Forfaits-jours : Nouveau succès pour les droits des salariés !

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Forfaits-jours : Nouveau succès pour les droits des salariés !
Dans un contexte persistant d’affaiblissement des droits des salariés par des dispositions législatives et conventionnelles, des décisions de justice s’appuyant sur le droit social international et européen permettent de résister efficacement à ces reculs. Une nouvelle décision emblématique de cette tendance concerne la remise en cause du dispositif des forfaits en jours dans un secteur d’activité qui utilise très fortement ce dispositif dérogatoire, par le biais d’accords collectifs, en recourant à toutes les possibilités offertes par la loi. Nouvelle occasion de rappeler que la loi n’est pas au-dessus du droit et que les accords collectifs, de branche et d’entreprise, ne sont pas non plus au-dessus du droit.Michel CHAPUIS

Dans le prolongement des deux décisions obtenues par la Cgt et par la Cgc devant le Comité européen des droits sociaux (Conseil de l’Europe) et de la décision de la Cour de cassation, chambre sociale, du 29 juin 2011 (1), une nouvelle décision vient d’être obtenue dans le secteur couvert par la convention collective dite Syntec (nom de la chambre patronale). Selon cette importante jurisprudence, les dispositions sur le forfait-jour de la convention collective dite Syntec sont juridiquement nulles. La décision est d’autant plus remarquable que c’est le juge qui a relevé de lui-même l’argument du caractère illicite du système de forfait-jour mis en œuvre dans l’entreprise (par un moyen relevé d’office). En effet, la Cour de cassation (chambre sociale) estime que l’article 4 de l’accord du 22 juin 1999 n’est pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié (2).

Par conséquent, la Cour de cassation (chambre sociale) en déduit qu’une convention de forfait en jours individuelle, signée dans une entre- prise par un salarié (avenant à son contrat de travail), qui vise seulement l’article 4 de l’accord du 22 juin 1999, est juridiquement nulle. En effet, les garanties prévues par la convention collective dite Syntec étant insuffisantes au regard des exigences de la jurisprudence de la Cour de cassation, appuyées sur le droit international et européen, si l’accord d’entreprise ouvrant la possibilité de conclure une convention de forfait (avenant au contrat) ne prévoit pas des dispositions permettant de satisfaire à ces exigences, les conventions de forfait conclues en application de ces textes conventionnels sont juridiquement nulles.

Cette décision reprend la motivation des arrêts précédents, notamment en s’appuyant forte- ment sur le droit social international et européen (voir le visa des textes : « Vu… »).
Ainsi, la Cour de cassation (chambre sociale) rappelle que: « Vu l’article 151 du Traité sur  le  fonctionnement  de  l’Union  européenne  se  référant à la Charte sociale européenne et à la  Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article L.212-15-3  ancien du Code du travail, dans sa rédaction  applicable au litige, interprété à la lumière de  l’article 17, paragraphes 1 et 4 de la Directive  1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993,  des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la Directive  2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil  du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte  des droits fondamentaux de l’Union européenne ; »

Attendu, d’abord, que le droit à la santé et au  repos est au nombre des exigences constitutionnelles ; »

Attendu, ensuite, qu’il résulte des articles susvisés des Directives de l’Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que  dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur ; » Attendu, enfin, que toute convention de forfait  en jours doit être prévue par un accord collectif  dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des  repos, journaliers et hebdomadaires… »

Par conséquent, pour la Cour de cassation (chambre sociale) :

« Attendu que pour fixer à une certaine somme la  moyenne des salaires de la salariée et condamner  l’employeur au paiement de diverses sommes à  titre de rappels de salaire et congés payés afférents,  l’arrêt retient que la convention collective prévoit  que les rémunérations des salariés concernés par  le régime du forfait doivent être au moins deux  fois supérieures au plafond de la sécurité sociale ;  que la convention de forfait par référence à l’accord d’entreprise qui lui-même intègre l’article 32  de la convention collective nationale prévoit “un  suivi spécifique au moins deux fois par an” ; que  conformément à la mission visée dans le contrat  de travail de la salariée, il convient de requalifier  le salaire minimum de la salariée en se référant à  la convention collective nationale… »

La Cour de cassation (chambre sociale) considère que la cour d’appel n’a pas respecté le droit applicable, international et européen (3) : « Qu’en  statuant ainsi, alors que ni les dispositions de  l’article 4 de l’accord du 22 juin 1999 relatif à la  durée du travail, pris en application de la convention collective nationale des bureaux d’études  techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils  et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987,  ni les stipulations des accords d’entreprise des  22 décembre 1999 et 5 novembre 2004 ne sont de  nature à garantir que l’amplitude et la charge de  travail restent raisonnables et assurent une bonne  répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité  et de la santé du salarié, ce dont elle aurait dû  déduire que la convention de forfait en jours était  nulle, la cour d’appel a violé les textes susvisés. » Ainsi, les juges relèvent que ni la convention de branche dite Syntec, ni les accords d’entreprise ne sont de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé. Ils en concluent que, la protection de la sécurité et de la santé du salarié n’étant pas assurée, la convention de forfait annuel en jours (avenant individuel) est nulle.

Par cette décision, le dispositif dérogatoire du forfait-jour mis en œuvre dans l’entreprise (prévu dans la convention collective nationale – Ccn –,les accords de l’entreprise et la convention individuelle), en conformité avec la loi (Code du travail), est écarté par le juge puisque contraire au droit applicable (international et européen). La salariée obtient donc gain de cause (au-delà de ses demandes du fait du moyen soulevé d’office par le juge) : ses heures de travail effectuées doivent être calculées et rémunérées selon les règles de droit commun (calcul des heures à la semaine, majorations pour heures supplémentaires des heures effectuées au-delà de la durée légale…) ; le calcul des rappels de salaire sera effectué par la cour d’appel de renvoi (CA Versailles). Ainsi, même après avoir signé une convention de forfait-jour, il est possible pour le salarié de demander et d’obtenir le paiement d’heures supplémentaires (cependant, si le for- fait-jour est nul, il ne fait pas présumer de l’existence d’heures supplémentaires : le salarié doit donc fournir des éléments sur les heures supplémentaires effectuées (4).

Ainsi, la Ccn des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite « Convention Syntec », se voit sanctionnée. Cette convention est sanctionnée de la même manière que l’ont été récemment, après la décision du Comité européen des droits sociaux (Conseil de l’Europe) et le premier arrêt de la Cour de cassation en la matière (5), précités, d’autres conventions collectives prévoyant des forfaits en jours sans respecter les dispositions du droit international et européen : la convention collective nationale de l’industrie chimique (6), la convention collective nationale des aides familiales rurales et du personnel de l’aide à domicile en milieu rural, et, en dernier lieu, la convention collective nationale du commerce de gros (7).

Cette affaire rappelle que, pour connaître le droit applicable, l’examen du Code du travail et des dispositions conventionnelles de branche et d’entreprise est bien entendu nécessaire, mais il ne saurait suffire. Il est également nécessaire de prendre pleinement connaissance de la jurisprudence concernée et du droit social international et européen applicable. Par conséquent, les négociateurs des textes conventionnels, de branche et d’entreprise, doivent pleinement en tenir compte.

(1) Voir chroniques juridiques d’Options n° 563 du 24 janv. 2011 et n° 569 du 26 sept. 2011.
(2) Cour de cassation, chambre sociale, 24 avril 2013, Mme Vanessa X… c/ la société Lowendal group – Lowendalmasaï SA, n° 11-28.398, à paraître au bulletin des arrêts de la Cour où figurent les arrêts les plus importants – cet arrêt « fait jurisprudence ».
(3) Cour d’appel de Paris, arrêt du 20 octobre 2011.
(4) Cour de cassation, chambre sociale, 5 juin 2013, n° 12-14.729.
(5) Chambre sociale, 29 juin 2011.
(6) Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, 31 janvier 2012, société Métaux spéciaux Mssa.
(7) Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, 26 septembre 2012, société Toupargel.

Bibliographie :
M. Miné, C. Boudineau, A. Le Nouvel, M. Mercat-Bruns, D. Roux- Rossi, B. Silhol, Le droit social international et européen en pratique, Ed. Eyrolles, Paris, 2e édition, 2013, 402 pages, 35 euros. Voir spécialement chapitre V.

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