Violences policières : le droit d’alerte doit être respecté

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La Maison des Lanceurs d’Alerte lance un appel au respect du droit d’alerte en matière de violences policières. Soutenu par une vingtaine de personnalités et d’organisations, il invite à donner des suites ambitieuses aux annonces de réformes des inspections du Ministère de l’Intérieur et à prendre au sérieux les alertes, qu’elles émanent de victimes, témoins ou des agents de police eux-mêmes.

Au cours de ces dernières semaines, le sujet des violences policières a, comme cela est malheureusement régulièrement le cas, marqué l’actualité et enflammé les réseaux sociaux, ravivant le débat sur l’épineuse question du rapport entre les citoyen·ne·s et les forces de l’ordre. Au #MoiAussiJaiPeurDevantLaPolice a suivi la mort de George Floyd aux États-Unis provoquant des protestations sans précédents contre les exactions racistes de la police états-unienne. À la violence de l’interpellation s’ajoute celle de la répression de ce mouvement de contestation ciblant les manifestant·e·s mais aussi les journalistes.

Cette triste actualité fait directement écho aux pratiques dénoncées, en France et de longue date, par un grand nombre d’organisations et de collectifs.  Il y a deux semaines à peine, des milliers de personnes se réunissaient porte de Clichy à l’appel du Comité Adama pour réclamer, encore une fois, justice pour Adama Traoré et toutes les autres victimes d’exactions policières. La mobilisation s’est pas la suite largement étendue à d’autres villes françaises et réitérée, malgré les interdictions des pouvoirs publics.

Si le Président de la République Emmanuel Macron a jugé, à de multiples reprises, que « la violence est d’abord dans la société« , si l’ex-directeur général de la police nationale Eric Morvan préfère individualiser l’erreur en parlant de « violence des policiers », la querelle lexicale n’y fait rien : la mobilisation citoyenne est réelle. Les témoignages, preuves à l’appui, des victimes, des témoins directs, des collectifs de terrains, des associations, des syndicats ou des journalistes viennent contredire frontalement la stratégie de déni du Ministère de l’Intérieur et interrogent la politique de maintien de l’ordre.

Il est temps que nos responsables politiques, avec l’appui de l’administration policière, prennent le problème à bras le corps et vérifient l’effectivité des dispositifs de remontée et de traitement des alertes et, le cas échéant, les mettent en place ou les consolident en urgence.

Dans son rapport « Maintien de l’ordre : à quel prix ? », publié en mars 2020 après plus d’un an d’enquête, l’ACAT met en avant de nombreux dysfonctionnements accompagnés d’une multiplication des cas de violences illégitimes. Que ce soit dans les quartiers populaires ou aux frontières françaises, nombre d’opérations de police ont conduit à des décès, des blessures, des humiliations ou des comportements discriminatoires, voire racistes, de la part des forces de l’ordre. Tout récemment encore, la crise sanitaire a mis à jour le caractère arbitraire des contrôles et des verbalisations. Il s’agrémente d’un second problème : la répression apparaît comme l’axe fort de la politique gouvernementale de maintien de l’ordre. Elle constitue un moyen de contrôler l’expression libre et démocratique, créant un climat d’insécurité qui affaiblit les mouvements sociaux. Au point de voir la France épinglée par la Commissaire aux Droits de l’Homme de l’ONU et celle du Conseil de l’Europe.

Si ces abus, et les organisations et collectifs  qui les dénoncent, existent de longue date, ils sont aujourd’hui amplement documentés et les chiffres sont parlants : l’Observatoire des libertés publiques recense une moyenne de 10 à 15 morts par an à la suite d’opérations de police. S’agissant des manifestations, le journaliste David Dufresne a décompté 938 signalements entre novembre 2018 et mai 2020 dont 3 décès, 338 blessures à la tête, 27 éborgné·e·s et 5 mains arrachées.

En dépit de cela, le système de contrôle de l’action des forces de l’ordre apparaît défaillant, instaurant un sentiment d’impunité des forces de l’ordre. Sur les cas de décès au cours d’opérations, seuls 7 ont donné lieu à des condamnations. Ceux et celles qui, en interne, dénoncent ces pratiques, voient leur voix étouffée. Dernier exemple en date, la suspension d’un policier à Nice accusé d’avoir violé le secret professionnel en donnant des informations à Mediapart sur les violences policières commises à l’encontre de Geneviève Legay lors d’une manifestation.

Ces alertes isolées ne doivent plus être ignorées.

Il est urgent de renforcer les mécanismes de contrôle de l’action des forces de l’ordre pour que cesse le climat d’impunité qui favorise l’émergence des violences policières. On peut aujourd’hui débattre des causes, on peut déplorer les effets délétères de cette polémique sur l’exercice démocratique et les menaces qu’elle fait peser sur les agent·e·s de police au quotidien, mais on ne peut nier l’existence d’un problème qui divise la société et face auquel des mesures fortes sont nécessaires.

C’est pourquoi, la Maison des Lanceurs d’Alerte appelle à la mise en place de dispositifs solides permettant aux victimes et aux témoins de violences policières, y compris lorsqu’ils ou elles travaillent au sein de l’administration, de signaler ces pratiques abusives. Ces dispositifs doivent également permettre aux autorités compétentes de traiter ces alertes en toute indépendance. Nous appelons à garantir et à renforcer la protection assurée aux lanceurs et aux lanceuses d’alerte, notamment en matière de confidentialité, d’anonymat et de maintien dans l’emploi.

Il est essentiel, aujourd’hui, que les agent·e·s de police puissent remplir leur fonction et faire respecter la loi, y compris lorsque celle-ci s’applique aux forces de l’ordre elles-mêmes. Une politique de transparence est nécessaire pour redonner du sens à leur mission et restaurer un lien de confiance avec les citoyen·ne·s qu’elles sont censés protéger.

Ce dispositif d’alerte doit permettre de couvrir tous les abus, qu’ils soient commis à l’égard de manifestant·e·s, d’exilé·e·s, d’habitant·e·s des quartiers populaires ou encore de journalistes. Les apories des canaux existants laissent encore trop de victimes dans l’ombre, empêchant un débat éclairé sur la question.

Dans l’attente d’une refonte profonde des dispositifs d’alerte, nous appelons les victimes et les témoins de violences policières à se saisir des voies de recours existantes pour faire valoir leurs droits et mettre à jour les faits passibles de poursuites judiciaires. Nous continuerons à défendre et assister les lanceurs et les lanceuses d’alerte qui signalent des comportements ou consignes allant à l’encontre de la déontologie nécessaire aux forces de l’ordre dans un régime qui se veut démocratique.

Les violences policières comptent parmi les signes les plus alarmants de la crise démocratique que nous traversons et il est urgent que les réponses soient à la hauteur du problème.

 

Signataires

Maison des Lanceurs d’Alerte
Arnaud Apoteker
Estellia Araez, Syndicat des Avocats de France
Éric Beynel, Union syndicale Solidaires
Djamel Blanchard, militant des quartiers populaires, antiraciste et décolonial
François Briens
Étienne Coste, CGT Finances
Coordination nationale Pas Sans Nous
Sabrina Drljevic-Pierre
Nora Fontaine, Solidarité Migrants Wilson
Bénédicte Fumey, Pacte civique
Lakdar Kherfi
Bénédicte Madelin, militante associative en Seine-Saint-Denis
Laurent Mauduit, journaliste
Grégoire Pouget, Nothing2Hide
Sciences Citoyennes
Syndicat de la Magistrature
Syndicat National des Journalistes (SNJ)
Julien Talpin, CNRS
Henri Thulliez, avocat
Tous Migrants
Aurélie Trouvé, Attac
Elise Van Beneden, Anticor
Vincent Verzat, Partager c’est sympa
Emmanuel Vire, Syndicat national des Journalistes CGT (SNJ-CGT)
UGICT-CGT
Ibra Yali, CAC-EVO (Collectif des Associations Citoyennes de l’Est Val Oise)

 

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