partenaires, entreprises et laboratoires de recherche publics (brevets, redevances, allocations, alimentation de fonds de financement, …).
Ce mode de fonctionnement se doit d’être adapté à tout nouvel outil d’interface créé et notamment aux nouvelles plates-formes mises en place sous l’égide du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique et aux énergies alternatives).
6. La fiscalité
6.1. Crédit Impôt Recherche (CIR)
La CGT considère que le Crédit Impôt Recherche (CIR), dans sa forme actuelle, ne doit pas perdurer.
En moins de 3 ans, la réforme de l’assiette du CIR a fait passer celui-ci de quelques centaines de millions à plus de 5 milliards. Cette hausse ne s’est pas traduite par une augmentation en conséquence de l’effort de recherche de la sphère privée. Le CIR profite surtout aux grandes entreprises dont certaines ont créé des filiales spécialisées pour collecter le dégrèvement fiscal.
Nous préférons que le tissu industriel et notamment les PME-PMI-ETI soit réellement soutenu sur le moyen-long terme par des aides plus directement ciblées (contrats de recherche sur des projets identifiés dans le cadre d’objectifs nationaux, création de laboratoires communs, partenariat avec les pôles de compétitivité et/ou les centres techniques industriels, soutiens bancaires, crédits bonifiés).
Toutefois, tout en maintenant son opposition de principe au CIR, la CGT considère que, si cette forme d’aide est maintenue, il faut a minima la réorienter ! Nous estimons notamment que les critères d’attribution du CIR doivent être attachés essentiellement au développement de l’emploi, à la ré-industrialisation, à l’accroissement des investissements de la sphère privée dans le secteur de la R&D et à la réponse aux besoins de la nation. La transparence la plus totale doit également être de mise, tant sur les procédures d’attribution que sur l’utilisation des crédits publics. Le secret industriel ne doit en aucun cas être un paravent permettant la dissimulation. De même, il faut faire en sorte que la plus grande partie de ce type d’aide bénéficie aux PME-PMI-ETI.
6.2. Instituer une cotisation patronale de « contribution sociale au développement à la recherche privée »
L’entreprise, en tant que collectif de travail, se doit d’assurer au mieux son développement et celui de sa branche. De même qu’il est nécessaire qu’elle participe au développement de la formation professionnelle continue, en interne, et de la formation professionnelle initiale, en externe, l’entreprise se doit de développer en propre un effort de recherche en rapport avec sa taille et sa puissance économique, et participer au développement d’une recherche privée mutualisée et socialisée.
Pour remplacer le CIR, il conviendrait donc d’instituer une « contribution sociale à la recherche privée » sur le modèle de ce qui existe en matière de financement de la formation professionnelle.
Chaque branche devrait disposer d’une ou plusieurs structures de recherche mutualisée, les entreprises financeraient celles de leur choix sur le modèle de la taxe d’apprentissage. Des dispositifs paritaires de suivi de l’activité de ces structures mutualisées devraient être institués au niveau des branches. À défaut, la contribution de la branche serait affectée à la recherche publique. Les CE se verraient de leur côté attribuer des droits sur le modèle de ceux qui existent dans ce domaine de la formation professionnelle et de la taxe d’apprentissage.
Les centres techniques mis en place de longue date par certaines branches pourraient servir de modèle, même si depuis quelques années nous constatons un certain désengagement de la part du patronat. La vocation de ces structures serait double. Elles pourraient être un lieu d’expertise technologique et scientifique pour les entreprises, voire les filières industrielles. Elles pourraient être un vecteur important de la diffusion des avancées scientifiques et de leur appropriation par les PME et ETI, en utilisant tous les moyens existants de coopération avec les organismes de recherche publics. Le personnel serait recruté à la fois par les entreprises et par les organismes publics, chacun conservant son statut, ce qui permettrait un réel brassage de compétences.
Leur gouvernance devrait inclure une représentation des organisations syndicales représentatives dans la branche (ou la filière) considérée et la présence de représentants des organismes de la recherche publique. Ces centres seraient évalués au même titre que les structures de la recherche publique, selon des modalités adaptées à leur mission.
Les 20 milliards de crédit impôt pourraient être transformés en partie en fond d’aide à la création de ces structures de recherche privée mutualisée.
7. Le développement de la recherche privée passe par l’emploi qualifié.
7.1. Maintenir l’expertise
L’ensemble des mesures proposées en termes d’innovation doit être examiné à l’aune de deux critères ; sont-elles de nature à favoriser l’emploi qualifié, sont-elles de nature à favoriser l’investissement ? Un certain nombre d’entre elles ne nous apparaissent conçues que pour renforcer une compétitivité financière, dont personne ne nous garantit qu’elle se mettra spontanément au service de l’emploi et du développement des territoires.
Nous insistons par ailleurs sur la nécessité de maintenir et de développer dans les entreprises une expertise technique et scientifique. Actuellement le risque est grand d’assister dans de nombreux secteurs industriels à de grandes difficultés de remplacement des futures vagues de départs en retraite. Dans nombre de grandes entreprises, de nombreux experts n’ont pas été remplacés, souvent après les privatisations. Ceux qui pensent que la recherche industrielle et l’expertise peuvent être transférées au secteur public sous-estiment gravement le fait que les scientifiques du secteur public sont déjà largement sollicités par la lourdeur des procédures mises en œuvre par le précédent gouvernement.
Par ailleurs, on peut noter que de nombreuses demandes d’expertises sollicitées auprès de chercheurs de la recherche publique commencent à déborder le cadre de la recherche spécialisée pour devenir de la consultance de niveau ingénieur généraliste. Le même phénomène est noté par les centres techniques qui petit à petit n’ont souvent plus le temps de se consacrer à la recherche technologique de branche, tant les demandes d’expertises « simples » deviennent nombreuses. Ce type de consultance est la conséquence de la perte de savoir scientifique dans les entreprises qui ont largement privilégié les compétences managériales des ingénieurs recrutés.
Les structures de recherche privée mutualisée préconisées ci-dessus devraient permettre de répondre à ces besoins qui sont réels. Elles pourraient en particulier assurer le suivi du recrutement des docteurs en entreprise.
7.2. Le rôle des docteurs dans l’industrie : Vecteur de la recherche
Il faut développer et conforter les docteurs dans ce rôle de vecteur de la recherche vers l’industrie.
Les délais qui séparent une découverte de sa traduction dans la production se sont rapprochés, de telle sorte que l’efficacité et la compétitivité du monde économique dépendent de plus en plus de la capacité des entreprises à intégrer cette transition. Or cette transition nécessite que l’entreprise fasse un effort accru pour s’accorder aux exigences du travail scientifique. Le recrutement de jeunes docteurs formés par et pour la recherche doit permettre d’établir des passerelles entre recherche et industrie, de renforcer les coopérations au niveau national, européen et international.
Conforter les docteurs dans leur rôle de vecteur de la recherche vers l’industrie est très certainement le moyen le plus efficace pour amener de plus en plus la sphère privée à participer à l’effort de recherche nationale. C’est un vecteur capable de démontrer aux dirigeants d’entreprises que la recherche ne se cantonne pas à une vision de court terme, que l’innovation ne se décrète pas mais qu’elle est le fruit de la progression du « front des connaissances » issu d’une recherche à large spectre et menée sur le moyen et long terme.
De même, le développement de technologies de plus en plus complexes impose de solidariser le plus souvent tous les secteurs d’activités (sciences humaines et sociales, sciences et techniques, industrie, agriculture, santé, éducation, économie, politique…). L’accroissement très important de la productivité du travail qui depuis quelques décennies transforme le travail lui-même au point d’en affaiblir le sens, nécessite que les entreprises ne cantonnent pas leur domaine de recherche aux créneaux de leurs activités économiques et commerciales. Pour améliorer son efficacité aussi bien sur le plan technique que sur le plan social et sociétal, le monde de l’entreprise doit élargir et diversifier au maximum son horizon R&D. Et c’est aussi par les docteurs que la solution passe.
La place des docteurs dans la construction de nouveaux rapports entre la recherche et l’entreprise, et plus largement le monde économique, est donc primordiale ! La CGT demande à ce que soit instaurée rapidement une politique volontariste et très incitative pour faciliter l’embauche des docteurs dans l’entreprise. Politique qu’il faut percevoir comme un investissement à long terme. La reconnaissance du doctorat dans toutes les conventions collectives est impérative !
Il faut créer les conditions d’une irrigation des entreprises et plus particulièrement des PME –PMI-ETI par les docteurs (bien entendu hors des chemins de la précarité). Par exemple en reliant directement les aides à la recherche octroyées aux entreprises au niveau de recrutement de docteurs. De même, le recrutement de doctorants en entreprise pourrait être associé à l’obtention de contrats de collaborations avec des organismes publics de recherche et d’enseignement supérieur.
7.3. Quelles applications concrètes de la charte européenne des chercheurs ?
De nombreux organismes publics de recherche ont souscrit à la charte européenne des chercheurs. Force est de constater qu’ils n’ont pas pour autant fait reculer la précarité, ni permis de revaloriser la reconnaissance des qualifications. Il s’agit donc de concrétiser cette adhésion à la charte par une politique concrète. Cela passe de toute évidence par une transformation massive et rapide des emplois précaires des jeunes doctorants et post-doc en emplois statutaires.
La recherche privée ne saurait rester en dehors du cadre minimum tracé dans cette charte. Cela vaut notamment vis-à-vis des dispositions concernant « l’Engagement vis-à-vis de la société », la « Stabilité et continuité d’emploi », l’évaluation, la reconnaissance et la rémunération.
8. Le développement de la recherche privée passera par une mobilisation des instances représentatives dont disposent les salariés du privé.
L’entreprise ne se limite pas à une société d’actionnaires. L’entreprise est d’abord un collectif de travail. À ce titre, le législateur a défini des droits au niveau des Comités d’Entreprises (CE) pour donner quelques moyens d’intervention et d’expression aux salariés sur la gestion et la stratégie de l’entreprise.
La politique de recherche de l’entreprise est un élément essentiel de cette stratégie. Les droits des CE dans ce domaine doivent être développés.
Le CE devrait être informé et consulté sur les travaux de recherche de l’entreprise. Cette information et cette consultation ne sauraient se limiter à des données économiques (nombres de chercheurs, de bourses CIFRE, budget R&D…), elles doivent donner une grande place aux aspects qualitatifs des activités de recherche de l’entreprise.
Par exemple, pour les thèses : thème, objectifs, durée, résultats et perspectives doivent faire l’objet d’une information.
Tout contrat ou programme de recherche entre une entreprise et un laboratoire de recherche doit faire l’objet d’une information au CE : cadre, budget, thème, durée, perspective pour l’entreprise, équipes travaillant sur le projet. À la fin des travaux, présentation conjointe scientifiques et direction, des résultats atteints, des prolongements et retombées envisagés.
Le CE devrait être régulièrement informé et consulté sur la participation de l’entreprise à la gouvernance des structures de recherche (ANR, pôle de compétitivité etc.…) ou à des programmes mis en place par ces organismes. Les élus devraient être destinataires des rapports et évaluation publiés de ces structures et programmes de recherche.
Cette information permettrait de mieux éclairer les élus du personnel quant aux grandes évolutions technologiques qui vont ou devraient être prises en compte pour assurer un développement socialement et économiquement responsable de l’entreprise. Elle serait conforme à l’esprit des avancées législatives de ces dernières années concernant l’information et la consultation des CE en matière de gestion prévisionnelle de l’emploi et des qualifications ou de l’introduction de nouvelles technologies.
9. Soutien et contrôle public de la recherche privée
Les réformes du précédent quinquennat valent d’abord par les effets d’aubaine qu’elles ont permis aux entreprises. Celles-ci ont pu notamment se désengager de tout effort durable de recherche sur les organismes publics (Industrie pharmaceutique, Alcatel…). Ce constat largement partagé s’est imposé ces derniers temps. Les entreprises ont pu aussi bénéficier d’importants fonds publics sans contrepartie réelle en matière industrielle ou d’emplois. À lui seul le crédit d’impôt recherche dépasse largement le budget du CNRS !
Le financement public sur projet de l’entreprise ou pour l’activité de celle-ci peut être un instrument utile, encore faut-il en garantir une réelle efficacité.
Concrètement il faudrait différencier :
- Les entreprises qui ne possèdent pas de « vrais » laboratoires de recherche (le terme R/D ou innovation sont trop flous) et qui recourent à des partenariats avec la recherche publique.
- Les entreprises qui, à partir d’un projet, cherchent à construire ou à renforcer leur activité interne de « vraie » recherche.
Les entreprises qui structurent des services dédiés explicitement et durablement à la recherche devraient être soutenues par des fonds publics contrôlés.
Il faut réfléchir à des indicateurs pertinents et fiables pour vérifier qu’on est face à une vraie activité de recherche : investissements, emplois associés à la recherche (nombre et qualifications), nature des activités, brevets déposés, nombre de chercheurs publics travaillant en collaboration, mutualisation d’équipements avec des laboratoires publics etc.
Pour ces entreprises, la contrepartie minimale associée à l’obtention de fonds publics pour développer une activité durable de recherche doit être une évaluation régulière du type de celle qui prévaut pour la recherche publique. Des dispositions spécifiques seraient à considérer pour la recherche de nature militaire. Une attention particulière devra être accordée pour veiller au respect de la charte européenne du chercheur. Le CE sera destinataire des résultats de cette évaluation.
Le CE sera également informé des études (objectifs, suivi et résultats) et en particulier, les données économiques (montant des fonds publics, emplois concernés, brevets, retombées en terme d’activité ou de produits) lui seront fournies.
La valorisation de la recherche privée ainsi soutenue pourrait passer par une coopération avec les centres techniques industriels, et/ou par un travail de normalisation des conditions de mise en œuvre des technologies afin d’assurer la sécurité des processus de travail, la sécurité et la santé des salariés et des usagers.
Les entreprises, qui n’ont pas d’activités, de moyens ou de compétences propres de recherche, devraient inscrire prioritairement leurs besoins et leur effort d’innovation dans le dispositif d’interface recherche-entreprise le mieux adapté, à définir notamment avec les centres techniques industriels. Le rôle des pôles de compétitivité serait à considérer dans ce cadre.
10. Des grands programmes
Notre pays a besoin d’une politique industrielle, organisée autour de programmes porteurs intégrant les problématiques du développement durable à l’échelle mondiale. Les transports, l’habitat, l’énergie, les communications, la santé, la culture, l’alimentation, l’environnement … ont besoin de grandes avancées scientifiques et techniques. Le succès des grands programmes français dans l’aéronautique, le spatial, le nucléaire s’est expliqué par la lucidité de la puissance publique sur les enjeux à venir qui a nourri l’ampleur, la continuité et la qualité de l’effort consenti dans la durée, depuis la formation en passant par la recherche fondamentale jusqu’au développement industriel, puis ultérieurement à l’examen critique des expériences et aux réorientations de choix d’investissement.
Nous devons et nous pouvons réemprunter cette voie !
Par exemple la relance de grands programmes mobilisateurs, effectués dans un cadre européen, pourrait servir de socle à une politique commune s’appuyant sur la responsabilité sociale des entreprises afin de favoriser la création d’emplois qualifiés.
Ainsi les alliances, dont les thématiques – Energie, santé, environnement, Technologie de l’information et de la communication, société – revêtent déjà aujourd’hui une importance sociale et économique à moyen et long terme, pourraient être transformées en outils substantiels d’élaboration stratégique de ces grands programmes.
Toutefois ceci ne peut se faire sans certaines adaptations :
Notamment pour les thématiques nécessitant « persévérance, pérennité, compétences de haut niveau, moyens expérimentaux lourds »…, la CGT estime que l’ensemble des moyens publics, nécessaires à la recherche dans le cadre des orientations définies, devraient être directement affectés aux organismes publics concernés, et non dépendre – pour tout ou partie – des multiples guichets (ANR, Programme d’Investissements d’Avenir, FUI…) dont le mode d’attribution reste le projet court terme.
De même, les décisions prises au sein des alliances ne seront pas sans impact sur les salariés et les citoyens. Sans un effort pour mettre en place des espaces de « co-construction » avec les salariés et de dialogue avec les citoyens, l’appropriation sociale des décisions prises risque de rencontrer une inertie voire parfois des réactions technophobes inspirées par l’incompréhension des techniques et des enjeux.
Les acteurs économiques ont bien évidemment leur place au sein des alliances. Il ne peut y avoir de grands programmes mobilisateurs cohérents sur les plans technologique et productif, à la hauteur d’enjeux sociaux et environnementaux ambitieux, s’appuyant sur le développement des connaissances, la démocratie sociale et l’éthique, sans collaboration directe avec le monde économique. Leur présence est nécessaire, mais il ne faut pas leur accorder de droits exorbitants, comme par exemple, en leur offrant toutes les clés de la gouvernance !
11. CNESER et suppression du CSRT ?
Pour nous, il est essentiel que toute réforme de l’ESR conforte les moyens de la société de peser dans les débats et les orientations en matière d’enseignement supérieur et de politique de recherche. Mais désormais la société et les salariés doivent aussi pouvoir faire entendre leur voix (et la puissance publique décider) sur les questions de valorisation et de diffusion des avancées scientifiques dans le monde économique.
Le CSRT représentait de notre point de vue une expérience intéressante pour répondre à cette problématique. Il était un lieu qui essayait de « produire du commun », c’est-à-dire identifier les points d’accords, voire d’acter les désaccords, entre le monde de la recherche et les différents acteurs sociaux-économiques sur tout ce qui touchait aux enjeux socio-économiques de la science et aux besoins scientifiques posés par les grands problèmes sociaux et économiques. Sa capacité d’auto-saisine participait de sa crédibilité.
Cette problématique est très différente de celles couvertes jusqu’à présent par le CNESER, dont la vocation première était d’examiner les politiques publiques en matière de recherche et d’’enseignement supérieur, en permettant à la communauté de ses acteurs, personnels et usagers, de contrôler les objectifs et les moyens mis en œuvre pour permettre au service public d’enseignement supérieur et de recherche d’assurer ses missions. Le CNESER faisait donc légitimement une place prédominante aux usagers, personnels et organismes de l’enseignement supérieur dans l’examen des dispositifs de transmission pédagogique des connaissances scientifiques.
Il ne faut donc ni affaiblir le CNESER, ni reculer dans les possibilités de la société à s’emparer des enjeux socio-économiques des avancées de la science.
Avec les réformes aujourd’hui proposées, le gouvernement se dote d’un outil de pilotage, le Conseil Stratégique de la Recherche. D’un autre côté, en l’état du projet de loi de décentralisation Acte III, les régions seraient chargées d’orienter la recherche sur leur territoire et d’impulser sa valorisation économique régionale. D’autre part le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche laisse craindre que la capacité de contrôle exercée par le CNESER soit réduite au travers du passage du rôle d’habilitation de la carte des formations à celui d’accréditation des établissements.
De tels pouvoirs confiés aux régions appellent de notre point de vue, l’instauration d’une instance nationale qui puisse exprimer l’avis des acteurs sociaux économiques sur ces problématiques, dresser les bilans et les perspectives sur ce qui se fait ou devrait être entrepris au plan national ou régional, tout en permettant à la communauté scientifique et éducative de conserver son rôle légitime et nécessaire de contrôle de l’équilibre des politiques publiques.
La suppression du CSRT prête donc à la critique ! Cela mériterait un approfondissement de la réflexion en y associant les organisations syndicales et les membres du CSRT comme ceux du CNESER qui n’ont été consultés à aucun moment dans le processus de cette transformation. Le nouveau CNESER pourra-t-il jouer le rôle du CSRT dans son travail d’éclairage et de construction? Pourra-t-il le faire sans affaiblir ses missions historiques, notamment celui de représenter la voix et les intérêts des personnels de l’enseignement supérieur ? Pourra-t-il devenir un lieu qui éclaire la société et la puissance publique sur les questions de l’interface recherche-entreprise où les grands organismes ont vocation à jouer un rôle structurant ? Le CNESER deviendra-t-il ce « grand parlement » de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche si souvent annoncé dans les discours politiques ?