Le point complet sur le temps de travail des cadres

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Le point complet sur le temps de travail des cadres
Le mérite de l’enquête de la DARES publiée le 26 juillet 2013 est qu’on a pour la 1ère fois depuis 2001 des éléments chiffrés qui montrent les dégâts causés par l’absence de référence horaire dans les forfaits jours. La durée du temps de travail est intimement liée à la question de l’emploi comme à celle de la santé physique et mentale des salariés.
Ces dernières années l’intensification du travail s’est particulièrement accrue. Développement de la souffrance au travail et suppression massive d’emploi dans un contexte de restructuration et réorganisation permanentes en sont les caractéristiques principales. La productivité augmente de manière malsaine : au détriment de l’emploi et de la santé physique et mentale des salariés. Â
Les cadres sont une cible privilégiée pour «Â innover » en matière d’organisation du travail et/ou de durée du travail, avant l’extension de ces nouveaux dispositifs à d’autres catégories de salariés.
Retrouvez ici une note complète sur le temps de travail des cadres et les forfaits jours.

I- Eléments chiffrés et analyse

I-1 : Les cadres ont la durée de travail la plus longue 

L’enquête de la DARES du 26 juillet 2013 indique que la durée moyenne hebdomadaire pour l’ensemble du salariat à temps complet est de 39,5 heures. Elle est donc supérieure à la durée légale hebdomadaire de 35 h (ou 1 600 h par an).

Pour les cadres, l’horaire hebdomadaire est passé de 42,6 h en 2003 à 44,1 h en 2011. Et l’horaire annuel passe pour les cadres de 1765 h (2003) à 1867 h (2011).

Pour les seuls salariés en forfait jours l’horaire annuel est de 1 939 heures !

Ces chiffres tiennent compte des jours RTT supplémentaires accordés aux cadres en forfait jours.

Si certains salariés sont soumis à un horaire collectif supérieur à 35 h et réalisent des heures supplémentaires « structurelles » (pour compenser notamment la faiblesse du niveau de salaire), d’autres sont soumis à un forfait annuel en jours avec des durées quotidiennes travaillées plus longues.

C’est le cas de plus en plus de cadres, depuis la mise en place des forfaits jours, entérinés par la loi Aubry II, renforcés par les dérèglementations successives introduites par les gouvernements Fillon.

Forfait en jours : définition

Depuis 2000 et la loi Aubry 2, un système de forfait en jours permettant de décompter la durée du travail en jours et non plus en heures peut être mis en place pour les cadres autonomes dans leur organisation du temps de travail, par accord collectif de branche ou d’entreprise, combiné à une convention individuelle. Depuis la loi du 31 mars 2005, cette possibilité concerne également les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps. Le nombre maximal de jours travaillés reste limité à 218 jours au plus. Mais la loi du 20 août 2008 portant réforme du temps de travail permet au salarié qui le souhaite, en accord avec son employeur, de se faire racheter ses jours de repos dans une limite de 235 jours, à défaut d’accord en fixant le nombre. En pratique, le nombre maximal annuel de jours travaillés ne peut être supérieur à 285 jours (365 jours -52 jours de repos hebdomadaire -30 jours de congés payés -le 1er mai, seul jour férié obligatoirement chômé).

Conséquences du forfait jours :

Exclusion de certaines dispositions relatives à la durée du travail.

Les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année ne sont pas soumis aux dispositions des articles suivants du Code du travail :

  • L. 3121-10, qui fixe la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures ;
  • L. 3121-34, qui prévoit que la durée quotidienne de travail effectif d’un salarié ne peut excéder 10 heures, sauf dérogations ;
  • le premier alinéa de l’article L. 3121-35, qui prévoit que la durée du travail ne peut dépasser 48 heures au cours d’une même semaine, et les deux premiers alinéas de l’article L. 3121-36, qui prévoient que la durée hebdomadaire du travail ne peut dépasser 44 heures sur une période quelconque de 12 semaines ou 46 heures si un décret pris après la conclusion d’un accord de branche le prévoit.

Les salariés en forfait jours sur l’année ne relèvent également pas des dispositions relatives aux heures supplémentaires (contingent d’heures supplémentaires, contrepartie obligatoire en repos, majorations).

Ils bénéficient seulement des dispositions du Code du travail relatives au repos quotidien (11 h), au repos hebdomadaire (35h), à la limitation à 6 du nombre de journée de travail hebdomadaire, aux jours fériés chômés dans l’entreprise, aux congés payés.

A noter que ce type de régime de travail rend difficile, voire impossible, le temps partiel.

I-2 : Les cadres sont ceux dont la durée du temps de travail augmente le plus

            Sur la période 2003 – 2011, la hausse du temps de travail concerne toutes les catégories socioprofessionnelles (CSP), mais ce sont les cadres qui connaissent la plus forte croissance de leur temps de travail : + 5,8% annuel.

L’enquête de la DARES montre que l’augmentation de la hausse du temps de travail pour l’ensemble des salariés est surtout à imputer aux salariés au forfait jours. L’accélération est intervenue entre 2007 et 2011, où « c’est surtout la durée travaillée par les salariés au forfait qui a nettement progressé, de plus de 120 heures, soit un équivalent de 2,4 heures par semaine. Cette progression explique plus de la moitié de la hausse de la durée annuelle effective travaillée des salariés à temps complet sur cette période. »

Autrement dit, parmi tous les dispositifs existants visant à favoriser l’allongement de la durée du travail (augmentation des contingents annuels légaux d’heures supplémentaires, mesures sociales et fiscales de diminution de leur coût, dispositifs de rachats de jours de congés, Compte épargne temps, mise en œuvre de la journée de solidarité, etc) c’est le régime de travail au forfait jours qui est majoritairement responsable de l’augmentation constatée de la durée du temps de travail pour l’ensemble des salariés.

Pour les employeurs l’absence de référence horaire contenu dans le forfait en jours est un outil efficace pour accroître le nombre d’heures travaillées non rémunérées.

 

I-3 : Les cadres ont un régime de travail de plus en plus forfaitisé sans référence horaire

Le manque de statistique sur les salariés (CSP, métiers, etc) soumis à un régime de forfait en jours est réel. Même le site internet du Ministère du travail ne fournit pas d’éléments. L’INSEE indique dans une étude de 2010 sur les congés, que 44% des cadres du secteur concurrentiel étaient en forfait jours. Compte tenu de l’augmentation constante du nombre de ce type de salariés, nous pouvons raisonnablement penser que pour près de la majorité des cadres ce régime de travail en forfait jours est devenu une réalité.

Les dérèglementations du temps de travail successives introduites par les gouvernements Fillon se sont traduites par une extension du périmètre du forfait jours de 5 à 12,2 % du salariat en 10 ans.

 

En conclusion :

Le dispositif du forfait en jours, que la CGT et son UGICT ont combattu depuis le départ, est la cause principale de la forte augmentation du temps de travail des cadres.

Cela démontre que les forfaits jours sans référence horaire sont un dispositif contraire à la réduction du temps de travail.

 

II- Management, organisation du travail, temps de travail

II-1 : Il y a urgence à reconquérir l’autonomie et les moyens face à la charge de travail

Depuis 10 ans, au fur et à mesure que le niveau de formation des salariés s’élevait et que le nombre de cadres augmentait, la pression sur le personnel qualifié n’a cessé de croître. Trop sollicités, travaillant en moyenne 10 heures, voire 13 heures ou plus par jour, soumis à une évaluation individualisée des performances, effectuant un travail invisible non rémunéré, la dégradation des conditions de travail des cadres est sans précédent et nuit gravement à leur santé.

Le mode de management (délais de plus en plus courts, et objectifs de plus en plus ambitieux au nom de la compétitivité-coût) ; l’usage répandu de la mauvaise utilisation des TIC (Technologie de l’Information et de la Communication) qui efface la frontière entre vie privée et vie professionnelle ; l’accroissement des formes de télétravail (dont le nomadisme) accentuent le phénomène.

Les facteurs déclenchant les maladies professionnelles chez les cadres sont connus : un niveau de responsabilité élevé, le manque de marge de manœuvre et de soutien, le manque de reconnaissance. Cela génère nombre d’accidents du travail : suicides, burn-out, dépression, accidents cardio-vasculaires, incapacités… Autant de fautes inexcusables des employeurs, qu’il faut mettre face à leurs responsabilités.

La situation des salariés en forfait jours qui ne maîtrisent plus ni leur charge de travail, ni les délais de la production, est devenue intolérable.

 

II-2 : Une évolution du temps de travail qui va à l’encontre des aspirations des cadres

Depuis 10 ans tous les sondages montrent que l’attachement des cadres à la RTT reste stable : 65% pour les hommes, 85% pour les femmes. Les pratiques en cours sont donc totalement contraires à leurs aspirations.

Cela renforce la détermination des campagnes de la CGT et son UGICT pour favoriser l’intervention des cadres sur le respect de leurs horaires et la maitrise de leur temps de travail.

Cela valide à postériori toutes les mobilisations comme les actions en justice sur cette question.

 

II-3 : Limiter le temps de travail des cadres est un levier essentiel pour créer de l’emploi

L’augmentation du temps de travail des cadres est à corréler avec les nouvelles formes d’organisation du travail et au non remplacement ou la suppression de certains emplois moins qualifié. Les cadres sont doublement impactés par les suppressions d’emplois. Ils doivent pallier à l’absence d’homologues, d’assistants avec une intensification croissante de leur travail au risque d’atteinte à leur propre santé. Ajoutons que les forfaits jours sont un obstacle pour un partage plus égalitaire des tâches domestiques et constituent un plafond de verre empêchant à de nombreuses femmes d’accéder à d’avantage de responsabilités professionnelles.

Les gains de productivité du travail sont captés et détournés par la finance au détriment de l’emploi et des investissements. Il y a un tragique déséquilibre entre les cadres actifs surchargés et le chômage qui frappe les jeunes diplômés.

Comment expliquer, dans une période de chômage massif, notamment des jeunes diplômés, que certains salariés soient contraints de travailler en moyenne 44h par semaine ?

La lutte contre le chômage passe aussi par le partage du travail, limiter le temps de travail des cadres est un outil essentiel pour ouvrir des perspectives d’emplois pour les jeunes diplômés comme pour les autres catégories de salariés.

III – Revendications et outils mis à disposition par l’UGICT-CGT

III-1 : La référence horaire est indispensable

L’idée selon laquelle, « quand on est cadre, on ne compte pas ses heures » a la vie dure.

C’est l’argument principal invoqué pour justifier l’absence de contrôle du temps de travail des cadres, renvoyant chaque individu vers sa propre disponibilité pour atteindre les objectifs de l’entreprise !

On argumentera en démontrant qu’il existe une distinction fondamentale entre ce qui relève de l’appréciation à l’avance, parfois difficile, du temps nécessaire à la réalisation des missions, et la mesure a posteriori du temps passé qui, elle, est toujours possible !

Une chose est de ne pas pouvoir fixer précisément et préalablement la durée nécessaire pour réaliser une production, une autre est de décompter, une fois le travail accompli, toutes les heures passées.

Sans mesure du temps, il n’est pas possible de contrôler les périodes de repos, ni d’éviter des durées préjudiciables à la santé, ni d’assurer le paiement de la totalité du travail accompli.

La référence horaire est la base indispensable pour garantir l’application de ces droits fondamentaux.

Nous sommes résolus à combattre l’idée selon laquelle les cadres ne doivent pas compter  les heures et qu’ils seraient à la disposition des employeurs. Peu importe que la référence soit le jour, la semaine, le mois ou l’année, les cadres sont des salariés au même titre que les autres et leurs heures doivent être comptées.

 

III-2 : Nos revendications

 

Pour rappel, la CGT et son UGICT mettent en débat auprès des salariés  les propositions suivantes :

– Un dispositif d’évaluation, c’est-à-dire de mesure individuelle et collective du temps de travail. Ce dispositif supposerait de conjuguer la possibilité d’une évaluation individuelle de son temps de travail réalisé avec des moyens collectifs de suivi des charges et de l’intensité du travail.
– La rémunération et la compensation effective des heures supplémentaires. Cela supposerait d’introduire dans les forfaits-jours des seuils trimestriels d’heures travaillées au-delà desquels les heures supplémentaires seraient rémunérées et majorées, et/ou ouvriraient des droits au repos compensatoire.
– L’introduction de bornes journalières, hebdomadaires, mensuelles et annuelles dans les forfaits-jours afin de respecter le droit à la santé afin que des alertes se déclenchent systématiquement en cas de situation anormale.

 

III-3 : Encadrer les forfaits jours pour être en conformité avec la législation européenne

La CGT et son UGICT agissent pour le respect des durées maximales de travail, la mesure et le contrôle du temps de travail, et la préservation de la santé. Ce sont des droits pour les salariés et des obligations pour les employeurs.

Suite aux réclamations déposées par la CGT et la CFE-CGC, l’Etat français a été condamné à trois reprises par le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) pour violation de la Charte Sociale Européenne. Ce que condamne le CDES, c’est « la situation de salariés soumis à un régime ne comportant aucune protection efficace contre une durée du travail excessive, c’est-à-dire dangereuse pour sa santé physique et mentale. »

L’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne stipule en effet :

« 1.- Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité.

2.- Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire ainsi qu’à une période annuelle de congés payés. »

C’est un point d’appui supplémentaire pour affirmer que les forfaits jours ne peuvent pas déroger au respect de la santé, du droit au repos, et de la rémunération majorée des heures supplémentaires.

La CGT est plus que jamais déterminée à ce que soit réglée la question de la conformité générale du système actuel des forfaits jours par rapport au droit du Conseil de l’Europe.

 

III-4 : Outils mis à disposition par l’UGICT-CGT

Le site dédié au forfait jours

www.forfaitsjours.fr

Le guide revendicatif et juridique sur les forfaits jours

http://www.forfaitsjours.fr/guide#pourquoi-encadrer-les-forfaits-jours

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