Pour en savoir plus
©17 juin à La Défense – © Nicolas Marques
Synthèse
À l’instabilité des organisations de travail et des situations individuelles, s’ajoutent une charge de travail excessive et l’intrusion des outils numériques qui prolonge le lien de subordination hors travail en effaçant les frontières spatio-temporelles. La durée moyenne de travail réelle est évaluée à 44,6 heures hebdomadaires par les salarié-e-s eux-mêmes.
C’est une aspiration forte à pouvoir disposer de la maîtrise de son temps de vie et de son cadre de travail qui s’exprime ici. Cette aspiration est encore plus forte pour les femmes cadres.
Autres éléments marquant du baromètre qui expliquent ce résultat, les conflits avec l’éthique professionnelle, la critique du management, et le manque de reconnaissance salariale qui est intimement lié à la reconnaissance des qualifications et des compétences. L’absence de revalorisation salariale conjuguée à l’effet de tassement des grilles et des niveaux de salaires génère un sentiment justifié d’absence de reconnaissance professionnelle.
- 1.Mon équilibre vie privée / vie professionnelle : 67 % (femmes 68,9 % vs hommes 65,6 %)
- 2.Ma qualité de vie au travail : 51 % (femmes 57,9 % vs hommes 46,4 %)
- 3.Mon salaire : 50 % (femmes 48,3 % vs hommes 51,5 %)
1/ Les cadres en mal de reconnaissance professionnelle
Le niveau de reconnaissance professionnelle reste très bas, la perception des perspectives professionnelles continue de se dégrader.
Très impliqués, peu rémunérés, notamment les femmes
En matière de reconnaissance salariale, tous les indicateurs restent au rouge depuis le dernier baromètre cadres de l’Ugict-Cgt (avril 2014).
Le niveau de rémunération est jugé en inadéquation par rapport :
- au degré d’implication 56 %
- à la charge de travail 54 %
- au temps de travail réel 55 %
- à la qualification 46 %
- aux responsabilités 46 %
À noter, sur chacun de ces différents critères, les femmes affichent un taux d’insatisfaction supérieur aux hommes (entre 1 et 7 points). C’est sur le critère « qualification » (50,2 % vs 43,1 %) et le critère implication (60,1 % vs 53,2 %) que les écarts sont les plus grands.
Ce résultat démontre la lucidité des femmes qui sont bien conscientes quà travail de valeur égal et à qualification équivalente voir supérieure, elles sont moins bien payées que les hommes.
Une situation aggravée dans le secteur public
Autre éclairage apporté, les différences importantes entre le secteur public et le secteur privé : le niveau d’insatisfaction quant à la reconnaissance par la rémunération est en effet entre 10 et 20 points supérieur dans le public que dans le privé.
Cet écart s’explique notamment par le gel du point d’indice dans la fonction publique, l’absence de revalorisation des grilles indiciaires, et le développement de la politique salariale individualisée pour les cadres.
Arrivent en pointe, le critère « qualification » (58,2 % vs 39,1 %), le critère « charge de
travail » (63,4 % vs 49,5 %), le critère « responsabilité » (55,2 % vs 41,3 %) et le critère
« implication » (64,5 % vs 51,2 %).
2/ Stagnation des carrières
Les cadres considèrent majoritairement, que depuis les 5 dernières années, leur évolution professionnelle est marquée par la stagnation (50 %). Seuls 38% considèrent avoir eu une évolution positive.
Une situation qui se dégrade avec l’âge
Seuls les jeunes de moins de 30 ans en poste disent majoritairement avoir connu une évolution professionnelle positive (52,9 %).
Pour les salariés âgés de 30 ans et +, leur situation professionnelle est de moins en moins favorable avec l’âge, 44 % pour les 30 – 39 ans ; 34,1 % pour les 40 – 49 ans ; 29,5 % pour les 50 – 59 ans ; 27,2 % pour les 60 ans et plus.
Ce vécu fait écho au chômage massif – et durable – des seniors, qui peinent à rester en emploi (notamment depuis la mise en place des ruptures conventionnelles) ou en retrouver un. Lorsque le retour à l’emploi a lieu, c’est souvent au prix de concessions importantes sur le niveau de salaire.
Cette situation est en contradiction explicite avec les déclarations d’intentions gouvernementales et patronales qui proclament la nécessité de garder les seniors à l’entreprise, notamment dans le cadre des dernières réformes des retraites qui allongent la durée de cotisation.
Pas de perspective d’avenir
Pour les années à venir, 54,9 % des cadres pensent que leur évolution professionnelle sera davantage marquée par la stagnation et 17 % pensent qu’elle se dégradera. 72 % des cadres pensent que dans les années à venir, leur situation professionnelle va stagner ou se dégrader (55 % stagnation et 17 % dégradation).
On observe dans les réponses des sondé-e-s la même tendance liée à l’âge mais de manière plus rapide et plus forte. Seuls les jeunes en poste de moins de 30 ans sont près de la moitié à penser avoir une évolution professionnelle positive (52,9 %). Dès la tranche 30-39 ans, la vision est moins bonne (35 %), pour encore diminuer sur la tranche 40-49 ans (27,5 %), 50-59 ans (13,7 %) et 60 ans et + (14,8 %).
3/ Un management qui nie le rôle de l’encadrement
47 % des cadres estiment que les pratiques managériales se sont détériorées, même s’il apparait un léger mieux par rapport à l’année derrière (52 % en 2014).
Cette forte détérioration demeure encore plus sensible dans le secteur public par rapport au secteur privé (54,4 % vs 42,9 %). C’est dans la fonction publique d’État que la détérioration est jugée la plus forte (57,6 %).
Les femmes perçoivent plus que les hommes l’évolution négative des pratiques managériales (49,8 % vs 45,1 %).
Un système d’évaluation largement mis en cause
59 % des cadres rejettent le système d’évaluation en raison de son manque de transparence et 65 % estiment qu’il n’est pas fondé sur les bons critères.
C’est dans la fonction publique d’État que le ressentiment est le plus fort : 61,4 % sur le manque de transparence et 73,5 % sur les critères.
Cet écart beaucoup plus important sur les critères de l’évaluation (73,5 % vs 65 %) montre que les méthodes managériales sont en décalage avec les attentes et les missions des cadres.
Les cadres de la fonction publique d’Etat semblent davantage jugés sur leur capacité à porter la stratégie des réformes plutôt que sur leur valeur professionnelle.
Prendre part aux choix et aux critères d’évaluation
En ayant présent à l’esprit que ce sont les cadres qui sont à la fois évaluateurs et évalués, ces résultats sont révélateurs du véritable objectif du système d’évaluation : intégrer les cadres à des choix de gestion sur lesquels ils n’ont pas la main et pour lesquels on ne leur demande pas leur avis. Cette négation de leur rôle contributif et de leur expertise professionnelle est contre-productive pour les entreprises et les administrations.
C’est notamment pour cette raison que l’Ugict-CGT prône des fonctions contributives des cadres afin de permettre le plein exercice des qualifications.
Cette analyse est confortée par les réponses apportées au questionnement sur l’association aux choix stratégiques. C’est toujours de manière écrasante (à 73,4 %), que les cadres ne se sentent pas associés aux choix stratégiques de la direction de leur entreprise ou administration. C’est du même niveau que lors du baromètre cadre d’avril 2014 (73,4 % vs 74,8 %).
La tendance reste donc à une « dépossession » accrue des attributions dévolues normalement aux cadres.
Cette « dépossession » est encore plus forte dans la fonction publique que le secteur privé (83,4 % vs 70,2%). On retrouve le lien avec les réformes en cours évoquées plus haut dans la fonction publique.
4/ L’éthique professionnelle mise à mal
1 cadre sur 2 est confronté à des problèmes d’éthique professionnelle
Pour 55 % des cadres, les choix et pratiques de leur entreprise ou administration rentrent régulièrement en contradiction avec leur éthique professionnelle.
Cela confirme la contradiction entre la stratégie menée par les directions d’entreprise ou d’administration et l’aspiration des cadres à pouvoir exercer professionnellement en respectant leur déontologie professionnelle pour donner du sens à leur travail. Porteurs d’une certaine déontologie professionnelle, les cadres sont régulièrement confrontés à des contradictions lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre des décisions de leur direction.
Pour un droit d’alerte, de refus et d’alternative et un statut pour les lanceurs d’alerte
Des droits nouveaux permettant aux cadres d’exercer un « droit de refus et de proposition alternative » pourraient remédier à ces blocages et servir d’alerte pour les directions. Les cadres sont en effet coincés dans un choix binaire, se soumettre ou se démettre, et ne peuvent ni exercer leur éthique professionnelle ni leur responsabilité.
Pour l’Ugict-CGT, il est urgent de donner un statut protecteur à tout salarié rapportant des faits contraires à l’éthique ou à la déontologie professionnelle. L’exemple significatif des lanceurs d’alerte montre jusqu’où peuvent aller les atteintes à l’intérêt général et la vulnérabilité de ses salariés qui s’exposent pour faire prévaloir l’éthique et l’intérêt général.
L’éthique professionnelle est le plus « souvent » mise à mal dans la fonction publique (16 %). Tous secteurs confondus, les femmes déclarent être « souvent » en prise avec un problème d’éthique professionnelle de manière plus fréquente que les hommes (15,8 % vs 10 %).
Des priorités mal établies
Les cadres semblent lucides sur l’origine de la crise et sur les moyens pour en sortir. Ils estiment que ce n’est pas en alimentant la financiarisation de l’économie que l’on sortira de la crise.
Comme pour le baromètre 2014, les cadres privilégient quasiment à égalité le fait de donner la priorité « aux équipes salariés» (48,6 %) et « aux choix stratégiques » (47,6 %), loin devant « les actionnaires » (3,8 %).
Ces résultats sont valables quelle que soit la taille de l’entreprise. Seules les petites entreprises de moins de 200 salariés placent « les choix stratégiques » devant « les équipes salariés » (51,1 % vs 45,1 %), mais toujours loin devant « les actionnaires» (3,9 %).
Nous observons que les femmes, contrairement aux hommes, placent « les équipes salariés » (55,1 % vs 44,4 %) devant « les choix stratégiques » (41,9 % vs 51,3 %). Ce résultat est encore plus contrasté qu’en 2014 : « les équipes salariés » (53,5 % vs 46,3 %) ; « les choix stratégiques » (44,1 % vs 50,1 %).
Est-ce lié au fait qu’elles sont moins proches des lieux de décisions, ou plus dans le secteur public, ou au fait qu’elles sont plus proches des syndicats ? ou les trois à la fois ?
5/ L’urgence du droit à la déconnexion
Le numérique n’a rien de virtuel
75 % des cadres indiquent utiliser pour un usage professionnel les nouvelles technologies sur leur temps personnel. Le débordement de la vie professionnelle sur la vie privée se matérialise avec l’usage des TIC.
58 % des cadres constatent un débordement accru de leur vie professionnelle sur leur vie privée depuis le développement de l’usage des outils numériques.
Ce phénomène est largement répandu quels que soient la taille de l’entreprise et le secteur d’activité professionnelle.
Cependant, une nouvelle fois, on constate le lien avec la charge de travail et la difficulté à pouvoir poser ses jours de RTT.
L’usage des TIC sur le temps personnel pour raisons professionnelles est le plus répandu dans la fonction publique 83,8 %. Cela donne pour l’ensemble du secteur public par rapport au secteur privé (78,4 % vs 72,5%). Et le débordement accru de la vie professionnelle sur la vie privée est, dans le même sens, plus ressenti dans le secteur public par rapport au secteur privé (65,2 % vs 54,5 %), et 69,1 % pour la fonction publique prise isolément.
Une charge de travail qui explose, un temps de travail de plus en plus difficile à maîtriser, la sphère privée absorbée par la vie professionnelle.
La tendance reste à l’accroissement de la charge et de la durée du travail pour la majorité des cadres.
65 % des cadres considèrent que leur charge de travail a augmenté et 50 % considèrent que leur temps de travail a augmenté. Depuis le baromètre cadre de l’Ugict-Cgt d’avril 2014, ce résultat traduit un léger fléchissement de respectivement 3 points pour la charge de travail et de 5 points pour le temps de travail, après une hausse depuis janvier 2012 de respectivement 11 et 12 points.
La hausse de la charge de travail est largement majoritaire et répandue quels que soient la taille de l’entreprise et le secteur d’activité professionnelle.
Des charges de travail très lourdes dans le public
Le secteur public est cependant plus touché que le secteur privé (65,6 % vs 63,9 %). L’instabilité des organisations, les réorganisations incessantes participent à la surcharge de travail. Dans la fonction publique, le non-remplacement des départs en retraite et l’augmentation du nombre de missions nouvelles dans le cadre des réformes publiques accentuent le phénomène.
Conséquence directe, l’arbitrage entre rémunération et jours de RTT se trouve faussé, car la pression au travail rend plus difficile la prise de jours RTT. Ce n’est pas un hasard si dans la fonction publique près de 40 % des répondants « ne se prononcent pas » lorsqu’on leur demande s’ils préfèreraient le paiement ou la récupération des heures supplémentaires effectuées.
Notons cependant que pour l’ensemble des cadres, 43 % (+2 points par rapport à 2014) souhaitent « conserver leurs jours de RTT » et 41 % (+ 1 point par rapport à 2014) « prendre moins de jours de RTT et être rémunérés ».
L’aspiration à la prise des jours RTT reste donc très forte. L’écart entre les femmes et les hommes reste élevé et stable depuis 1 an, puisqu’en 2015 le différentiel femme/homme (48 % vs 39,4 %) représente toujours environ 10 points (46,5 % vs 36,7 %). Avec un écart femme/homme encore plus important pour « prendre moins de jours de RTT et être rémunérés » en 2015 (31 % vs 47,6 %) et pour 2014 (29,4 % vs 47,7 %).
Les cadres déclarent travailler plus de 44 heures, en moyenne
La durée moyenne hebdomadaire du temps de travail déclarée par les cadres est de 44,6 heures très exactement. 21 % des cadres interrogés disent travailler plus de 50 heures par semaine.
L’enquête de la DARES du 26 juillet 2013 avait déjà révélé la hausse significative de l’horaire hebdomadaire des cadres (de 42,6 h en 2003 à 44,1 h en 2011), en mettant en évidence le lien de cette hausse avec l’accroissement du nombre de salarié-e-s aux forfaits-jours.
+ d’infos : travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2013-047.pdf
Les cadres sont ceux dont la durée du temps de travail augmente le plus. Cela va à l’encontre de leurs aspirations à plus d’équilibre entre leur vie privée et professionnelle et à une meilleure qualité de vie au travail.
Pour l’Ugict-CGT, il est nécessaire de réinterroger les organisations du travail, le mode de management (délai de plus en plus court, objectifs de plus en plus déconnectés de la réalité, etc.), la charge de travail et l’évaluation au regard des moyens mis à disposition.
Travail du dimanche
56 % des cadres déclarent travailler pendant leurs jours de repos ; 23 % « souvent » et 33 % « de temps en temps ».
Pour les cadres déclarant travailler « souvent » pendant leurs jours de repos la différence est très forte entre le secteur public et le secteur privé (39,8 % vs 14,1 %) avec une pointe dans la fonction publique (46,3 %).
Pour les cadres déclarant travailler « de temps en temps », la différence est plus faible entre le secteur public et le secteur privé (30,5 % vs 34,4 %).
Le débordement du travail sur la vie privée est caractérisé. Malgré les aspirations à avoir un équilibre vie privée / vie professionnelle le surtravail est la règle, avec débordement le soir, le week-end, et pendant les vacances.
La norme de « disponibilité extensive » est favorisée par certaines pratiques managériales, le développement des forfaits-jours, et la mauvaise utilisation des outils numériques qui prolonge le lien de subordination au-delà de sa durée contractuelle.
Pour sortir de cette situation l’Ugict-CGT propose :
- d’encadrer le forfait jours pour être en conformité avec la législation européenne
- d’encadrer l’usage du numérique
6/ Organiser sa défense
Les cadres comptent d’abord sur eux-mêmes pour se défendre
La crise de confiance dans le collectif est évidente, mais elle est moins dirigée vers les syndicats que ne laissent entendre les idées reçues.
Très majoritairement, à hauteur de 52 % (- 5 points par rapport à 2014), les cadres ont une approche individuelle pour défendre leurs droits et leur emploi.
Les syndicats arrivent en deuxième position avec 25 %, devant les avocats à 11 %, la direction 7 %, les pouvoirs publics 3,7 %, les partis politiques.
L’analyse par taille d’entreprise montre que le défaut d’implantation syndicale favorise l’approche individuelle.
Ainsi, dans les petites entreprises de moins de 50 salarié-e-s, les cadres déclarent pour se défendre d’abord compter sur eux-mêmes (63,1 %) et placent les avocats (15,1 %) devant les syndicats (8,7 %). Alors que pour les entreprises de 200 salarié-e-s, les syndicats sont largement devant les avocats (23,6 % vs 14 %). L’écart continue à s’accroître avec la taille de l’entreprise.
Le déterminant de la présence syndicale se retrouve également en comparant les résultats entre le secteur public et le secteur privé pour la confiance accordée aux syndicats pour défendre les droits et l’emploi.
Dans le secteur public, l’écart se réduit entre « se débrouiller par soi-même » (46,9 %) et
« avec les syndicats » (35,7 %), tandis que dans le secteur privé l’écart s’accroit entre les deux approches (55,5 % vs 19,9 %).
Les femmes font plus confiance aux syndicats que les hommes (28,6 % vs 23,6 %).
À noter également que la confiance dans les syndicats s’accroit avec l’âge 23,3 % pour la tranche 18-29 ans à 30 % pour la tranche 50-59 ans.