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A travers ce projet de loi, c’est donc à un choix de société que nous sommes confrontés, pour les jeunes d’aujourd’hui, pour les générations futures, mais aussi pour celles et ceux qui ont contribué par leur travail à bâtir un véritable système de prévoyance sociale.
En effet, ce projet de loi attaque le système de protection sociale, héritage du Conseil National dela Résistance, construit en France en cohérence avec les conquêtes sociales du monde ouvrier du siècle dernier.
La Sécurité sociale, qui protège les salariés au cours d’une vie, de ses aléas: maladie, vieillesse, handicap, accident du travail, maladies professionnelles, chômage, famille et petite enfance… et dont le financement solidaire a assuré une fierté et un rayonnement international.
Pourtant les richesses produites en France ne cessent d’augmenter, année après annéeet ce n’est pas Mr. Woerth, ministre du Travail, à l’origine de l’écriture de ce projet de loi, qui nous contredira…! Au cours de ces quarante dernières années, alors que la production n’a cessé d’augmenter quantitativement et qualitativement, donnant lieu à des bénéfices de plus en plus élevés, la part des rémunérations dans la valeur ajoutée a baissé sur ces dernières vingt années de 9,3% (données Insée 2006; données de la Commission Européenne 2007), ce qui correspond a plus de 120 milliards d’euros par an (montant correspondant à environ 20 fois le «déficit» des retraites évalué à 7,7 milliards…).
A la récolte de ces profits: les actionnaires et leurs stocks-options, le capital financier et spéculatif qui s’alimente de celui produit par le travail des salariés de ce pays qui eux, vivent aujourd’hui des conditions de travail inacceptables, de plus en plus dégradées, dangereuses pour leur santé physique et mentale.
Et ce sont bien ces objectifs financiers du capitalisme contemporain qui sont la toile de fond de cette «mise à mal du travail», alors que les évolutions technologiques, les progrès en termes productifs et de qualité pourraient donner lieu à un bien-être pour tous, tant matériel que temporel et à un développement créatif pour l’ensemble des salariés.
A travers ce projet de loi, c’est donc à un choix de société que nous sommes confrontés, pour les jeunes d’aujourd’hui, pour les générations futures, mais aussi pour celles et ceux qui ont contribué par leur travail à bâtir un véritable système de prévoyance sociale.
Depuis les années 70, le développement de l’outil technique, de la technicité, de la complexité des machines en lien avec l’introduction des nouvelles technologies de l’informatique (automatismes; traitement des données…) a donné lieu à une productivité jamais atteinte auparavant. Mais qu’en est-il, lorsque l’on parle de profit, du lien qui est fait entre cette «productivité-machine» et ce que le salarié y a mis de sa qualification, de son investissement physique et mental, de sa subjectivité, de son corps…?
Nous pouvons émettre l’hypothèse que c’est au prix d’une usure prématurée occasionnée par le travail et ses formes d’organisation que cette productivité, ces bénéfices ont été obtenus: et pas seulement à partir de «la révolution technologique et informationnelle»! En effet, les organisations de travail développées ces 30 dernières années ont sollicité les travailleurs comme jamais auparavant:formations,technicité, expérience, savoirs, traitement des données… A la complexité des outils techniques s’est ajoutée une intensification des rythmes de travail non seulement «autorisés» par les machines, mais organisés pour atteindre des résultats de plus en plus élevés en termes quantitatifs et qualitatifs.
Ainsi, récemment au cours d’une émission radio, un travailleur témoignait: «Avant on pressait le salarié sur 40 ans, maintenant c’est sur 10 ans!».
Pour les techniciens et cadres, cette intensité matérialisée par exemple dans la complexité d’une intervention de dépannage, dans la mise en œuvre de résultats de laboratoires, lors de l’organisation ou vérification de la qualité d’un produit, d’un service ou dans la conception d’un nouveau projet industriel ou de service, donne lieu à une charge mentale exigée par ces opérations complexes.
Mais pas seulement…L’étendue des horaires de travail a aggravé l’implication de ces catégories professionnelles, exigée dès les années 90, «totalement» par les mêmes «managers» qui prônaient la «qualité totale», n’hésitant pas à solliciter les équipes de techniciens et cadres «corps et âme»…
Cette implication subjective, non mesurable, où la contrainte physique et celle psychique s’imbriquent en vue d’atteindre les objectifs exigés par ces modes de management: quel impact aura t-elle sur la santé de ces salariés, sur leur espérance de vie au cours des prochaines années? Les statistiques aujourd’hui ne sont pas en mesure de le dire!
Pourtant les conséquences en matière de pathologie professionnelle ne se font pas attendre.
Aux contraintes physiques plus connues, les méandres des nouvelles organisations de travail ont fait découvrir les contraintes mentales: pression du résultat et de son évaluation, traitement des données dans des délais de plus en plus courts, individualisation des performances, complexité des décisions, renouvellement permanent des projets, des initiatives, des postes de travail…
L’explication par «le stress», dans «l’après-coup» des décompensations et atteintes (cardio-vasculaires, neurologiques,immunitaires, psychiques, musculo-squelettiques…) a masqué le déni des conséquences de l’organisation du travail sur la santé des salariés.
Les troubles musculo-squelettiques (TMS), en constante augmentation chaque année (+20%), conséquence tant du port de charges lourdes, des postures prolongées que de l’intensité des saisies de données ou des cadences, du travail de nuit, du travail posté, des alternances horaires extrêmes, nous rappellent l’unité physique et psychique de l’organisme humain. Mais aussi, la difficulté à différencier dans le travail ce qui relève de la contrainte physique et ce qui relève de la contrainte mentale.
Nous sommes amenés aujourd’hui à questionner l’approche fondée sur une division du travail: travail d’exécution/travail de conception et lesconséquencesqui en découlent en termes de santé: il y aurait une pénibilité physique pour le travail ouvrier et une pénibilité mentale pour le travail d’encadrement.
Cette vision tout en accentuant le clivage entre salariés, nie en fait la econnaissance que dans tout acte de production il y a un travail d’élaboration, un travail mental. Et lorsque le projet gouvernemental de réforme des retraites pose «l’allongement de l’espérance de vie» comme son principal postulat, il omet en fait de parler du travail, des conditions dégradées dans lesquelles il s’exerce et de la probabilité de partir en retraite en bonne santé ou de celle de décéder avant 65 ans, lorsqu’on travaille aujourd’hui.
Alors que les possibilités de travailler autrement, grâce aux progrès de l’appareil productif existent, l’espérance de vie des salariés continue à se dégrader: les catégories ouvriers-employés ont toujours un écart compris entre 3 et 6,5 ans en moins comparativement aux autres catégories professionnelles (artisans commerçants; professions intermédiaires; agriculteurs exploitants; cadres-professions libérales).
Mais l’ensemble de ces catégories est concerné par l’usure professionnelle: l’évolution de la probabilité de décès entre 35 et 65 ans montre que 17% des professions intermédiaires, 13% des cadres-professions libérales, 26% des ouvriers et 23% des employés ont une probabilité de décéder avant 65 ans. (Source cohortes Insée 1982-1996).
L’usure professionnelle est aussi la toile de fond des «sorties prématurées» du monde du travail: plus d’1/4 des personnes de 50 à 59 ans étaient sorties prématurément de l’emploi en 2002 (Etude Darès,ministèredu Travail, 2005).
En 2009 le taux d’emploi des 55- 64 ans était de 38,9%, ce qui signifie que 62% des personnes de plus de 55 ans en âge de travailler en France, n’exercent plus d’activité professionnelle.
La situation des salariés vieillissants, usés par les rythmes de production et performances exigés aujourd’hui, accélère leur exclusion de l’emploi: toujours en 2009, le chômage des «séniors», des plus de 50 ans, a augmenté de +17%!
Tenir au travail -si la santé le permet…- redevient le souci majeur pour tous les salariés. Comme au fondement de la Sécurité sociale, la préoccupation d’une protection sociale pour tous face à la maladie, le chômage, la vieillesse, l’accident de travail ou la maladie professionnelle, devient criante, alors que ce nouveau 21ème siècle semble creuser le fossé qui sépare ceux qui vivent de leur travail et ceux qui en tirent profit.
Le projet de réforme des retraites présenté aux parlementaires en «procédure d’urgence» le 7 septembre, en repoussant l’âge de départ à la retraite et en allongeant la durée des cotisations, s’attaque en fait au montant et à la durée des pensions; en aggravant notamment la situation des jeunes, des femmes aux carrières incomplètes, mais aussi de celle de bataillons de salariés touchés par le vieillissement prématuré dû au travail, par l’invalidité (ou inaptitude), par la maladie.
La notion de pénibilité liée au métier, conquête collective s’il en est en France, de 40 années de luttes et de connaissances sur le travail humain,est remise en question par une reconnaissance qui serait «individualisée», reliée non pas auxcontraintes de métier,mais au «degré d’usure du salarié», en fonction donc de sa «réponse» (historique, médical, individuel) aux facteurs de risques professionnels auxquels il a été exposé. Et encore…pas de tous les risques, mais uniquement de ceux appartenant à 3 domaines: physique, environnement, certains rythmes de travail.
La reconnaissance de la pénibilité mentale et psychique en est exclue, alors que les conséquences en santé mentale des formes du travail contemporain liées à l’organisation sont devenues aujourd’hui une des préoccupations majeures dans le champ de recherche des pathologies professionnelles. De plus il s’agirait de présenter un taux d’invalidité (Incapacité Permanente) de 20%… autant dire que même à taux plein et avec un abaissement de l’âge d’ouverture au droit à la retraite dans ce cas, la durée de vie de ce salarié serait elle aussi probablement réduite! Mais au-delà, s’attaquer à la reconnaissance de la pénibilité du travail physique et mentale (travail de nuit, travail posté, port de charge, efforts à répétition, postures pénibles, rythmes de travail intenses, travail en souterrain, travail soignant…) c’est abandonner les objectifs de prévention, d’amélioration des conditions de sécurité et d’organisation du travail, c’est renoncer à construire les conditions d’effica- cité, de qualité, d’un travail «bien fait», qui ne rende pas malade, celui source et reflet de créativité, celui émancipateur auquel tous les salariés aspirent.
La reconnaissance de la pénibilité mentale et psychique en est exclue, alors que les conséquences en santé mentale des formes du travail contemporain liées à l’organisation sont devenues aujourd’hui une des préoccupations majeures dans le champ de recherche des pathologies professionnelles.