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Invité par la CPU à clôturer son 50e anniversaire, le candidat Macron, en jouant de son statut d’actuel Président de la République, a fait un bilan sélectif et autosatisfait de la politique gouvernementale de ces cinq dernières années et présenté sa vision de l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Etonnante, cette satisfaction affichée concernant la gestion de la crise dans les universités, quand on sait comment personnels et étudiant·es sont livrés à eux-mêmes depuis deux ans, quand on sait le nombre de déclarations, de communiqués, d’interventions qui ont été faits, ne serait-ce que dans cette instance, le CNESER, pour dénoncer l’inaction du gouvernement : incohérence, inefficacité, augmentation de la précarité à tous les niveaux, « démerdentiel
» puissance 100, souffrance et dégradation des conditions de travail et d’études, diminution de la dépense publique et augmentation de la pauvreté pour les étudiant·es.
Mensonger, ce bilan d’un quinquennat qui n’a fait que projeter l’ESR dans l’impasse :
« Des milliers de place ouvertes pour accueillir les nouveaux bacheliers » ? C’est faux : aucun moyen mis en face, ni en termes de locaux, ni en nombre de postes, ni en fonctionnement de base.
« Un engagement financier sans précédent » ? C’est faux : la légère augmentation induite par la LPR est en fait inférieure au financement des années précédentes, elle correspond tout juste à l’inflation et porte surtout sur la recherche en négligeant l’enseignement supérieur. Les mesures concernant la recherche tendent à favoriser le modèle par appel à projet et la précarité, en attaquant le statut des organismes et des personnels. Nos organisations ont dit et redit ce qu’elles pensaient de cette loi de programmation.
« Parcoursup, un système d’orientation avec des taux de satisfaction et de réponse incomparables » ? C’est faux : c’est un outil de sélection, imposé selon l’idée (mensongère) d’un échec massif en Licence, et que tous et toutes, étudiant·es, enseignant·es, parents dénoncent depuis 2018.
« La recherche une priorité nationale » ? C’est faux : le secteur de la recherche publique en France est très mal en point. La faiblesse des moyens (financiers et humains), la précarité endémique, les modes de financement de plus en plus axés sur les Appels à projets (AAP), la complexité introduite dans l’organisation de la recherche y sont pour beaucoup. De même, l’effort d’investissement « en propre » (hors aides publiques) des entreprises stagne depuis plus d’une décennie. Malgré cette situation alarmante que ne cesse de dénoncer la communauté scientifique, ni la Loi programmation de la recherche (LPR), votée à la sauvette en pleine période de pandémie fin 2020, ni les plans de relance proposés pour sortir de la crise ne sont à même de rectifier le tir. Pire, les choix qui les sous-tendent ne font qu’accentuer la dérive engagée depuis deux décennies.
Insupportable ce programme annoncé ! Pour faire court : professionnalisation, fin de la gratuité, fin des organismes de recherche.
On a là tout ce qu’on sentait venir depuis des années, tout ce contre quoi nous nous battons depuis la loi Fioraso, voyant déjà venir, dans les dernières réformes, le coup de grâce pour le service public d’enseignement supérieur.
Sur la professionnalisation, de nombreuses études montrent que les compétences acquises à l’université ouvrent en fait des capacités à acquérir d’autres compétences qu’elles suscitent : en apprenant, on apprend à apprendre. L’université n’a pas pour visée l’employabilité immédiate ni la rentabilité. Si l’enseignement supérieur peut préparer à un métier, il doit avant tout former des citoyens en situation de s’appuyer sur un socle de connaissances à jour pour construire leur émancipation au travail et en dehors, pour être capables de se saisir de manière critique des enjeux de leur environnement social et professionnel et de partager cette lucidité de manière collective. De nombreux jeunes qualifiés connaissent une insertion professionnelle difficile non en raison de leur formation, mais en raison d’une pénurie de l’emploi et des choix stratégiques de la finance au détriment de l’emploi et du social.
Sur les organismes de recherche, M. Macron envisage de les réduire à des agences de moyens et d’en transférer les personnels aux universités. Ces propositions mettraient en péril toute la recherche en aboutissant de fait à la suppression de la colonne vertébrale de la recherche publique en France. Ces organismes sont pourtant un atout majeur qui apportent une contribution irremplaçable à la recherche.
Sur la gratuité de l’ESR : des hausses drastiques ont déjà été imposées depuis quelques années dans les écoles d’ingénieur publiques par exemple ou pour les étudiant·es extracommunautaires.
L’objectif du gouvernement est triple : rendre payantes et rentables certaines formations « prestigieuses » préparant ainsi leur introduction sur le marché concurrentiel de l’enseignement supérieur, mettre en place un juteux secteur bancaire de prêts qui écrase les étudiant·es de dettes et, enfin, réduire le financement du service public par l’État. Couplée à la loi ORE et Parcoursup, cette politique met en place une restriction d’accès aux études supérieures et ressort d’une volonté de sélection sociale, en restreignant l’accès aux études supérieures à quelques privilégié·es, au détriment du plus grand nombre et en préparant la marchandisation de l’enseignement supérieur.
Depuis la rentrée universitaire de septembre 2021, le CNESER a été réuni cinq fois : à chaque ordre du jour, apparaissent de plus en plus nombreux les signes d’un basculement complet orchestré par le gouvernement. Après avoir fait entrer dans les COMUE, puis dans les regroupements plus ou moins expérimentaux de l’ESR, des établissements privés d’enseignement supérieur postbac tels que les différents instituts catholiques, des écoles d’art, de commerce ou de management, le Ministère se plait aujourd’hui à distribuer de multiples visas et grades à des établissements privés, et à en faire une promotion éhontée, dans Parcoursup, contre l’avis des représentants au CNESER et de la plupart des organisations représentantes des personnels ou des étudiant·es.
Sous couvert d’une prétendue transparence, le MESRI organise tranquillement une véritable campagne de pub pour ces formations privées, qu’il met directement en concurrence avec des formations publiques reconnues et entretient d’ores et déjà et délibérément la confusion entre public et privé : les bacheliers et les familles sont trompés, le flou est manifestement organisé quant aux dénominations des diplômes (Bachelors…), quant à la poursuite d’études au-delà de ces formations, quant aux coûts de ces formations.
Après avoir organisé la dislocation de l’ESR en menant les multiples réformes que l’on sait (LRU, …) et qui préparaient sa marchandisation partielle, le gouvernement actuel s’engouffre dans les brèches laissées par le manque de moyens organisé, et prépare le terrain au candidat Macron.
On contourne le monopole de la collation des grades par les établissements de l’Etat, on détourne les financements de l’Etat vers le privé : rappelons qu’obtenir un visa de l’Etat permet l’attribution de bourses aux étudiant·es de ces établissements privés et permet aussi de toucher les mannes liées à l’apprentissage. Ainsi, indirectement, l’impôt finance ces écoles. Dans le même temps, on ne donne aucun moyen pour augmenter les capacités d’accueil des formations publiques, on sélectionne, on ne fait plus que gérer des flux, sans permettre à la jeunesse de construire un projet de formation ou d’émancipation, tout en permettant l’émergence des formations privées, pire ! en les soutenant et en en assurant la publicité.
La CGT rappelle qu’elle défend le principe d’un service public d’ESR, ouvert à toutes et tous, d’égale qualité sur tout le territoire, gratuit, délivrant des diplômes nationaux, reconnus par les statuts et les conventions collectives. Elle s’oppose aux formations privées utilitaristes et à leur labellisation par l’État.
On vend nos barrages, on privatise l’énergie, on manque d’électricité et le coût de l’énergie explose, on ouvre le train à la concurrence, on ferme des gares et des lignes, on privatise la santé, on ferme des lits dans les hôpitaux, on reporte des soins, on a liquidé la Poste… Mais on a permis à Amazon de s’implanter partout pour livrer à toute heure et à toute vitesse, au prix d’une circulation incessante de camions de livraison et d’une exploitation éhontée des salariés, des sous-traitants et des livreurs. Combien d’exemples pourrait-on développer ici ?
Voilà le modèle proposé par le président de la République pour les universités et les organismes de recherche !
Nous ne voulons pas de cette marchandisation de l’enseignement supérieur.
Pour la CGT, c’est une vision désastreuse qui ne répond pas aux besoins de notre société : les logiques du marché constituent une impasse pour l’avenir, l’accès aux savoirs et leur maitrise par les citoyen·nes et les salarié·es sont essentiels pour relever les défis inédits qui nous sont posés et pour construire l’avenir.
Cela suppose de donner les moyens au service public national d’ESR, les moyens d’accueillir tous les jeunes dans de bonnes conditions d’étude et de vie étudiante, cela suppose de lutter contre le décrochage et d’assurer la réussite de tous les étudiant·es. Cela suppose de redonner aux personnels la maîtrise de leurs métiers.
Déclaration liminaire au CNESER du 18 janvier 2022