Pour en savoir plus
Un projet de directive européenne sur le secret des affaires est en effet en débat au niveau européen. Proposé par la Commission, ce projet de directive sera soumis aux députés européens en séance plénière probablement avant la fin de l’année 2015. La discussion a actuellement lieu en « trilogue » pour accorder les positions de la Commission, du Parlement et du Conseil européens. La France devra donc faire part de sa position, qui sera déterminante pour les arbitrages sur ce projet de directive.
De nombreuses initiatives, notamment l’appel européen stoptradesecrets.eu et la pétition initiée par la journaliste Elise Lucet, ont deja denoncé cette directive qui remet en cause les libertés et droits fondamentaux.Â
Lettre ouverte au président de la République
«
Monsieur le Président de la République,
Un projet de directive européenne sur le secret des affaires est actuellement en débat au niveau européen. Proposé par la commission, ce projet de directive sera soumis aux députés européens en séance plénière probablement avant la fin de l’année 2015. La discussion a actuellement lieu en « trilogue » pour accorder les positions de la Commission, du Parlement et du Conseil européens. La France devra donc faire part de sa position, qui sera déterminante pour les arbitrages sur ce projet de directive.
Alors que les enjeux de cette directive sur les droits individuels et collectifs des salariés sont considérables, ni les organisations syndicales, ni les ONG n’ont été formellement consultées sur la question. Eurocadres, la CES, la CEC et de nombreuses organisations syndicales nationales et ONG ont pourtant, depuis le début de la procédure, émis de multiples réserves qui n’ont pas été entendues. De nombreuses initiatives ont été prises pour alerter sur ces dangers, et notamment un appel européen intitulé « Stop Trade Secrets » qui a été signé par 67 organisations issues de 11 pays européens, ou encore une pétition initiée en France par la journaliste Elise Lucet qui a reçu plus de 430 000 signatures.
Ce projet de directive menace les droits fondamentaux et fait primer le droit des multinationales sur les intérêts sociaux, environnementaux et démocratiques. Si Le but affiché de la directive est la production d’une définition commune du secret des affaires pour protéger les opérateurs économiques face à la concurrence déloyale,cette directive est dangereuse à plusieurs titres. D’abord, la définition du secret des affaires est large et floue et concerne l’intégralité des informations confidentielles. Ensuite, l’infraction au secret des affaires aurait lieu dès lors que ces informations seraient obtenues, quelle que soit la diffusion qui en serait faite et quel que soit l’objectif de cette diffusion.
Dans la vie quotidienne, cette directive peut limiter la mobilité des salariés. Le Conseil européen propose notamment de permettre aux entreprises de poursuivre leurs salariés devant les tribunaux pendant 6 ans, ce qui revient à leur imposer des clauses de non concurrence les empêchant d’utiliser leurs savoir-faire auprès de leur nouvel employeur. De même, pour ce qui concerne l’exercice des droits syndicaux des représentants des travailleurs. Choix stratégiques, projets de cession ou de reprise, PSE, délocalisation, activité dans les filiales et sous-traitance, utilisation des aides publiques…, nombreux sont les élus et syndicalistes courageux qui communiquent aux salariés voire à la presse ces informations pour contrer les pratiques abusives des actionnaires. Avec ce projet de directive, lanceurs d’alerte, syndicalistes et journalistes travaillant au service de l’intérêt général risquent désormais d’être poursuivis par la justice, à l’image de ce qui arrive à Antoine Deltour (pourtant décoré du prix de Citoyen Européen) et Edouard Perrin (qui a fait son travail de journaliste) dans l’affaire LuxLeaks.
Aucune exception générale n’est prévue dans le texte pour protéger l’action des journalistes d’investigation, des organisations de la société civile ou encore des lanceurs d’alerte. Aucune exception non plus sur les droits fondamentaux, en particulier en matière de santé et d’environnement.
Les fameuses « données à caractère commercial » qui seraient protégées par le secret des affaires, et dont la divulgation serait passible de sanctions pénales, relèvent très souvent de l’intérêt général supérieur pour le public. Ce fut le cas, par exemple, pour les montages fiscaux et financiers négociés entre plusieurs grands groupes et l’administration fiscale du Luxembourg (cf. scandale Luxleaks), ou pour les données d’intérêt général relatives à la santé publique, ou encore pour celles liées à la protection de l’environnement et à la santé des consommateurs dans le secteur de l’industrie chimique et qui seraient dans leur globalité considérées comme secrètes, et soustraites ainsi à toute transparence.
Enfin, la directive européenne prévoit en cas de procédure devant les juridictions civiles ou pénales une restriction de l’accès au dossier ou aux audiences, avant, pendant ou après l’action en justice pour protéger le secret des affaires. Il s’agit d’une grave remise en cause de l’égalité devant la loi – l’ensemble des parties n’ayant plus accès au dossier – et de la liberté d’informer.
En matière de liberté d’expression et de respect des droits humains, la France se doit d’être exemplaire. La position de la France doit faire écho aux inquiétudes portées par l’ensemble des organisations syndicales françaises, de nombreuses ONG et journalistes, et des centaines de milliers de citoyens français. Les députés européens ont déjà fait adopter quelques amendements limitant les dangers de ce projet.
Monsieur le Président de la République, nous comptons sur vous pour stopper les menaces contre la transparence et la démocratie contenues dans cette directive européenne secret des affaires.
»
Un appel commun de
- Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart
- Luc Bérille, secrétaire général de l’Unsa
- Bertrand Bocquet, président de la Fondation Sciences Citoyennes
- Florian Borg, président du Syndicat des Avocats de France
- William Bourdon président de Sherpa
- Vincent Brossel, directeur de Peuples Solidaires-actionAid
- Michel Capron, président du Forum Citoyen pour la RSE
- Thomas Coutrot, porte-parole d’ATTAC France
- Carole Couvert, présidente de la CFE-CGC
- Chantal Cutajar, présidente de l’Observatoire Citoyen pour la Transparence Financière Internationale
- Antoine Deltour, lanceur d’alerte, affaire LuxLeaks
- Françoise Dumont, présidente de la Ligue des Droits de l’Homme
- Guillaume Duval, président du Collectif Ethique sur l’Etiquette
- Cécile Gondard-Lalanne et Eric Beynel, co-délégué-es généraux de l’Union syndicale Solidaires
- Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU
- Wojtek Kalinowski, codirecteur de l’Institut Veblen
- Marie-José Kotlicki, secrétaire générale de la CGT des Ingénieurs, Cadres et Techniciens (UGICT-CGT)
- Vincent Lanier, premier Secrétaire général du Syndicat National des Journalistes
- Daniel Lebègue, président de Transparency International
- Françoise Martres, presidente du Syndicat de la Magistrature
- Eric Peres, secrétaire général de FO-Cadres
- Jean-Christophe Picard, Président d’Anticor
- Bernard Pinaud, délégué général du CCFD-Terre Solidaire
- Benjamin Sonntag, cofondateur de la Quadrature du Net
- Henri Sterdyniak, co-animateur des Économistes atterrés
- Fabrice Tarrit, président de Survie
- Jean-Pierre Therry, secrétaire général de la CFTC-Cadres
- Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat National des Journalistes CGT
- Lucie Watrinet, coordinatrice de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires
Réactions des organisations et personnalités présentes lors de la conférence de presse :
Sophie Binet, CGT des Ingénieurs, Cadres et Techniciens (UGICT-CGT) :
« Alors que le trilogue se réunit demain, 30 organisations interpellent le président de la République François Hollande : la position de la France sur la directive secret des affaires sera déterminante. Elle doit être connue et débattue. Pas question que ce que nous avons fait sortir par la porte en janvier dans la loi Macron ne revienne par la fenêtre d’une directive européenne. »
Antoine Deltour, lanceur d’alerte, affaire LuxLeaks :
« Pour mon rôle dans l’affaire LuxLeaks, je suis accusé, entre autres, d’avoir violé le « secret des affaires », concept pernicieux qui existe déjà dans le droit luxembourgeois. Cette inculpation, qui me fait risquer jusqu’à 5 ans de prison, est une illustration flagrante du danger que la directive « secret des affaires » fait peser sur tous les lanceurs d’alerte en Europe. »
Glen Millot, Fondation Sciences Citoyennes :
« Doit-on sacrifier la santé publique et la protection de l’environnement sur l’autel de la finance ? Combien de vies sauvées par Irène Frachon grâce à son alerte ? Combien de morts supplémentaires si le secret des affaires l’avait obligée à se taire ? »
Joël Gebril, UNSA :
« Au nom de toutes les organisations syndicales, je souhaite exprimer notre vive inquiétude, la définition large et floue du secret des affaires et le fait que les poursuites aient lieu dès la divulgation indépendamment d’une quelconque utilisation commerciale empêchera les représentants du personnel de remplir leur mission et d’informer les salariés. Cette directive menace la mobilité des travailleurs et les empêchera de faire valoir leur savoir et savoir-faire ».
Emmanuel Vire, Syndicat National des Journalistes CGT et Dominique Pralié, Syndicat National des Journalistes :
« La liberté de la presse est particulièrement attaquée. Actuellement, ce projet de directive, à l’image de ce qu’il se passe pour Edouard Perrin dans l’affaire LuxLeaks, permet de poursuivre des journalistes dans l’exercice de leur fonction ».
Benjamin Sonntag, Quadrature du net :
« D’un côté la surveillance est généralisée pour les citoyens, de l’autre, l’opacité est organisée pour les multinationales ».
Michel Capron, Forum citoyen RSE :
« Cette directive nous empêchera d’informer les citoyens sur les pratiques des multinationales et s’oppose au projet de loi en discussion en ce moment au Parlement sur la responsabilité des multinationales »
Françoise Dumont, Ligue des Droits de l’Homme :
« Ce projet de directive remet frontalement en cause les libertés fondamentales et notamment la liberté d’expression dans et en dehors de l’entreprise ».
Eric Beynel, Solidaire :
« Cette directive empêche de faire la transparence sur les questions de santé et d’environnement. Avec cette directive on aurait jamais pu être au courant du scandale de l’amiante ».
Patrick Monfort, FSU :
« Le secret des affaires est aussi une atteinte à la diffusion des connaissances issues de la recherche. »
Claire Etineau, CFTC-Cadres :
« Respecter la responsabilité des cadres dans leur pouvoir d’action et de décisions est un enjeu majeur dans leur carrière professionnelle. La liberté d’expression des cadres doit être respectée. »
Dominique Plihon, ATTAC France :
« L’alerte doit être considérée comme une responsabilité démocratique. Nécessité d’un cadre normatif, institutionnel et judiciaire pour protéger les lanceurs d’alerte. »
Revue de presse
Tribune Médiapart – 02/12
Organisations syndicales et ONG interpellent François Hollande sur le secret des affaires
Dépêche AFP – 02/12
Secret des affaires: syndicats et ONG interpellent François Hollande
Les Echos – 02/12
Secret des affaires : syndicats et ONG demandent à Hollande d’intervenir
L’Humanité – 02/12
Secret des affaires. Une trentaine de syndicats et d’ONG interpellent François Hollande
Politis – 04/12
Secret des affaires : une directive européenne qui ne passe pas
Dépêche AEF – 04/12 (abonné)
Des syndicats et des ONG interpellent le président de la République sur la directive sur le « secret des affaires »
France Inter – 05/12
Secret des affaires : nouveau tollé autour du projet de directive
- We Are The Leaks
- Stop Trade Secrets