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A la veille de la journée d’action européenne du 29 février dernier, Bernadette Ségol, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), déclarait : « Trop, c’est trop ! Les mesures d’austérité ne sont pas la seule réponse à la crise ».
Pourtant, les « plans de rigueur » se généralisent en Europe, avec comme premières victimes les salariés. La Grèce n’est malheureusement qu’un exemple parmi d’autres, notamment parmi les pays de l’Europe du Sud. Les mesures d’extrême rigueur économique frappent l’ensemble des salariés et n’épargnent pas les cadres ingénieurs et techniciens qui restent des salariés au même titre que les autres.
L’analyse des données du Comité Européen du Dialogue Social nous donne une idée objective de l’ampleur de la crise économique et sociale qui frappe le pays. Les salaires versés aux salariés du secteur public, au sens strict et au sens large, ont diminué respectivement de 15 % et de 30 %. Le niveau des pensions des secteurs public et privé a diminué de 10 % en valeur nominale. Le doublement du taux de chômage entre 2009 et 2011, conjugué à la réduction administrative des salaires versés dans le secteur public, a eu pour conséquence une diminution des salaires réels de 11,5 % pour l’ensemble de l’économie et de 9,2 % dans le secteur privé en 2010-2011.
Dans le même temps, l’alourdissement de la fiscalité indirecte aliment l’inflation, qui a augmenté de 3,4 points de pourcentage en 2010 et comprime le pouvoir d’achat des salariés et des retraités. Parallèlement, alors que le pays est en proie à la récession, le taux de chômage caracole à des niveaux jamais atteints. Le taux de chômage, en octobre 2011, atteignait 18,2 % contre 13,5 % en octobre 2010. Le niveau atteint par le chômage des jeunes est particulièrement inquiétant; il s’élève à 45,5%, un jeune sur deux étant sans emploi. Chez les femmes, le taux de chômage atteignant le record historique de 21,3 % se compare à celui des hommes (15,9 %), indiquant que l’austérité a également creusé les inégalités entre les sexes.
Bien évidemment, cette situation de l’emploi a des conséquences catastrophiques sur le financement de la protection sociale, avec une réduction drastique des dépenses de santé et d’éducation, ce qui ne peut que compromettre l’avenir. L’UGICT-CGT s’interroge sur la dégradation annoncée du dialogue social que cette politique imposée ne manquera pas d’entraîner. Sous la pression des créanciers institutionnels, la réforme structurelle mise en œuvre par voie législative en Grèce va à l’encontre du concept même de négociations collectives et de représentation démocratique collective. Un tel passage en force dévalorise les négociations collectives et nie l’essence même du syndicalisme. A terme, ces pratiques pourraient conduire à la disparition des conventions collectives et à l’effondrement des structures syndicales professionnelles.
Enfin, le médiateur grec signale une augmentation spectaculaire et constante des plaintes pour licenciements abusifs pour cause de grossesse ou de congé de maternité et constate une croissance des cas de harcèlement sexuel depuis mai 2008. Les mesures législatives encourageant la flexibilité du marché du travail touchent avant tout les femmes, et plus particulièrement les femmes enceintes et les mères de famille.
LA BAISSE DES REVENUS DES CADRES PEUT ATTEINDRE 30 %
Pour nos catégories, le sens du travail, en France ou en Grèce, reste au cœur des préoccupations des ingénieurs, cadres et techniciens. Mais dans ce contexte de profonde récession (l’économie grecque a connu un repli de 7,3 % au deuxième trimestre 2011), comment continuer à donner du sens au travail ? Face à l’insuffisance des moyens, en extrême précarité individuelle et collective, comment continuer à s’investir, comment créer dans son activité, comment y croire et donc comment encourager ses équipes à y croire ? Mais les managers doivent affronter un autre volet du drame économique, le drame humain, celui des licenciements.
Le taux de chômage a bondi de 5 % en un an, avec son cortège de fermetures d’entreprises, de réductions d’effectifs, conséquence de plans sociaux sans précédent. Ce sont nos collègues, cadres supérieurs et cadres de terrain, qui se voient confier l’organisation de ces plans et leur mise en oeuvre. Ils doivent faire face à la souffrance, au désespoir de leurs collaborateurs et ils se retrouvent en conflit avec leur propres convictions, souvent en situation de réelle souffrance au travail.
Déjà les difficultés liées à l’endettement atteignent de nombreux cadres notamment dans la fonction publique. En effet, ils s’appuyaient sur l’assurance d’un revenu, l’attente d’une progression professionnelle et la « garantie » de l’emploi, pour souscrire d’importants emprunts immobiliers, encouragés par les banques. Avec la baisse de leurs revenus (pouvant atteindre jusqu’à 30 %), beaucoup d’entre eux ne peuvent faire face aux échéances, dans un contexte actuel où la revente d’un bien devient hypothétique. Certains sont amenés à céder pour une bouchée de pain le fruit d’années d’économies, d’autres ont malheureusement quelquefois des gestes désespérés.
Ainsi, depuis le début de la crise en 2009, le nombre suicides a doublé en Grèce (Source ministère de la Santé). Les jeunes diplômés, confrontés à un chômage de masse et à l’absence de perspective, se tournent vers l’émigration. Mais il y a une grande différence entre une mobilité volontaire vers un pays étranger, dans le cadre d’un projet de carrière et une émigration économique forcée où les chances de réussite professionnelle sont plus restreintes. L’émigration des jeunes les plus qualifiés ne fait qu’hypothéquer davantage les possibilités de l’économie grecque à moyen terme.
LES MESURES IMPOSÉES CONDUISENT À UNE SOCIÉTÉ DE NON-DROIT
Les mesures d’austérité mises en œuvre en Grèce sont celles que la troïka (UE, BCE, FMI,…) impose aujourd’hui aux pays de l’Europe du Sud, mais qu’elle voudrait voir demain s’appliquer à tous les pays. Elles entraînent dans la pauvreté un nombre croissant de salariés, creusent les inégalités et conduisent vers une société de non droit social. Et effet pervers, le chômage de masse favorise l’économie dissimulée. Cette politique n’offre aucune perspective à moyen terme et ne peut pas être acceptée. Ce n’est pas la société que nous voulons.
Nous voulons une société où le travail prenne tout son sens, dans un cadre de droits garantis collectivement et où le salaire ne soit pas une allocation de survie, mais une juste rémunération des qualifications. Pour faire face à l’ensemble des attaques actuelles contre le monde du travail, le dialogue social est indispensable et la place des syndicats est cruciale. Nous avons besoin de droits collectifs forts pour toutes les catégories de salariés. Le combat actuel des salariés de toutes les catégories des pays du Sud de l’Europe est aussi le nôtre. C’est pourquoi l’UGICT-CGT entretient et s’efforce de développer ses partenariats avec ses homologues dans tous les pays européens.