Dissolution de l’Assemblée nationale, risque d’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite : quels enjeux pour les services publics ?  

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Les élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 pourraient voir l’extrême-droite arriver au pouvoir en France. Il s’agirait d’un changement politique radical qui remettrait en question les principes républicains du service public. 

Dans ce contexte, et au vu de la gravité de la situation, la CGT et son Ugict mettent tout en œuvre pour faire barrage à l’extrême-droite. La CGT appelle les salarié·es, retraité·es et privé·es d’emploi à aller voter le plus nombreux et nombreuses possible les 30 juin et 7 juillet pour le programme du Nouveau Front populaire. Il s’agit en effet du programme qui répond le mieux aux attentes et aspirations des travailleuses et des travailleurs et qui ouvre le plus de possibilités de mobilisations gagnantes.

Pour mieux comprendre les enjeux de cette élection sur services publics, l’Ugict-CGT vous propose de revenir en 9 questions sur les principes du service public et la nécessité de disposer d’un statut général de la fonction publique, protecteur pour les agent·es comme pour les usager·es. 

 

1er enjeu : fonctionnaire sujet·te ou fonctionnaire citoyen·ne ? 

Alors que l’extrême droite menace, il est légitime de se demander si les garanties statutaires sont encore suffisantes pour protéger le fonctionnement démocratique de nos administrations et services publics. Il y a un risque de revenir à une vision passéiste d’un fonctionnaire silencieux et besogneux, soumis à sa hiérarchie elle-même soumise à un pouvoir politique réactionnaire.

“Le statut général de la fonction publique a été créé pour protéger les fonctionnaires contre l’arbitraire, contre la connivence politique, le népotisme, le clientélisme. “ 

Antony Taillefait, professeur de droit public.

Mis en place au sortir de la seconde guerre mondiale pour tirer les leçons de dérives du dernier gouvernement d’extrême droite que notre pays a connu de 1940 à 1944, le statut de la fonction publique de l’État de 1946 (renforcé et étendu en 1983, 1984 et 1986 aux versants territorial et hospitalier) a permis de sortir le fonctionnaire d’une position de « sujet » à l’égard du politique. 

« Les fonctionnaires, à tous les rangs de la hiérarchie, sont soumis à une discipline fondée sur l’autorité des chefs, l’obéissance et la fidélité des subordonnés. »  

Loi du 14 septembre 1941 portant statut général des fonctionnaires civils de l’État et des établissements publics de l’État (article 13).

Une conception du « fonctionnaire citoyen » s’est imposée. Alors que le « fonctionnaire sujet » est inféodé au pouvoir politique, le « fonctionnaire citoyen », loyal aux décisions du pouvoir démocratiquement élu, a aussi une épaisseur propre. 

« Le fonctionnaire ne doit plus être le domestique du Gouvernement livré à l’arbitraire ou au favoritisme mais seulement le serviteur de l’État et de la nation, garanti dans ses droits, son avancement et son traitement, conscient en même temps de sa responsabilité, considéré comme un homme et non comme un rouage impersonnel de la machine administrative. » 

Maurice Thorez, vice-président du conseil communiste (19 octobre 1946)

Il est défenseur des principes de la République, veille à l’égalité de traitement et la neutralité de l’intervention de l’État ainsi qu’au respect des valeurs républicaines. Le Code Général de la Fonction Publique (article L121-2 du CGFP) pose le principe de neutralité : « l’agent public traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité. » Le CGFP pose aussi le principe d’obéissance hiérarchique (article L121-10) : « l’agent doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. » Dans un contexte où le pouvoir politique est entre les mains de responsables républicains, la ligne de crête posée par le statut semble assez claire. 

Imaginons à présent les mêmes fonctionnaires confronté·es à la mise en œuvre des dispositions dites de « préférence nationale », confrontés à l’injustice d’une remise en cause du droit du sol, la fin de l’aide médicale d’état, et toutes les mesures discriminantes et xénophobes induites par des politiques d’extrême-droite. C’est d’emblée mettre les agent·es publics·ques en porte-à-faux entre les principes de dignité, d’impartialité, d’intégrité et de probité (article L 121-1 CGFP) et les ordres imposés par leur hiérarchie. A plus forte raison, pas le niveau des responsabilités exercées, les cadres et professions intermédiaires de la fonction publique seraient particulièrement exposé·es.

Sur le dévoiement du “devoir de réserve” la CGT Etat (UFSE) et le Collectif Nos Services publics ont publié des outils

2e enjeu : les fonctionnaires, des travailleur·ses comme les autres ?

La nature des missions exercées par l’agent·e public·que nécessite un statut particulier. Il tient à l’importance des missions liées à la mise en œuvre des décisions d’intérêt général.

“La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.” 

Réponse : Article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. 

Mais il tient également au risque d’exposition des agent·es public·ques, en particulier cadres et professions intermédiaires qui sont plus fréquemment dans des positions de décideurs·ses. La corruption est un risque endémique pour tout Etat. Le secteur public, ne serait-ce que par les montants attribués dans le cadre des marchés publics (plus de 150 milliards d’€ par an en France) est un secteur à risque par nature. 

“La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.” 

Réponse : Article 15 Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen 1789

Les études conduites sur les atteintes à la probité (SSMSI et AFA, 27 octobre 2022) montrent une corruption plus présente dans le secteur public (68% des cas recensés). Le détricotage des statuts de la fonction publique a renforcé la perméabilité avec les intérêts privés. Les atteintes à la probité ont augmenté à un rythme annuel de +5% par an entre 2016 et 2021.

Le statut de la fonction publique a une double fonction, celle d’attacher certaines exigences aux agent·es en charge de l’exercice de ces missions mais en offrant aussi des garanties protectrices qui visent à les protéger des pressions de toute nature, politique ou autres, qui pourraient les détourner du service de l’intérêt général.

3e enjeu : quid du droit de grève des agent·es des services publics ? 

Le droit de faire grève est une conquête des fonctionnaires. 

« La grève, si elle est un fait pouvant se produire légalement au cours de l’exécution d’un contrat de travail réglé par les dispositions du droit privé, est, au contraire, lorsqu’elle résulte d’un refus de service concerté entre des fonctionnaires, un acte illicite, alors même qu’il ne pourrait être réprimé par l’application de la loi pénale ; que, par son acceptation de l’emploi qui lui a été conféré, le fonctionnaire s’est soumis à toutes les obligations dérivant des nécessités mêmes du service public et a renoncé à toutes les facultés incompatibles avec une continuité essentielle à la vie nationale. Qu’en se mettant en grève les agents préposés au service public, sous quelque dénomination que ce soit, ne commettent pas seulement une faute individuelle, mais qu’ils se placent eux-mêmes, par un acte collectif, en dehors de l’application des lois et règlements édictés. » 

Arrêt « Winkell » du Conseil d’État du 7 août 1909 

Avec l’éventualité d’une extrême droite au pouvoir, ne va-t-on pas payer chèrement les politiques d’affaiblissement des statuts de la fonction publique ? 

« Le fonctionnaire est un homme de silence. Il sert, il travaille et il se tait. » 

Michel Debré peu après la loi du 19 octobre 1946 créant la fonction publique de l’État.

Conçus en 1946 pour conjurer les dérives de la machine bureaucratique et sa compromission dans le régime de Vichy, renforcés en 1983 pour donner consistance à l’idée d’un·e fonctionnaire citoyen·ne (et non pas « sujet·te » c’est-à-dire intégralement soumis·e au politique), le statut a fait l’objet d’incessantes attaques visant son affaiblissement constant. 

Les fonctionnaires ont un devoir de loyauté à l’égard des décisions du pouvoir politique mais cela suppose que le pouvoir politique demeure dans un cadre démocratique. Au nom de la soi-disant modernisation des statuts, les garanties collectives ont été affaiblies. 

Les responsables politiques réactionnaires s’attachent à abattre tous les contre-pouvoirs. Ils craignent ce qui garantit l’autonomie des fonctionnaires. Car ils savent qu’au-dessus des ordres directs et du devoir d’obéissance hiérarchique se trouve l’obligation de s’affranchir d’un ordre manifestement illégal. (article L121-10 du CGFP).

 « A minima, il faut interdire le droit de grève au moment des vacances scolaires et des jours fériés dans la fonction publique ce qui paraît le minimum en contrepartie, une fois de plus, de l’emploi à vie des fonctionnaires. » 

Maréchal, Marion, tête liste Reconquête ! Élections européennes 9 juin 2024

Le droit de grève est un marqueur de l’indépendance des fonctionnaires à l’égard du pouvoir politique. Celui-ci est déjà restreint pour certaines professions (policier·es, magistrat·es…). L’extrême-droite cherche à avoir un appareil d’Etat aux ordres pour appliquer sa politique discriminatoire et de brutalité sociale.

4e enjeu : recrutement, promotion, licenciement : le fait du prince ?

“Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.” 

Article 6 de la déclaration des droits de l’Homme de 1789

La déclaration de 1789, de portée universelle, s’inscrit aussi dans son temps en opposition aux règles en vigueur dans l’ancien régime monarchique. L’Etat monarchique, par le système des charges et offices démultipliés à l’extrême, avait complétement dévoyé le service de l’Etat permettant aux plus aisés de se porter acquéreur d’une charge dont ils cherchaient avant tout à tirer une rentabilité personnelle. Un système naturellement très éloigné de l’intérêt général. 

Ces dispositions fondent le système du recrutement par concours, certes imparfait mais auquel il n’a pu être trouvé aucune alternative compatible avec l’intérêt général. On le sait, dès que les règles du recrutement par concours sont affaiblies, on laisse des possibilités de cooptations, de népotisme se développer. C’est l’affinité avec le recruteur qui devient le critère de recrutement principal plutôt que les “vertus et les talents”.

La légitimité d’un recrutement obtenu par le succès à un concours (et souvent une formation ensuite) justifie que les fonctionnaires soient titulaires de leur grade et de la rémunération qui y est attachée. C’est un élément fondamental de la garantie de l’emploi.

Les fonctionnaires peuvent être amené·es à changer de postes et d’affectation mais ils et elles gardent la protection de leur grade. Ce principe a été écorné par l’introduction de mécanismes de rémunération non indiciaires qui représentent une part croissante du salaire (24%, Dgafp), en particulier pour les cadres et les professions intermédiaires. Or, les primes et indemnités sont aléatoires, varient parfois au gré des affectations. 

De plus en plus, elles sont aussi discrétionnaires. C’est un des mensonges passé dans le langage courant sur la rémunération dite “au mérite” des fonctionnaires. Il ne s’agit en réalité que l’attribution d’un complément de rémunération non fondé sur les mérites réels des agent·es mais sur l’évaluation des supérieur·es hiérarchiques. 

Ce n’est donc pas une prime au mérite mais bien une prime discrétionnaire utilisée dans un panel d’instruments managériaux au service des objectifs des directions. La prime n’est pas un outil de promotion mais de soumission. Elle porte aussi une justification pour bloquer le point d’indice des fonctionnaires.

5e enjeu : quid des promotions ? 

Tous les gouvernements qui ont porté le discours de la promotion interne en ces termes ont en réalité mis en place plus de barrières dans les avancements de grades, plus de conditionnalités, plus de restriction par des ratios ou des quotas… Ils n’en ont pas fait un outil de reconnaissance mais un outil de discipline dans la boîte à outils des managers.

« Plus largement, il faut s’interroger sur la place potentiellement renforcée à donner aux modalités de promotion interne qui valorisent l’expérience et l’engagement professionnel.” 

Stanislas Guérini 24 mai 2024

La promotion de certain·es agent·es suppose également l’exclusion des autres sur des critères qui ne sont que rarement explicités et qui sont tous empreints d’une grande subjectivité de la part d’un·e évaluateur·rice tout·e puissant·e (n’oublions pas que les voies de recours sont désormais fortement limitées depuis la loi de 2019).

Rappelons également le recours sans cesse accru aux contractuel·les qui sont maintenu·es dans la précarité d’un renouvellement ou pas du contrat (ils et elles représentent 22% des effectifs de la fonction publique, Dgafp). Les contractuel·les sont privé·es de déroulement de carrière et de promotion autre que celle permise par la signature d’un avenant décidé par la direction ce qui a pour effet de les mettre dans un rapport de dépendance complet et donc là encore de soumission avec l’encadrement.

Certains agent·es des catégories cadres et professions intermédiaires (A et B), rebuté·es par les grilles de la fonction publique qui ont organisé un véritable déclassement depuis 30 ans pour le travail qualifié, préfèrent aujourd’hui une embauche en tant que contractuel·le. Ils et elles sont amené·es à arbitrer entre une rémunération immédiate peut-être plus importante (sur certains postes uniquement) et le renoncement à un déroulement de carrière légitime. Cette situation, c’est perdant-perdant. La CGT revendique des carrières linéaires en deux grades sans barrière sur la base de grilles qui reconnaissent la qualification.

La promotion sous forme d’avancement d’échelons ou de grade doit être un droit pour chaque agent·e et non le fait du prince en fonction des affinités personnelles de tel ou telle supérieur·e hiérarchique.

Plaçons-nous à présent dans la perspective d’objectifs professionnels permettant la promotion interne sous un gouvernement d’extrême droite…

6e enjeu : quid du licenciement ?

Sous le régime de Vichy le licenciement des fonctionnaires est une innovation.

 « C’est là une innovation essentielle du statut, l’autorité pourra se manifester à tout moment par le droit de licencier le fonctionnaire faisant preuve d’insuffisance professionnelle, alors même qu’aucune faute de nature à justifier la révocation n’a été relevée contre lui. » 

Citation Journal Officiel de l’État Français du 1er octobre 1941.

La révocation pour insuffisance professionnelle est déjà possible dans la fonction publique. L’objectif de Guérini est d’accroître la pression sur les fonctionnaires en faisant planer une menace renforcée. C’est l’occasion aussi d’un discours populiste visant à attiser les poncifs anti-fonctionnaires répandues dans la population. 

« C’est un dévoiement du statut de la fonction publique que de considérer qu’au nom de la garantie de l’emploi on ne puisse pas se séparer d’un agent qui ne ferait pas son boulot. La justice, c’est de récompenser les agents qui sont engagés et de sanctionner ceux qui ne font pas suffisamment leur travail » 

Stanislas Guérini, 9 avril 2024

Le licenciement, c’est bien la menace ultime qu’on veut agiter pour s’assurer la soumission des fonctionnaires. Si un·e fonctionnaire est en désaccord, il ou elle n’aura plus qu’à se soumettre ou de démettre. Telle semble être la logique suivie. Ceci est évidemment une attaque sur un principe fondamental du statut qui pose la garantie du grade comme une protection contre les pressions. lever cette garantie, c’est rendre à nouveau possible les pressions.

Dans un contexte où les mesures liberticides s’accroissent, ceci dresse de sombres perspectives. Dans un contexte où l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite adviendrait, cela lui donne l’outil ultime pour soumettre tout·e fonctionnaire récalcitrant·e ou tout simplement soucieux·se de garantir le respect des principes démocratiques face aux politiques de discrimination.

7e enjeu : quid de la “haute fonction publique” ?

 « Les secrétaires d’État, hauts dignitaires et hauts fonctionnaires de l’État prêtent serment devant le chef de l’État. Ils jurent fidélité́ à sa personne et s’engagent à exercer leur charge pour le bien de l’État, selon les lois de l’honneur et de la probité́. » 

Acte constitutionnel N°7 – 27 janvier 1941 (Article 1er)  

La fidélité des haut·es fonctionnaires est une obsession de tout régime autoritaire. Conçue comme adossée au pouvoir politique, la haute fonction publique suscite toutes les attentions du pouvoir. Macron a réformé l’ENA et supprimé l’accès direct aux grands corps pour soi-disant démocratiser la haute fonction publique. Il a en fait remplacé un système élitiste et insatisfaisant par un système de cooptation renforcé par le pouvoir politique sur tous les emplois supérieurs. D’ailleurs, on ne parle plus guère de démocratiser la haute fonction publique. 

« Les emplois à la discrétion du Gouvernement, ils existent et il n’est pas question ici, il n’a jamais été question ici de modifier l’article 13 de notre Constitution. Servir l’État, mieux servir l’État, c’est l’objectif de la réforme, sans s’asservir au pouvoir. » 

Jean Castex, premier ministre, 28 janvier 2022. Discours inaugural de l’Institut National du Service Public (remplaçant l’ENA)

Le contrôle de la haute fonction publique est vu comme crucial par le pouvoir qui a besoin de ces relais administratifs. N’excluant pas un spoil system à l’américaine (un changement d’une partie de l’administration à l’occasion des alternances politiques), Macron a organisé une valse des hauts fonctionnaires dès son arrivée. Il a d’ailleurs pris soin de leur rappeler, à grand renfort de conférence managériale, à quel point leur adhésion aux objectifs politiques du gouvernement était attendue.

« Cette fonction d’entrepreneur de l’État, ce doit être l’ADN des préfets d’aujourd’hui, c’est la réponse à nombre de nos maux, c’est aussi ce que je veux que vous diffusiez chez tous vos agents, toutes celles et ceux qui servent l’État. » 

Emmanuel Macron, discours aux préfets 5 septembre 2017.

Il a ainsi fédéré autour de lui une partie de la haute fonction publique convaincue par les orientations néo-libérales de ses politiques. Certain·es de ces agent·es sont désormais sidéré·es par la possible arrivée au pouvoir du RN et du grand ménage qui pourrait en résulter.

Ce système n’est pas sérieux. La perméabilité entre le pouvoir politique et la haute administration ne sert pas l’intérêt général mais crée une caste docile là où c’est le sens stratégique de l’Etat qui est attendu. Il convient d’arrimer à nouveau la haute fonction publique au droit commun de la fonction publique. Plus de transparence dans la sélection des candidat·es, plus de diversité des profils, plus de clarté dans les processus de nomination, plus de droit de refus et d’alternative face aux décisions politiques. Les “A+” donnent la tonalité pour l’ensemble de la fonction publique. Plus leur indépendance est garantie, plus celle de l’ensemble des agent·es le sera.

A l’heure où les statuts de la fonction publique n’existaient pas, il y a eu moins de Jean Moulin (préfet) que de Maurice Papon ou René Bousquet (à ne pas confondre avec Pierre Bousquet, ancien Waffen SS de la division Charlemagne qui a cofondé le Front National avec Jean-Marie Le Pen en 1972). L’existence des statuts de la fonction publique et leur pleine application sur toutes les catégories de fonctionnaires doit avoir pour effet que, face aux circonstances parfois graves de l’Histoire, plus de garant·es de la démocratie et de l’Etat de droit se dressent face aux tendances fascistes et liberticides qui peuvent traverser la société.

Les déclarations du RN de vouloir interdire certains emplois stratégiques aux binationaux·ales n’augure pas de bonnes dispositions à l’égard de la “haute fonction publique”.

8e enjeu : le service public, un luxe qu’on n’aurait plus les moyens de se payer.

“La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts.” 

Georges Clémenceau. 

Les bons mots de Clémenceau au début du XXème siècle montrent que le discours anti-fonctionnaire n’a que très peu évolué depuis un siècle. Ce serait faire fi des besoins qui ont fortement augmenté. Les enjeux cruciaux d’intérêt général se posent à nous. Il ne s’agit pas de publier des lois pour changer la vie mais encore faut-il des personnes pour les mettre en œuvre. 

Selon l’indicateur de l’activité normative (mai 2024) par le secrétariat général du premier ministre, le nombre d’articles législatifs consolidés a augmenté de 73,4% entre 2003 et 2024. Pour les articles réglementaires, cette augmentation est de 53,2%. Ce ne sont pas moins de 354 223 articles législatifs et réglementaires qui sont en vigueur actuellement… Peut-on imaginer que ces dispositions s’appliquent de manière purement spontanée ?

Et ceci sans prendre en considération de vastes champs qui devraient relever de l’action publique et qui sont délaissés. Les défis environnementaux par exemple nécessitent des moyens humains et donc l’embauche massive de fonctionnaires pour répondre aux défis de l’urgence climatique.

Il faut “dégraisser le mammouth.” 

Claude Allègre, ministre en charge de l’éducation nationale 24 juin 1997. 

Le ministre de l’éducation nationale apportait alors sa contribution à un vaste mouvement de remise en cause du rôle de l’Etat. Depuis la LOLF de Chirac, la RGPP de Sarkozy, la MAP de Hollande, le CAP 2022 de Macron, nous avons vu s’imposer une doxa libérale visant à renverser la logique du service public. L’idée n’est plus de partir des besoins de la population et de mettre en œuvre les services publics qui correspondent à l’identification de ces besoins mais de définir une enveloppe budgétaire et de rationaliser l’action de l’Etat. Il faudrait “mieux d’Etat” par des supposés gains de productivité pour booster l’efficacité de l’action publique. On en voit aujourd’hui les résultats délétères.

La part de l’emploi public dans la population active est en diminution, les rémunérations sont en berne avec le gel du point d’indice, les conditions de travail se durcissent, la fonction publique est au cœur de la tourmente. Le manque d’attractivité de certaines professions comme les enseignant·es ou les soignant·es est devenu criant. Les cadres et professions intermédiaires ont été victimes de ces évolutions.

Ils et elles ont souvent été les chevilles ouvrières de ce repli idéologique de l’Etat, constatant non pas l’amélioration du service public mais sa dégradation constante. Le baromètre annuel de l’Ugict-CGT montre combien cette situation pose des problèmes éthiques : en 2023/2024 9 cadres et professions intermédiaires sur 10 disent que leur éthique professionnelle entre en contradiction avec les choix et pratiques de leur administration (ViaVoice/Ugict 2024)

“Pourquoi les services publics “craquent”-ils ? Un écart croissant entre les besoins de la population et les moyens des services publics qui renforce les inégalités, crée un espace croissant de désocialisation de la réponse aux besoins et accentue la rupture avec la population et avec les agents des services publics.” 

Collectif Nos services publics, rapport sur l’état des services publics 2023.

L’étude conduite par le collectif nos services publics pointe parfaitement le paradoxe actuel. Les politiques néo-libérales conduites à marche forcée depuis au moins 30 ans ont abouti à un désengagement de l’Etat qui laisse des vides et donc une population sans réponse face à un besoin pourtant bien réel. 

Les dysfonctionnements engendrés sont souvent analysés comme des manquements des fonctionnaires qui les servent et alimentent le discours sur un fonctionnariat qui serait inadapté, trop protecteur, plus en phase avec les besoins de la société…

En réalité, on demande l’impossible. On réduit les moyens et on fait peser sur les agents la culpabilité des dysfonctionnements que cela engendre, comptant sur leur engagement professionnel pour pallier les carences sciemment organisées.

9e enjeu : quid de l’efficacité de la gestion privée des services publics ?

“Le populisme se nourrit du manque d’empressement des pouvoirs publics à clarifier leurs liens avec les intérêts privés et à lutter efficacement contre la corruption. Cet immobilisme transforme la légitime exaspération des citoyens en un populisme qui menace l’Etat de droit.” 

Transparency International. 2022.

Pour illustrer cette situation, examinons le cas emblématique du recours aux cabinets conseil. Le rapport sénatorial publié en mars 2022 au sortir du Covid relève ainsi dans son étude de cas 46,05 millions d’euros de prestations conseil durant la crise sanitaire (principalement auprès de Mc Kinsey, Citwell et Accenture). Les dépenses engagées interrogent. Si on considère les « seuls » 12 326 646 € versés à Mc Kinsey pour 4551 journées de prestation, on se rend compte qu’il aurait suffi de 22 Équivalents Temps Plein de directeurs·rices pour couvrir un travail identique pour un coût en masse salariale avec cotisation de « seulement » 2 400 000 € environ.

En clair, l’État a conduit une politique drastique de réduction du nombre de directeurs·rices (-20% sur quinze ans), se privant d’une compétence qu’il est à présent contraint de payer à des cabinets privés 5 fois plus cher que s’il avait eu recours à des fonctionnaires parfaitement qualifié·es.

Par ailleurs, l’impartialité d’intervenant·es conseils si intégrés dans le processus de décision gouvernementale interroge sur l’indépendance des pouvoirs publics à l’égard du secteur privé et des conflits d’intérêt qui pourraient en résulter. 

Comme le soulignait le politologue Yves Mény « un collaborateur dévoué accepterait ce qu’un fonctionnaire indépendant refuserait ». La docilité a un prix que le gouvernement a choisi de payer à grand renfort de deniers publics.

Les cabinets de conseil dont le champ d’action est souvent international sont vecteurs d’uniformisation de concepts et d’organisation. En clair, ils plaquent des recettes toutes faites issues des préceptes libéraux importés sur une réalité hospitalière largement ignorée au nom d’une recherche d’économie immédiate. Un bien mauvais calcul au final pour les finances publiques.

Cet exemple pris dans le champ de la santé peut hélas être dupliqué dans de nombreux champs de l’intervention stratégique de l’Etat qui devraient relever des corps et cadres d’emplois de cadres et professions intermédiaires dans la fonction publique. 

Le nouveau management public montre toutes ses limites : il est plus coûteux que le fonctionnariat, n’apporte pas les mêmes garanties de neutralité et apporte des réponses standardisées dont la qualité du service public pâtit.

“Il faut partir de la réalité de la fonction publique qui n’est pas celle de l’entreprise privée sur laquelle le gouvernement souhaiterait l’aligner. D’abord, la fonction publique, c’est un effort collectif de travailleurs solidaires œuvrant dans un service public d’intérêt général. C’est ensuite, un ensemble structuré pour être clairement visible par la population et socialement efficace dans la conduite des actions publiques. C’est enfin, une organisation de long terme pour mettre en œuvre les planifications et programmations nécessaires au service de l’intérêt général qui ne peut s’apprécier que sur le long terme. Ce sont ces caractéristiques qui justifient pour l’administration, comme pour le fonctionnaire, le système dit de la carrière couvrant toute la vie professionnelle de ce dernier.” 

Anicet Le Pors, conseiller d’Etat honoraire et ancien ministre.

Anicet Le Pors rappelle ici des évidences qui ont un peu été perdues de vues en raison de l’offensive néolibérale des dernières décennies qui ont brouillé les analyses.

A l’heure où la nouvelle gestion publique portée depuis des décennies se base sur l’idéologie d’une meilleure performance de la gestion privée, il peut être bon de se souvenir des errements auxquels cela a toujours conduit. Sous l’Ancien Régime, des fermiers généraux, désignés par le pouvoir royal, avaient autorité  (malgré leur statut “d’agents privés” pour transposer en termes plus actuels) la collecte de certains impôts dont la gabelle (sur le sel) est le plus connu. A la veille de la Révolution de 1789, les fermiers généraux collectaient ainsi 120 millions de Livres par an mais n’en reversaient que … 40 millions, même pas un tiers, dans les caisses du royaume. CQFD.

L’importance de disposer d’agent·es, et donc de fonctionnaires, au service exclusif de l’Etat, est attestée historiquement même si ces vérités ont eu tendance à se perdre. C’est pourtant l’évidence, mettre en charge des acteurs privés pour des missions de service public, c’est leur donner les moyens de tirer profit de ce qui devrait relever du bien commun. Les scandales dans les EHPAD privés, les juteux partenariats publics privés, les externalisations qui finissent par coûter plus cher, sont autant d’exemples contemporains qui nous rappellent une évidence. Il n’y a pas de capitalisme philanthropique, laisser entrer le privé dans le service public, c’est lui assurer une source de profit. Il n’y a pas de main invisible au service de l’intérêt général. En matière d’intérêt général, la seule main du marché qui est invisible c’est celle qui fait les poches des citoyens qui regardent ailleurs.

La fonction publique est un rempart face à l’insatiable recherche de profit du capital. 

Combien coûte de remettre le service public sur de bons rails ? Quelques dizaines de milliards d’euros, une “paille” comparée au biberonnage permanent des entreprises privées devenues addictes aux aides publiques

 

Contre l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite, pour protéger les services publics, patrimoine de celles et ceux qui n’en ont pas, la CGT et son Ugict appellent à voter pour le programme du Nouveau front populaire. 

Elle décrypte dans ce webinaire les programmes de Renaissance, du Rassemblement national et du Nouveau front populaire en matière de services publics sur 3 points : 

  • le financement des services publics

  • les collectivités territoriales

  • les transports et l’énergie

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