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Préambule : Des Droits pour un nouveau rôle contributif de l’encadrement
Être cadre aujourd’hui, consiste de plus en plus, à être le porteur et le garant de l’idéologie patronale, à jouer le rôle que les directions d’entreprises tentent de nous imposer, à nous sentir responsable et sans condition, de la mise en œuvre de directives imposées. Nous sommes supposés laisser au vestiaire nos convictions profondes, notre liberté de pensée et d’opinion, nos droits citoyens les plus fondamentaux.
Au fur et à mesure que les conditions sont créées pour précariser la situation des cadres, l’exigence d’adhésion à la politique de l’entreprise est plus forte. De même que le patronat pousse pour que le contrat de travail passe d’une mise à disposition de moyens pendant un temps donné, à une obligation de résultats quasi-permanente, le glissement s’opère : nous devrions non seulement engager notre savoir-faire au service de l’entre- prise mais également « un savoir-être » prédéfini par une charte « éthique » ou un « code de bonne conduite ». Quelle est cette « éthique » qui vise à priver l’individu de son libre arbitre pour le transformer en exécutant sans aucun droit statutaire ?
Nous nous reconnaissons comme des salariés, au même titre que les autres. Mais nos fonctions, nos niveaux de responsabilités, notre technicité et notre rôle dans l’organisation du travail nous confèrent une spécificité. La CGT des cadres et des technicien-ne-s propose un statut de l’encadrement assurant à chacun des droits et libertés garantis collectivement et le plein exercice de ses responsabilités sociales.
C’est l’objet de cette charte de l’encadrement.
UNE RECONNAISSANCE À RECONQUÉRIR
Salaires et carrières
Année après année, dans le public comme dans le privé, nous subissons une stagnation voire une régression de notre salaire fixe au profit d’une part variable de plus en plus aléatoire. Les grilles salariales sont attaquées et remises en cause. Individualisée et déconnectée de la qualification, notre rémunération devient arbitraire. L’individualisation a tiré nos salaires vers le bas. Par ailleurs, le développement des dispositifs de participation financière et d’épargne salariale vient en opposition au salaire et fragilise la protection sociale au travers des exonérations de cotisations.
– reconnaitre les diplômes et les formations, dès le premier emploi, par une grille de salaire d’embauche avec des seuils correspondant aux différents niveaux de qualification(*).
– mettre en place de véritbles commissions partitaires de carrière dans les entreprises, pour évaluer collectivement l’ensemble des éléments de la qualification.
– établir une grille de classification salariale qui traduise la progression de notre qualification.
– définir clairement les conditions d’accès et d’exercice de chaque fonction et les communiquer à tous.
– assurer l’équité et la transparencepour faire échec à l’arbitraire, sous toutes ses formes, dans les évolutions de carrière de chacun.
- – prendre en compte tous les cadres dans les négociations annuelles obligatoires
Santé au travail
Dévoyant notre aspiration à l’autonomie, le management actuel a favorisé notre isolement et des formes de mises en concur- rence. La course sans fin à la performance a des conséquences sur notre santé physique et mentale. La pression générée par les rythmes, les objectifs à tenir, les restructurations permanentes, l’absence de marge d’expression et de libre arbitre, les mises au placard, constituent des facteurs de souffrance des managers et des managés. Ce phénomène se généralise avec des conséquences tragiques pour les salariés. L’éloignement des centres de décision, les directions insaisissables, l’absence d’interlocu- teurs, le fait de nier les conflits ou de laisser perdurer les incom- préhensions, participent au phénomène.
– recourir à un tiers (CHSCT ou autre institution représentative) en cas de difficulté, permettant ainsi « d’objectiver » le conflit et d’échapper à un face à face insoluble entre le cadre et sa hiérarchie.
– doter les CHSCT d’un pouvoir d’intervention réel en lien avec les organisations syndicales et les médecins du travail, pour faire aménager les charges de travail dès lors qu’une présomption de stress apparaît.
– faire valoir, dans les faits, nos capacités à exercer un travail épanouissant et responsable
Formation
Notre formation est trop souvent limitée à une adaptation aux objectifs des entreprises (ou administrations) et à une intégration aux critères de gestion qu’elles décrètent. La Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences, les nouvelles compétences requises pour occuper un poste donné, ne doivent pas servir aux employeurs de prétexte pour refuser la progression de carrière ou la reconnaissance des qualifications acquises. C’est une démarche à courte vue, dictée par les besoins immédiats des employeurs.
– faciliter l’insertion professionnelle lors de l’exercice d’un premier (ou nouvel) emploi en l’accompagnant de dispositions et/ou de formation.
– faire de la VAE un support de reconnaissance un droit individuel opposable à l’employeur garanti par le statut/la convention collective. Ce droit doit s’appliquer dans le cadre de procédures collectives au sein des instances représentatives.
– consacrer au moins 10% des heures travaillées à la formation professionnelle accessible sur le temps de travail et pour tous les salariés.
– prendre en compte la formation dans le calcul de nos charges de travail et accorder des moyens pour que nous puissions accéder aux formations qui nous sont nécessaires.
– construire une véritable gestion prévisionnelle quantitative et qualitative, fondée sur l’évolution des besoins sociaux, actant le développement des qualifications et anticipant sur les besoins futurs.
Rythme de travail
Bien souvent, nous travaillons plus de quarante heures par semaine. Ces dépassements horaires ne sont pas pris en compte dans notre salaire. La pression sur les rythmes, les délais de plus en plus courts et les objectifs de plus en plus ambitieux, conduisent les cadres à faire toujours plus d’heures. La généralisation du forfait intensifie ce phénomène. Cela contribue à déprécier notre technicité, nos compétences et nos responsabilités.
– comptabiliser toutes les heures supplémentaires pour paiement ou récupération, de décompter toutes les heures effectuées quel que soit le type de forfait.
– alléger les charges de travail et les évaluer collectivement.
– concilier équitablement vie privée et vie professionnelle
NÉGOCIER LES OBJECTIFS ET LES MOYENS DE LA RESPONSABILITE
Objectifs et évaluation
De par leur situation intermédiaire entre les objectifs gestionnaires et le travail, les cadres doivent composer avec une organisation et des objectifs qui, d’une part, ne sont pas forcément les leurs, et, d’autre part, qu’ils doivent transmettre. Notre rôle dans l’entreprise, nos fonctions de concepteur, de gestionnaire, ou d’animateur nous placent au cœur du télescopage entre nos aspirations novatrices et les conséquences des stratégies patronales.
Les collectifs de travail sont déstabilisés par les objectifs qu’assignent les directions qui, même s’ils correspondent parfois, au moins en apparence, à des buts légitimes, sont en contra- diction avec les moyens qui sont alloués pour les satisfaire. De plus en plus de cadres sont responsables de projets sans pouvoir intervenir sur les moyens correspondants. Le patronat, les directions (d’entreprises et de services publics) transfèrent sur nous des risques et des responsabilités en matière de santé et sécurité que nous n’avons pas à assumer.
Poussée à son terme, cette logique conduit à remplacer le statut du salariat par celui de consultant et au retour du travail à la tâche. Pourtant, les cadres, comme tous les salariés, sont régis selon les règles générales de l’activité salariée et notamment, au lien de subordination envers l’employeur.
Nous sommes dans une situation d’évaluation constante, soumis en permanence à des jugements. La doctrine de l’évaluation portant jusqu’à l’intériorité devient omniprésente dans le travail des cadres qui sont aussi encadrés. Cette obsession assujettit la liberté et la créativité de chacun, d’autant que le travail des cadres, et de plus en plus celui des professions techniciennes, est souvent difficile à évaluer.
Il est urgent de mettre en place un véritable débat sur les objectifs et sur les organisations de travail. Ces questions doivent être discutées, et donc faire l’objet de propositions alternatives, d’interventions et de mobilisation des salariés. En proposant un autre mode de management, nous affirmons notre volonté d’efficacité, mais nous devons aussi pouvoir exprimer nos désaccords avec les objectifs fixés en faisant appel par exemple auprès d’une instance professionnelle, basée sur le collectif de travail en présence des représentants du personnel.
– garantir la liberté d’expression, notamment lors des réunions professionnelles. Les discussions collectives sur l’organisation du travail et la marche de l’entreprise doivent permettre l’expression des potentialités de création de chacun.
– élaborer collectivement les objectifs. Ils doivent s’accompagner d’une discussion sur les incidences prévisibles et sur les moyens nécessaires. Tout entretien d’évaluation doit être assorti de garanties (transparence, possibilité de recours) et prendre en compte la dimension collective du travail et son organisation (ou évolution d’organisation).
– préparer l’entretien professionnel au sein du collectif de travail. Les moyens mis à disposition par l’employeur doivent être discutés. L’évaluation du travail ne doit pas se faire sans une base de critères objectifs et transparents.
– tenir compte de la dimension collective du travail dans les évluations et reconnaître l’apport individuel dans ce contexte.
– imposer l’égalité professionnelle entre femmes et hommes. Toute discrimination, qu’elle se rapporte au salaire, à la reconnaissance des diplômes ou qualifications, à l’accès aux fonctions, au déroulement de carrière, ou à tout autre élément constitutif des responsabilités professionnelles doit être interdite. Des négociations spécifiques doivent s’ouvrir sur l’égalité professionnelle hommes-femmes.
Responsabilité sociale des cadres
Le patronat cherche à réduire l’encadrement à un instrument de sa stratégie. Trop souvent, la référence à l’éthique et à la responsabilité sociale des entreprises est utilisée à la façon d’un « faux nez », afin de masquer une réalité moins présentable : les chartes éthiques, les codes de bonne conduite, l’affichage de valeurs sous la forme d’engagements tels que le respect des personnes, de l’environnement, constituent autant d’outils de cadrage des pratiques managériales.
Ainsi, l’encadrement des entreprises se retrouve au centre de la contradiction entre un discours vertueux et une réalité plus brutale, en tant « qu’acteur » ayant à assurer la propagation d’idées « généreuses », tout en assumant la mise en œuvre de politiques contraires et en endossant les responsabilités (morale, juridique) qui naissent de cette contradiction.
Les intérêts des actionnaires et leur exigence de rentabilité sont de plus en plus des obstacles au développement durable, à l’efficacité sociale du travail, des sciences et des techniques. Les promesses sur la place et le rôle incontournable des cadres, pour le progrès des sciences, des techniques, de l’hu- main, de l’entreprise, de leur environnement, sont passées aux oubliettes de l’histoire.
Alors qu’il s’agirait de répondre à des défis écologiques, énergétiques, éthiques, sociaux inédits, le productivisme, l’accumulation financière et son avidité au profit laminent le sens du travail, écrasent les valeurs éthi- ques. La capacité « d’autorégulation » affichée par les engagements des directions est manifestement limitée.
Lorsque les entreprises évoquent la « loyauté », nous posons la question de son fondement : loyauté à quels objectifs ? En réponse aux actionnaires, aux clients-usagers, aux salariés ? Le bilan, aggravé par la crise, atteste que les discours lénifiants ne peuvent suffire. Le sens du travail, son organisation doivent, au-delà des stratégies des employeurs et de la sphère financière, être guidés par la recherche d’une efficacité économique et sociale durable en opposition à une rentabilité financière de court terme.
Il importe de refuser les injonctions fondées sur les « valeurs », en exigeant dans chaque contexte de travail une analyse précise de ce qu’impli- que le principe, de quels moyens et marges de manœuvre on dispose pour le mettre réellement en œuvre.
Le rôle contributif des cadres est de faire en sorte que le travail soit, non pas facteur de souffrance et d’aliénation, mais un moyen d’humaniser, une forme d’épanouissement des hommes et des femmes où chacun éprouve sa liberté, par la création individuelle et collective.
PROMOUVOIR L’ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE ET LE SENS DU TRAVAIL
Le sens donné au travail pourrait rebondir à la lumière du concept de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Les accords RSE, associés à un dispositif de suivi dans un dialogue social réel, devraient engager les entreprises à mener des actions visant à améliorer l’existant en matière sociale (santé, sécurité, emploi, rémunérations) et sociétales (territoires, environnement).
En partant des ces principes, nous sommes favorables à la construction d’accords RSE, comme un moyen de faire avancer concrètement les choses, à condition de s’y impliquer. Des droits nouveaux, individuels et collectifs, doivent être désormais attachés aux objectifs éthiques de l’entreprise, de la société, pour mieux les faire vivre, en compatibilité avec la citoyenneté et les besoins sociaux.
Nous considérons qu’en matière de responsabilité sociale, les premiers éléments à respecter sont les lois, quitte à définir une règle interne plus ambitieuse dans des pays où elles paraîtraient insuffisantes par rapport au niveau légal que nous connaissons. La Responsabilité Sociale de l’Entreprise (ou de l’administration) impose des devoirs vis-à-vis des clients/usagers, vis-à-vis de ses salariés et de leur environnement.
– développer la transparence des décisions en renforçant l’information et la consultation des salariés et de leurs représentants, y compris ceux des entreprises sous-traitantes.
– favoriser le droit d’alerte, de propositions alternatives aux choix stratégiques, consolidant la citoyenneté dans l’entreprise et l’exercice des libertés syndicales.
– obtenir la participation des salaires avec voix délibérative dans les instances de direction et un droit suspensif sur les grandes questions concernant l’emploi dans l’entreprise.
– définir des plans d’actions sur les enjeux prioritaires de la RSE, avec suivi et indicateurs, sur la base d’accords négociés avec les organisations syndicales de groupe.